Coronavirus : industrialiser l’économie circulaire pour faire face aux crises naturelles (virus, énergie, métaux…)
La crise du coronavirus montre à quel point les risques systémiques issus de la Nature ne sont tout simplement pas prévus par le système économique moderne (Coronavirus aujourd’hui, problème de nourriture, d’eau, de métaux ou d’énergie demain). Ces risques exogènes laissent le système économique totalement démuni, ce qui propage la panique très rapidement d’un continent à l’autre, et d’un secteur économique à l’autre. Une crise sanitaire mondiale, (2 % de mortalité), se propage, par l’arrêt temporaire des activités économiques, au monde de l’énergie (le pétrole est en chute libre), qui lui-même alimente un crash financier planétaire. Notre système est un château de cartes instable dès qu’un événement externe, improbable et imprévu apparaît.
Le Covid-19 nous montre ce qu’il se passe en cas de rupture de la chaîne d’approvisionnement. La production s’arrête, ce qui engendre à son tour une forte baisse de la demande de pétrole, qui fait à son tour plonger les prix de l’énergie, et qui va engendrer dans un deuxième temps une explosion des bulles issues des injections de liquidité tous azimut de la dernière décennie. La chute brutale de la demande pétrolière et des prix va provoquer des faillites en série dans le secteur des huiles de schiste américain, qui ne pourra plus refinancer ses dettes accumulées depuis 10 ans (le secteur fonctionne à cash-flow négatif depuis 10 ans). Or l’extraction du pétrole de schiste américain est devenue essentielle pour alimenter l’économie américaine et mondiale (qui tourne à 90 millions de baril/ jours), dans un monde où le pétrole conventionnel connaît déjà des pertes de production depuis plus de 10 ans. Les Etats-Unis, qui ne peuvent se permettre d’arrêter la machine énergétique, se verront contraints de nationaliser à la sauvette les 200 milliards de dette liées au pétrole de schiste.
Prenons un peu de hauteur. Le problème est plus profond, il met en exergue une inadéquation totale du système financier international avec le monde réel du 21ème siècle. Dans un monde limité par l’offre où les risques systémiques naturels ne sont pas prévus par le système financier, les banques centrales se retrouvent au dépourvu. Les acteurs économiques sont perdus, et le manque de préparation à ce choc d’offre est patent. Les outils financiers classiques de relance, comme la baisse des taux, l’injection de liquidités, ou la stimulation de la demande, vont s’avérer peu appropriés car il est évident que ceci n’aura que peu d’effet sur la capacité de l’appareil productif mondial à refonctionner, scotché par des quarantaines successives et désynchronisées dans différents pays.
Le système actuel est efficace sans grain de sable dans les rouages : cela fait une centaine d’année que nous optimisons les flux d’argent, ils sont maintenant digitaux, liquides à tout moment, mondialisés, et en flux tendu de façon à limiter toute immobilisation financière et à maximiser les profits. Mais dans tout système complexe, une efficacité maximale signifie bien souvent une résilience minimale aux perturbations extérieures imprévues.
En d’autres termes, la pensée économique a focalisé toute son attention sur la résolution la plus efficace des problèmes internes au système : l’optimisation des flux d’argent, la maximisation du PIB, du ROI, du taux d’actualisation, l’optimisation des taux d’intérêts, etc… Mais ce système déconnecté de la Nature nous fait naturellement regarder ailleurs, car il a créé un monde virtuel où seuls les facteurs humains et financiers comptent pour prévoir l’avenir et réagir en cas de crise (taxes, compétitivité des salaires, retraites, notes des entreprises, etc…), tandis que les facteurs naturels sont considérés comme externes et presque négligeables (énergie, ressources naturelles, virus, eau, feux de forêts…). Ces denrées sont donc sous-représentées dans la chaîne de valeur globale. A l’heure où la valorisation des entreprises s’est déplacée vers les besoins superflus (services digitaux, intelligence artificielle…), les besoins de base sont donc vus comme des commodités. Comme ces « commodités » représentent moins de 20% du PIB mondial, les économistes et les marchés qui n’y voient pas un facteur prépondérant de prospérité économique, … Jusqu’à ce qu’on s’étonne qu’ils manquent ! D’où notre incapacité à anticiper des problèmes d’offre. Si la production tourne à 40%, le système productif mondialisé se grippe, les dettes ne sont plus payées et les délais plus honorés, les bourses s’effondrent, et les entreprises mettent les clés sous la porte. Et on n’y avait pas pensé…
Le coronavirus préfigure ce que sera un monde fini où l’offre est contrainte pour des raisons naturelles. Il faut regarder la réalité en face : le monde illimité de Disney que nous avons toujours connu toute notre vie est en train de s’évanouir. Le problème de fond, c’est que notre système financier est hérité du siècle dernier, il représente un monde qui n’existe plus physiquement : un monde économique où Keynes ne prévoyait pas que le climat puisse influencer les résultats économiques, et où la démographie était un facteur efficace de relance économique par la demande, où les denrées irremplaçables (énergie, eau, ressources) n’était qu’un facteur secondaire de production, où le facteur principal était la compétitivité des salaires, des machines et du capital.
