Coronavirus macronensis : la guerre


L'épidémie est la rencontre entre un virus et une société. Cette situation met en lumière certains aspects du régime politique sous lequel nous vivons. Nous sommes donc "en guerre". Nous l'étions déjà. L'ennemi change en fonction de l'actualité.

https://blogs.mediapart.fr/philippe-wannesson/blog/170320/coronavirus-macronensis-la-guerre

C'était le 3 mars dernier. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, Charles Michel, président du Conseil européen, David Sassoli, président du Parlement européen, survolaient dans un avion militaire la frontière gréco-turque. Comme en temps de guerre les dirigeants visitent les troupes et survolent le champ de bataille. Le vocabulaire est martial. Il s'agit de repousser une "invasion" qui menace les frontières de l'Europe. L'armée est mobilisée au côté des gardes-frontières grecs, Frontex, l'agence européenne des gardes-frontières et gardes-côtes, envoie des renforts. Des milices d'extrême-droite et une partie de la population agissent à leur côté.

Alors que le coronavirus Covid-19 est encore perçu comme une menace lointaine, nous sommes déjà en guerre. La rhétorique employée par les États qualifiés de "démocraties illibérales" est assumée par les institutions unanimes de l'Union européenne, comme par les démocraties qui s'autoproclament "libérales", entre autres la France. L'union européenne s'invente un ennemi, les personnes en exil qui pourraient rejoindre son territoire, et par un effet de loupe transforme quelques milliers de personnes, concentrées en un endroit, en une menace d'invasion. La situation qualifiée d'urgence et d'exception sert au gouvernement grec à suspendre l'application de la législation sur l'asile.

Nous souvenons-nous depuis quand des militaires lourdement équipés patrouillent dans les gares, les rues, le métro en France ? La menace d'attentats terroristes est réelle. Elle appelle des réponses complexes, la réponse militaire est globalement inadaptée. Pourtant nous sommes en guerre, un ennemi est désigné, le terrorisme islamiste, avec un flou qui ouvre sur tous les amalgames, tout en maintenant hors-champ le terrorisme d'extrême-droite - la même extrême-droite qui mobilise ses réseaux européens, même si numériquement ça représente peu de personnes, en Grèce, face à "l'invasion" des exilé-e-s. L'état d'urgence a été proclamé en France, a été détourné contre des opposant-e-s à la politique du gouvernement, ou contre les exilé-e-s présent-e-s dans le Calaisis. À sa levée, ses principales dispositions ont été intégrées au droit commun : l'exception est devenue le quotidien.

Une épidémie appelle une réponse médicale et de santé publique, pour soigner les personnes malades et limiter la contagion. Hors nous sommes en guerre, et la réponse médicale et de santé publique est le parent pauvre des mesures prises : pénurie de lits, de personnel, de matériel, de moyens de protection au quotidien (masques, gants, gels...) y compris dans les hôpitaux, rallonges budgétaires insuffisantes et tardives. Le gouvernement met la pression pour que des millions de personnes aillent travailler et se déplacent quotidiennement sans protection, tout en chargeant la quasi intégralité des forces de police et de gendarmerie de contrôler l'application de mesures de plus en plus strictes de confinement. La contribution, faible, de l'armée, est surmédiatisée. Une nouvelle catégorie d'état d'exception vient d'être adoptée par le parlement.

La métaphore guerrière a également ses avantages et ses déclinaisons en terme de propagande : elle met sur un piédestal l'action du président de la république et du gouvernement mettant en œuvre ses directives - en l'occurrence pour le meilleur ou pour le pire; elle naturalise la mort, la pénurie, l'autoritarisme répressif, associés à l'état de guerre; elle justifie la mise en sommeil des contre-pouvoirs, à commencer par le parlement et la justice; elle appelle à l'union sacrée, à l'unanimisme derrière les décisions du chef - avec peu de succès semble-t-il; elle justifie le recul des libertés individuelles et collectives.

La guerre est donc, subrepticement, devenue une composante permanente du régime dans lequel nous vivons - en France mais pas seulement. L'ennemi change en fonction des circonstances, menace réelle ou inventée. Il n'y a pas de retour l'état de paix. Les libertés individuelles et collectives sont restreintes pas-à-pas, dans un mouvement qui paraît inexorable.

 

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