Coronavirus : L’action du bailleur commercial en paiement des loyers se heurte à une contestation sérieuse selon le juge des référés parisien
TJ Paris du 26-10-2020 n° 20/53713 et n° 22/55901.
Si jusqu’ici les juges d’instance n’avaient rendu que des décisions en faveur des bailleurs de bonne foi, lorsqu’ils étaient saisis en référé en vue de faire condamner les locataires au paiement des loyers dus durant le premier confinement[1], le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, à travers deux ordonnances rendues le 26 octobre dernier, a retenu une solution contraire et redonné ainsi un peu d’espoir aux commerçants concernés.
Dans les deux affaires en cause, les faits étaient relativement similaires. Dans un cas, le propriétaire d’un local dans lequel était exploitée une salle de sport agissait en référé en vue d’obtenir le paiement des loyers du deuxième trimestre 2020 ; dans l’autre, l’exploitant d’une pharmacie agissait toujours en référé, en vue que son obligation de paiement des loyers soit suspendue, tandis que son bailleur demandait reconventionnellement sa condamnation au paiement des loyers des deuxième et troisième trimestre.
Si la question posée au juge en l’espèce était loin d’être inédite, puisque plusieurs bailleurs et locataires avaient déjà tenté d’obtenir un sursis de paiement ou une condamnation au titre des loyers commerciaux dus pendant la période de confinement, la solution retenue, bien que motivée par les mêmes fondements que les précédentes, permet d’apporter des précisions sur les arguments pouvant être invoqués par les locataires assignés.
Si in fine le juge refuse de faire droit aux demandes respectives des bailleurs concernant les loyers du second trimestre, il n’accueille pas pour autant l’ensemble des arguments invoqués par les locataires en vue de voir leur obligation de payer suspendue ou supprimée.
Le juge des référés parisien rappelle, dans un premier temps, que si les dispositions dérogatoires issues de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la crise sanitaire, empêchent le créancier d’exercer des mesures d’exécution forcées, afin de recouvrer les loyers échus entre le 12 mars et le 23 juin 2020, elles ne suspendent en aucun cas l’exigibilité du loyer dû dans les conditions prévues au contrat.
De plus, et comme avaient déjà pu le faire avant lui plusieurs juges d’instances, le Tribunal judiciaire de Paris écarte la force majeure et la théorie des risques invoquées par les locataires, du fait que le litige porte sur le paiement d’une somme d’argent, ainsi que l’argument portant sur un manquement du bailleur à son obligation de délivrance du bien loué, aux motifs que le contexte sanitaire ne peut en lui-même constituer un tel manquement.
En revanche, et comme le souligne le juge dans les deux décisions d’espèce, la demande en paiement formée en référé par le bailleur en présence de circonstances exceptionnelles, de même que l’exception d’inexécution invoquée par le locataire, doivent être étudiées au regard de l’exigence de bonne foi inhérente aux contrats.
Cette obligation impose aux parties de vérifier si une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives n’est pas à prévoir du fait des circonstances exceptionnelles.
En l’espèce, le juge relève que le secteur d’activité du locataire a subi de fortes perturbations économiques, du fait du confinement décidé par les pouvoirs publics, et que ce dernier a tenté de régler amiablement les difficultés en découlant avec le bailleur, de sorte que la demande en paiement exercée à son encontre est sérieusement contestable et doit être rejetée.
Sur ce point, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, à travers une ordonnance rendue le 10 juillet 2020 (n°20/04516), avait notamment fait droit à une telle demande en paiement des loyers, toujours au regard de l’exigence de bonne foi précitée, dès lors que le bailleur avait pris la peine de proposer un aménagement des loyers échus et le report de l’échéance d’avril alors que de son côté, le locataire n’avait pas sollicité de remise de sa dette ou d’aménagement de ses obligations.
Ainsi, et si le juge des référés parisien a pu rendre deux solutions différentes à quelques mois d’intervalle, ce n’est qu’au regard des circonstances d’espèce, et compte tenu du respect de l’exigence de bonne foi par les parties, que la condamnation au paiement des loyers dus en période de confinement ne peut être décidée.
Néanmoins, et si les fondements dont peuvent se prévaloir les locataires semblaient désormais plus ou moins figés, il convient de rester particulièrement attentif à la jurisprudence rendue sur ce sujet, qui ne cesse d’évoluer.
En effet, le tribunal judiciaire de Paris a très récemment rendu une nouvelle ordonnance (TJ Paris, 21 janv. 2021, n°20/55750), par laquelle il assimile l’impossibilité juridique d’exploiter les lieux loués en raison d’une décision des pouvoirs publics survenue en cours de bail à la perte de la chose louée, sur le fondement de l’article 1722 du code civil, qui n’avait jusqu’alors jamais été envisagé.
Ces récentes décisions sont susceptibles d’être complétées, voire contredites, au cours de l’année 2021, dès lors que la question de l’exigibilité des loyers pendant la période de crise sanitaire est plus que jamais d’actualité, à l’heure du couvre-feu national, de la fermeture prolongée des bars et restaurants, et alors qu’un potentiel reconfinement menace le pays.
Si vous rencontrez cette problématique, que vous soyez bailleur ou locataire, le Cabinet Pivoine se tient à votre dispositions, pour vous donner des conseils éclairés et élaborer une stratégie adéquate.
[1] TJ Paris, 10 juill. 2020, n°20/04516 ; CA Grenoble, 5 nov. 2020, n°16/04533