Dans un monde fini, où les ressources minières, énergétiques et naturelles sont limitées, tout laisse à penser que ce genre de situation, c’est-à-dire une limitation en volume de certaines denrées provoquant un ralentissement de la production et de la chaîne logistique, va devenir monnaie courante. Les risques systémiques exogènes viendront perturber fréquemment le cœur du système. Ils nous rappellent simplement que l’on vit sur Terre : démographie, énergie, eau, climat … Les tensions associées à chacun de ces intrants irremplaçables vont générer des tensions géopolitiques très graves, ce qui peut engendrer une démondialisation encore plus rapide due aux fermetures des frontières imprévues et provoquer une rupture encore plus forte encore des chaînes d’approvisionnement bien trop dépendantes d’un monde parfaitement ouvert. Par exemple, jamais le Moyen-Orient, source de 30 % du pétrole et du gaz naturel mondial, n’a été aussi militarisé. Les contraintes naturelles peuvent tout à fait s’exprimer sous des formes indirectes, comme la guerre économique ou militaire pour les maîtriser, dont le résultat est généralement le même que le Covid-19 : un choc d’offre…
La gestion de la pénurie va bouleverser l’organisation des entreprises de demain. Cela va forcer les entreprises à s’intéresser stratégiquement à leur chaîne d’approvisionnement et à l’alimentation en énergie des produits qu’elles vendent. Les entreprises, qui se sont ultra-spécialisées et qui se sont focalisées sur un cœur de métier très précis, sont aujourd’hui très « horizontalisées » : un producteur de voiture a totalement externalisé sa supply-chain, et est totalement impuissant face aux problèmes d’approvisionnement de ses fournisseurs de rang 1, 2, et 3, et se retrouve ainsi incapable d’assembler ses véhicules. Grande efficacité, mais faible résilience. Certaines exceptions, comme par exemple Samsung, se voient avantagées car elles maîtrisent la production amont de l’ensemble de leurs composants. Les conglomérats verticalisés, qui maîtrisent leur chaîne d’approvisionnement amont seront donc avantagées, un peu comme dans les années 20. Le bon sens paysan se rappelle à nous : pour être sûr de pouvoir produire, il faut s’intéresser aux matières premières en amont nécessaire à la fabrication, mais aussi à l’énergie nécessaire à l’utilisation du produit fini.
Il est urgent de rebâtir un système financier en se posant d’abord les questions essentielles à sa propre survie. Que devons-nous emporter dans notre sac à dos ? Les économistes doivent commencer leur raisonnement sans parler d’argent, mais en intégrant la Nature au centre de leur raisonnement : combien d’énergie et de ressources minières et naturelles? Comment rendre le système plus résilient en cas de pénurie (même si l’efficacité n’est pas optimale)? Comment développer l’économie circulaire pour découpler (en partie) les chiffres d’affaire de l’extraction des ressources ? Que devons-nous réguler, ou même interdire pour préserver les réserves de la Nature et donc de l’économie de demain ?
Pour cela, nous avons besoin d’un profond changement des postulats économiques, d’une nouvelle économie, durable et régulée. Il faudra apporter de nouveaux indicateurs plus pertinents que le PIB, où les taux de « circularité » et de « renouvelabilité » ne sont plus approximés par effets de mode médiatique, mais sont mesurés par des indicateurs et suivis comme des facteurs de prospérité. Ceci apportera beaucoup plus de résilience aux chocs d’offre sur les marchés.
Prenons l’exemple du secteur de l’énergie, où il va falloir sérieusement creuser au-delà de la surface de l’iceberg écologique si nous ne voulons subir de ruptures graves. Nous voulons des énergies renouvelables pour obtenir plus de résilience économique et éviter de se retrouver coincé le jour proche où les énergies fossiles vont décliner. Mais pour obtenir cette résilience, avons-nous vraiment analysé scientifiquement et physiquement (et non pas seulement financièrement) ce que veut vraiment dire le mot renouvelable ?
