La réussite du XV de France de rugby et en quoi elle peut nous inspirer

La réussite du XV de France de rugby et en quoi elle peut nous inspirer

Il y a quelques années, à la faveur d’un salon professionnel auquel je participais en tant que journaliste, j’ai eu la chance d’être invité à un diner autour de Bernard Laporte. Il occupait à ce moment-là le poste de sélectionneur de l’Équipe de France de rugby et n’imaginait sans doute pas qu’il serait, de 2007 à 2009, Secrétaire d’État chargé des Sports du second gouvernement Fillon, puis qu’il deviendrait quelques années plus tard Président de la FFR (Fédération Française de Rugby) après avoir « managé » le Rugby Club Toulonnais, sous la houlette de Mourad Boudjellal.

Le soir de ce diner, qui avait lieu dans un restaurant de Monaco - au-dessus du Grimaldi Forum pour les connaisseurs - outre un maillot dédicacé de l’Équipe de France, j’ai suivi un débat intéressant et j’ai retenu la comparaison toute aussi intéressante, utilisée par Laporte, entre une équipe de rugby (ou de sport collectif en général) et l’entreprise, la gestion de l’une devant inspirer nécessairement la gestion de l’autre.

Après le succès flamboyant samedi soir du XV de France de Galthié et Ibanez, et l’obtention du dixième grand chelem de l’histoire du rugby Français – j’en ai connu 9 sur 10, en 1968 j’étais un peu jeune… -, j’ai spontanément repensé à cette analogie et me suis dit que, plus que jamais, ce succès était propre à inspirer les dirigeants d’entreprise, ou les managers d’équipe, que vous êtes peut-être.

Alors voilà ce qui, dans le parcours récent de l’Équipe de France et de sa fédération de tutelle, me parait important à retenir et à souligner afin d’expliquer le succès obtenu, après de nombreuses années de disette. Années de tristesse et de frustration où nous avions pourtant de bons joueurs et le fameux « french flair » mais où l’on perdait trop souvent. Parfois d’un cheveu…

« Une génération en or »

Le rugby, comme l’entreprise, est un sport collectif. C’est le collectif qui fait gagner l’équipe comme il fait gagner l’entreprise. Alors oui, dans le XV de France de 2022 - qui a démarré son épopée il y a en gros deux ans - les joueurs ont un talent indéniable. Et dans chaque ligne avec ça - les « gros » de l’avant, les trois-quarts, la charnière, les arrières… - avec Dupont bien sûr, mais aussi Ntamack, Aldritt, Baille, Marchand, Villière, Penaud, Woki… et tous les autres ! Dans la dernière ligne droite du 6 Nations, il a même manqué des « tauliers » comme on dit, car blessés, dont le capitaine Charles Ollivon (remplacé au capitanat par Dupont) ou Matthieu Jalibert pour ne nommer qu’eux. 

Mais au rugby, plus encore que dans tous les autres sports collectifs - notamment le football - la valeur d’une équipe n’est pas qu’égale à la somme des individus qui la composent. Chacun des joueurs se met au service du collectif et chacun est une des pièces d’un puzzle qui ne se construit pas en un claquement de doigt.

Alors oui la presse a parlé, après une génération décevante de 2011 à 2019, d’une « génération en or », qui avait déjà été championne du monde des moins de 21 ans. Mais l’explication n'est pas suffisante et recruter les meilleurs (ou les plus chers) n’est qu’une condition au mieux nécessaire, sinon il y a longtemps que le PSG en football aurait remporté la Champion’s League…

Il faut une âme à une équipe, et le XV de France depuis février 2020 en a clairement une ! Il faut aussi, comme dans l’entreprise, faire en sorte que se crée un mix harmonieux entre jeunes joueurs plein de vigueur et joueurs plus aguerris, compensant un relatif déclin de leurs capacités physiques par une expérience sur le terrain, un calme et un sens du jeu allant eux crescendo.

Et parmi les jeunes joueurs on a retrouvé ici des « enfants de la balle », autrement dit des Ntamack et des Penaud qui ont, comme dans chaque génération du XV de France, le rugby tatoué sur leur ADN et la culture du ballon ovale qui coule dans leurs veines, car ils ont pour pères de grands champions, eux aussi « grands chelemistes » en leur temps !