- Pour qu’une énergie soit réellement renouvelable, il faut du « fuel » illimité pour faire tourner l’installation. Par exemple, le vente ou le soleil seront toujours là. Bien que nécessaire, c’est malheureusement le seul critère utilisé aujourd’hui pour évaluer si une énergie est renouvelable. Nécessaire mais pas du tout suffisant. Ce n’est pas parce que le soleil et le vent sont des sources illimitées que les installations à construire pour produire sont renouvelables. Ce critère de « fuel illimité » élimine le pétrole, le gaz fossile et le charbon. Les fuels non limitants sont l’eau, le vent, le soleil (photovoltaïque et photosynthèse naturelle), la géothermie, l’uranium et le thorium (si on divise par 100 la consommation actuelle grâce à la nouvelle génération de nucléaire renouvelable).
- On doit avoir assez d’énergie pour renouveler les installations, avec les moyens qui seront présents au moment de l’opération de renouvellement. Si une installation doit être renouvelées tous les 30 ans, mais que la quantité d’énergie ou de métaux n’est pas suffisante pour démanteler, rénover, ou reconstruire, alors cette installation ne peut pas être considérées comme renouvelable. Combien d’énergie investie pour produire combien d’énergie va devenir un critère économique majeur : c’est le retour sur investissement énergétique (EROEI). Plus ce ratio est élevé, plus l’énergie est réellement renouvelable. De ce point de vue, le photovoltaïque est très peu renouvelable (ne produit que 4 KWh/ KWh investi), ainsi que l’éolien (7KWH/KWh investis). Les énergies les plus renouvelables sont l’hydro (50 à 60 KWh par KWh investis) et le nucléaire (70 à 110 KWh/ KWh investis). L’EROEI du pétrole est en train de chuter, passant de 80 au début du siècle dernier à moins de 15 en 2020, ce qui montre que son seuil de rentabilité est proche de son inutilité pour l’économie, ce qui fait de cette énergie une menace systémique à court terme pour le monde.
- Si une énergie renouvelable est esclave d’une énergie non renouvelable pour sa viabilité, alors elle n’est pas renouvelable. Le niveau de dépendance d’une énergie vis-à-vis d’autres énergies et de métaux est un critère de renouvelabilité négligeable tant que l’énergie maître est abondante. Par exemple, le photovoltaïque est dépendant de son back-up qui permet de suivre les intermittences ( gaz, charbon, hydro, ou nucléaire), donc si un jour, on a une rupture d’approvisionnement sur le gaz ou le charbon, le réseau électrique intermittent s’arrête et on comprendra alors notre vulnérabilité dans la douleur.
- On doit disposer d’assez de matériaux à acheminer sur le site (sables, métaux) pour renouveler l’installation. La quantité de matériaux et la capacité à les réutiliser va devenir essentiel. Il va devenir important de pouvoir recycler ou réparer la majorité des pièces métalliques, si possible sans les refondre. Il deviendra plus rentable de réutiliser les composants non usés plusieurs fois que de jeter ou recycler, car cela va permettre de vendre une deuxième fois le même produit sans dépendre d’un flux sporadique de matières premières. Ce taux de circularité est mesurable. Il s’agit du ratio « quantité de produits vendus / quantité de ressources à extraire » (métaux, matériaux…). Plus ce ratio est élevé, plus le produit final est résilient aux chocs d’offre. Une quantité de matière importante ou rare à extraire signifie aussi une dépendance forte aux énergies fossiles, le destin de l’énergie et des autres matières premières étant étroitement lié.
- Enfin il va falloir relocaliser pour obtenir des supply-chains plus résistantes. Si l’ensemble des pièces sont produites en Chine, ou de l’autre côté de la Terre, il est évident que la supply-chain n’est pas résiliente, comme on le voit aujourd’hui avec l’épidémie. Par exemple, c’est le cas pour le solaire et l’éolien : l’essentiel des composants sont produits en Chine. En revanche, une installation hydraulique nécessite essentiellement du béton produit localement, de même pour une centrale nucléaire.
- La durée de vie d’une installation sera cruciale. Plus la durée de vie est longue, plus l’énergie produite devient indépendante des fluctuations d’approvisionnements. Les installations modulaires seront avantagées car elles permettront d’éviter de tout casser pour refaire, mais rénover petit à petit, ce qui correspond parfaitement à un monde où l’offre est contrainte.
- La surface au sol, et la compacité est un critère important de durabilité, car vue la démographie, les ressources limitées en engrais (comme le phosphate), et vu un climat imprévisible, les rendements agricoles vont plafonner voire diminuer. On doit donc maximiser la surface agricole pour produire en priorité du blé, pas de l’énergie. Plus l’installation est compacte par unité d’énergie produite, plus l’économie l’utilisant sera résiliente.