Un management de haut vol

Une équipe de France de rugby qui triomphe, ce sont à chaque match – y compris le « Crunch » contre l’Angleterre - 15 joueurs sur le terrain, 8 autres qui se tiennent prêts à rentrer sur le pré à tout moment, plus d’une vingtaine encore qui participent aux entrainements mais rentrent dans leurs clubs avant les matchs, le tout managé avec brio par une équipe de choc.

Et sur ce terrain-là, comme dans une entreprise en difficulté reprise par un staff engagé, le XV de France a bénéficié depuis un peu plus de deux ans d’une organisation bien huilée, en plus de moyens conséquents, à quelques mois de la Coupe du Monde prévue en France en 2023.

Impressionnante d’intelligence, de calme, de complémentarité et d’organisation la direction bicéphale à la tête de l’Équipe de France ! Galthié, le sélectionneur, et Ibanez, le manager, se connaissent par cœur et depuis longtemps, même si c’est leur passage conjoint en tant qu’experts sur France Télévision qui les a vraiment rapprochés. Ils ont gagné ensemble, en tant que joueurs (Ibanez était capitaine et talonneur, Galthié au poste de demi de mêlée) le Tournoi (dont deux fois quand il n’y avait encore que cinq nations). Ils ont réalisé eux aussi le Grand Chelem, à trois reprises. Même si l’éviction brutale de Guy Novès qui les avait précédés et avait mis l’Équipe de France sur de bons rails n’était pas une mesure très « classe », il faut bien admettre que le choix de la « fédé » a payé !

Les deux ont mis en place une gouvernance minutieusement préparée pour être vraiment efficiente après la Coupe du monde au Japon et jusqu’à l’édition 2023. Cette gouvernance, comme dans les meilleures entreprises – en tous cas celles qui réussissent - n’est pas que verticale. Ibanez et Galthié ont dès leur prise de fonction tenu à impliquer les joueurs dans le projet (pas que sportif) et fait en sorte que ceux-ci relayent les messages venues du staff dans un cadre défini, mais avec une certaine autonomie, que ce soit lors des rassemblements pré-compétition à Marcoussis ou quand ils se retrouvent dans leurs clubs respectifs.

Le staff s’est aussi appuyé sur des apports externes, des personnes motivées venant du rugby français ou d’ailleurs. Des connaisseurs du haut niveau qui enrichissent le projet, solidifient l’édifice et ont permis au XV de France de sortir de sa zone de confiance ou de compétence pour mieux progresser.

Comme dans une entreprise, ces apports externes ont permis d’obtenir la maitrise des situations auxquelles a été confronté l’équipe. Je pense principalement à l’exceptionnel Shaun Edwards, vu comme un traitre par les tabloïds anglais pour avoir mis son talent au service des « froggies ». Au « french flair », il a ajouté à force de préparation et d’entrainements la rigueur tactique et construit les éléments d’une défense qui nous faisait souvent défaut. Ce, sans renier l’ADN « joueur » de l’équipe. L’autre exemple auquel je pense est l’intégration plus récente dans le staff de l’ancien arbitre international Jérôme Garces. Lui a donné les clés aux joueurs pour être moins pénalisés (les équipes de France précédentes perdaient beaucoup de points, souvent bêtement, sur des pénalités, par manque de connaissance des règles qui évoluent il est vrai souvent, par légèreté dans le respect de celles-ci ou pour cause d’incapacité à bien parler ou bien comprendre l'anglais avec des arbitres internationaux venant tous de pays anglo-saxons.)

Au-delà, Laporte rapportait dans une interview récente, qu’il avait fallu « remettre l’église au centre du village », ce qui supposait « avoir les meilleurs dans leur domaine. Servat pour la mêlée, Ghezal pour la touche, Giroud pour la cellule performance, Labit chez les trois-quarts… ».

N’est-ce pas l’évidence pour un chef d’équipe ou pour un patron d’entreprise que de tenter de mettre « les meilleurs » aux postes stratégiques ?

 Le rôle indirect mais déterminant des clubs

 In fine, ce qui aura probablement été l’ingrédient majeur du succès du XV de France c’est l’alignement de tous sur des objectifs ambitieux. Et quand je dis tous, je parle de tout l’écosystème du rugby français qui avait pour centre de gravité les clubs mais qui a décidé au bout de longues discussions de favoriser cette fois l’équipe nationale.

Dans cet écosystème, les clubs ont une responsabilité historique dans le succès obtenu. Il faut en effet se souvenir qu’il y a 5 ans, on avait assisté à un conflit ouvert de la FFR avec la Ligue nationale de rugby (représentante des clubs) qui s'opposait à la mise en place de contrats fédéraux pour les joueurs de l'équipe de France – c’était une des promesses de campagne du candidat à la présidence de la FFR, Bernard Laporte.

Laporte avait insisté alors, sans doute inspiré par l’Angleterre et plus encore par l’organisation Irlandaise, pour qu’une quarantaine d'internationaux français soient sous contrat la moitié de l'année avec la fédération afin de permettre aux joueurs d'avoir plus de temps de préparation avec le XV de France. Après un long temps d’opposition, les dirigeants de clubs (notamment Toulouse, Bordeaux Bègles, La Rochelle ou Toulon) ont accepté de « libérer » leurs meilleurs joueurs, ce qui signifiait clairement pour eux de réduire la puissance de leurs équipes lors des matchs du championnat qui continuaient de se jouer en période de Tournoi, de tests-matchs ou de Coupe du monde.

Dans une interview au Midol (le Midi Olympique pour les non-initiés), l’ancien sélectionneur et joueur Marc Lièvremont a expliqué : "Les présidents et entraîneurs ont compris l'importance pour le rugby français d'avoir un XV de France fort. Quand je vois l'attitude d'Ugo Mola et de Didier Lacroix (nda : l’entraineur et le dirigeant de Toulouse), alors qu'ils fournissent 10 joueurs aux Bleus et qu'ils en souffrent, c'est du jamais vu !"

Cohésion, alignement, moyens

Au bout du bout, ce qu’il faut aussi apprécier dans cette équipe c’est la cohésion, la stabilité et la gestion des hommes insufflées par le staff avec le soutien de la FFR.

Le parcours du dernier Tournoi des 6 Nations ne fût pas un long fleuve tranquille, malgré les victoires engrangées et les scores souvent fleuves, en plus d’une maitrise du jeu tant en défense qu’en attaque : l’Italie nous a posé des soucis lors du 1er match avant de s’écrouler, le Pays de Galles aurait très bien pu prendre l’avantage s’il n’y avait eu un en-avant providentiel, etc.

Mais ce qui ressort de cette équipe c’est qu’elle a su collectivement restée alignée sur ses objectifs, gérer au mieux les temps faibles, gérer aussi les accidents de parcours (comme Galthié, et par la suite des joueurs majeurs, qui ont attrapé le Covid).

Le staff a su aussi trouver une équipe-type qui n’a évolué qu’à la marge depuis le début du Tournoi au sein d’un groupe élargi et investi de 42 joueurs.

Au passage, si comme moi vous avez suivi les matchs sur France2 et le magnifique reportage de Cédric Beaudou dans les coulisses de l’équipe de France, vous avez dû voir que Galthié quand il compose son équipe sur la feuille de match ne dit pas des 8 joueurs sur le banc, qui ont à l’évidence un rôle majeur aux alentours de l’heure de jeu, qu’ils sont des remplaçants. Il les appelle les « finisseurs ». Et ce vocable dit à lui tout seul le respect et la bienveillance du coach pour les joueurs et l’importance qu’il leur accorde !

Pour conclure, on dira que ce XV de France est une entreprise qui a réussi et dont on espère qu’elle continuera à réussir sur les mêmes bases : des hommes nec plus ultra, des objectifs précis et maintes fois rappelés sur lesquels tout l’écosystème s’aligne et des moyens mis en œuvre conséquents (moyens techniques et d’innovations dans la préparation, en plus des moyens financiers), dans la perspective de l’organisation de la Coupe du Monde en France en 2023.

Les petits - comme les appelait tendrement feu-Roger Couderc - nous ont fait rêver samedi dernier ! Souhaitons-leur, souhaitons-nous qu’ils continuent de le faire dans les années qui viennent !

Nous pouvons mettre en commun toutes nos compétences. Allez les bleus !🏈🇫🇷🏆🐓🥰💪

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