- Enfin une énergie est vraiment renouvelable et circulaire et si elle est capable de revaloriser ses propres déchets, voire de recycler le CO2 (neutre en carbone).
En résumé, une optimisation du volume des intrants qui alimentent le système économique, par une industrialisation des processus de rénovation (circularité) est donc crucial sur les ressources de base : matériaux, nourriture, engrais, métaux, énergie, eau…
C’est pourquoi le système bancaire va devoir s’adapter. On doit produire des outils monétaires puissants permettant de monétiser autant la résilience et la circularité que l’efficacité. On doit concevoir un nouveau système monétaire qui optimise et recycle proprement tous les types de capitaux issus de la Terre, car le système monétaire actuel les néglige. L’énergie et les métaux peuvent être considérés comme du capital, a l’instar de l’argent. C’est efficace et pratique de payer le pétrole avec une ligne comptable qu’une banque a créé de toute pièce pour l’occasion, mais ce n’est pas résilient : créant cet argent, la banque vérifie bien qu’elle dispose d’assez de fonds propres dans ses coffres pour garantir l’opération de crédit, tandis qu’au même moment, elle ne vérifie pas que le capital énergétique en réserve est suffisant pour la survie du système. C’est absurde : l’économie vérifie si les fonds propres sont suffisants pour éviter le défaut de paiement généralisé en cas de crise financière, sans même vérifier si le capital énergétique en réserve est suffisant pour éviter le « défaut de paiement énergétique »…
En d’autres termes, la monnaie actuelle rend les économistes aveugles aux problèmes physiques de demain. Ils scrutent tous les problèmes de salaires, de dette, ou de credit crunch, et personne ne regarde vraiment les conséquences d’un assèchement physique de l’offre réelle dû à la crise écologique et démographique - dont une forme nouvelle est ici représentée par une crise virale. Pour redonner aux économistes plus de hauteur de vue, et pour qu’ils puissent reparler proprement d’argent, il faut une nouvelle approche monétaire, qui représente les contraintes économiques du 21ème siècle. Un système multi-monnaies permettant de gérer les ressources financière, minières, aquifères, naturelles et énergétiques serait sûrement moins efficaces car plus complexe, mais beaucoup plus résilient car représentant les réalités physiques du 21ème siècle.
Il faut considérer les ressources énergétiques et minérales comme une forme de capital, largement aussi essentiel que l’argent. En le considérant comme du capital, les acteurs économiques auront tendance à l’optimiser autant que l’argent, et donc à privilégier nativement la conservation maximale de ce capital dans le système, à privilégier ainsi les modèles circulaires, et forcer les banques et les marchés à étudier leurs réserves de ressources de façon aussi cruciale que leurs réserves de fonds propres. Et considérer enfin que les ressources physiques de ce monde ont intrinsèquement autant de valeur économique que l’argent créé ex-nihilo par un système financier à bout de souffle…
Le coronavirus aura le mérite de nous faire atterrir sur Terre : au 21ème siècle il faudra gérer les problèmes d’offre de façon aussi sérieuse que les problèmes de demande… Apprenons de cette expérience !
Nicolas Breyton.
Pour plus d’information sur les fragilités systémiques liées aux risques naturels, et les outils économiques et monétaires à mettre en place pour plus de résilience, n’hésitez pas à lire mon livre, le Capital de la Terre
STELLARIA founder & CEO
4 ansSavez vous que 100% du paracetamol est produit hors d’Europe ? Au delà des masques il va falloir aussi relocaliser les productions de médicaments essentiels en cas de crise sanitaire. Sur le court terme, espérons que la production mondiale de doliprane est suffisante pour la crise sanitaire à venir.
Dirigeant d’entreprise
4 ansTrès éclairant , j’apprécie le cheminement pour poser cette problématique. Je pense qu’avant son industrialisation le monde agricole aurait pu rester un model de circularité. La friche, le potager, le verger et l’étable,. Permettaient une bonne résilience face aux diffèrent aléas, climat ravageurs...mais on a voulu le doper pour améliorer sa productivité et on a fini par tout déshumaniser et aboutir à ce que vous indiquez; forte optimisation faible résilience! Merci
Directrice d'usine chez Alfa Laval | Conception, fabrication d'échangeurs thermiques
4 ansCongrats for this tribune, a new paradigm to use
Regional Key Account Director-Design & Construction Partners, Cloud & Services Provider Segment
4 ansHi Nicolas, this is a Black Swan ! Tu t en rappelle? À bientôt!
Responsable marketing client chez Schneider Electric
4 ans@patrick de dieuleveult