Covid19 au Burkina Faso : et si pour mieux faire urbanisme, Ouagadougou avait besoin d’un plan stratégique d’aménagement des équipements sanitaires ?
Le manifeste de deux jeunes urbanistes burkinabè : Maxime SAWADOGO et Wendpanga Toussaint Armand SAWADOGO
Déjà des semaines que Ouagadougou vit sa première quarantaine de toute son histoire. En effet, ville africaine, dynamique de par sa population et de par ses flux d’échanges, elle n’a pas échappé à l’expansion du coronavirus.
Une chose est sûre, de cette crise, Ouagadougou en sortira, mais non pas sans y avoir laissé des plumes, comme on le dit assez souvent dans le jargon mooré ouagalais « konbda sougamin ».
Mais cette crise est l’occasion de repenser l’urbanisme de la ville de Ouagadougou dans une autre temporalité et dans une nouvelle spatialité.
De toute l’histoire, c’est l’une des pires crises sanitaires, non pas au sens du nombre de victimes mais plutôt au sens de son impact sur la société et sur l’économie, car désormais, vigilance est de mise, on ne serre plus la main, on vit ensemble, mais un mètre et une distance psychologique nous sépare désormais. C’est surement les prémisses d’un autre rythme de vie, d’une nouvelle sociabilité qui se substitue à notre sociabilité d’antan pourtant notre fierté, annihilée par l’ensemble des mesures prises par le gouvernement burkinabé, car ce sont les vies de millions de ouagalais et au-delà de millions de burkinabè qui sont bouleversées.
Les rues se vident les soirs, les commerces sont fermés, le pouls de dame polis ralentit, son cœur s’arrête presque de battre sauf au rythme de quelques coups de chicotes des pandores de plus en plus adeptes du chicottage en live sur les réseaux sociaux.
Combien de temps, cela va durer, jusqu’à nouvel ordre nous disent les forces de l’ordre!!
Une nécessité de renouveler la pensée urbaine s’exprime clairement, en termes de temporalité et concerne à la fois la ville mais également la vie dans la ville, afin de redonner de la force à la proximité, de développer un maximum de services près de chez soi, pour éviter les déplacements loin de chez soi.
Parlons donc de ces services près de chez nous, et principalement de celui qui est crucial surtout en cette période de crise : les services sanitaires.
Dans le rapport final de 2010 du schéma directeur d’aménagement du grand Ouagadougou, horizon 2025, il ressort que le Grand Ouaga comptera :
-3 430 052 habitants en 2020 et aura besoin de 61 nouveaux CSPS (centre de santé et de promotion sociale), de 6 nouveaux CMA (centre médical avec antenne chirurgicale) et 1 hôpital ;
-4 734 321 habitants en 2025 et aura besoin de 86 CSPS, 8 CMA et 1 hôpital.
Ce document révèle également trois choses importantes (données fournies par les bureaux d’études en urbanisme, AAPUI et ARCADE) :
-une disparité dans la répartition des formations sanitaires : d’une part entre les districts sanitaires et d’autre part à l’intérieur d’un même district. L’étalement de la ville de Ouagadougou a conduit le plus souvent à l’éloignement de certains quartiers de l’accès aux formations sanitaires. A titre d’exemple, il n’existe aucun équipement de santé au secteur 20 en 2010, en existe-t-il aujourd’hui ? L’information reste à trouver.
-Une part prépondérante occupée par le privé dans l’offre sanitaire. En 2010, 60,34 % des cabinets et cliniques privés de soins du Burkina Faso étaient localisées dans la seule ville de Ouagadougou.
C’est pourquoi le SDAGO ajoute également que la répartition des formations sanitaires publiques devra privilégier les zones périphériques et rurales. Ces zones disposent en effet d’un paquet d’équipements réduit et constituent à l’évidence, des pôles de densification et de vulnérabilités.
La notion de vulnérabilité interpelle car c’est ce que le Covid19 a révélé. Le Grand Ouaga, et pas que, est sur le plan sanitaire très vulnérable. Différentes vulnérabilités sont mises en évidence : celles des hôpitaux majeurs, celles du dispositif de soins, et celles de la population non seulement dans ses capacités de subsistance mais aussi son accessibilité aux soins en situation de crise. Elles contribuent toutes à la compréhension de la vulnérabilité du territoire ouagalais et mettent à nue les inégalités socio-économiques, écologiques et les disparités d’accès aux ressources et aménités urbaines dans une ville africaine très étalée.
Par cette entrée, nous réintroduisons le territoire et le politique au cœur de la problématique des risques et des crises en milieu urbain, car il faut l’admettre, l’urbanisme chez nous n’est pas pensée en corrélation avec les grandes questions de santé publique, et donc de médecine.
Pourtant la ville/corps est métaphorisée comme un organisme vivant. L’urbanisme jouxte ici la santé publique et l’urbaniste en ce sens, joue le rôle de médecin de la ville.
A travers l’histoire, l’espace et l’environnement ont pendant longtemps été mobilisés pour coopérer avec la médecine défaillante pour pallier aux crises sanitaires menaçantes remettant parfois en cause les formes urbaines traditionnelles comme l’îlot.
Peste, choléra, tuberculose… Les épidémies ont contribué à façonner nos villes. Pendant des siècles, l’un des enjeux majeurs de l’architecture et de la conception des villes a été de permettre la circulation de l’air, jugé coupable de porter avec lui les mauvaises odeurs, la peste, le choléra ou la tuberculose. Seulement que maintenant, l’air y circule presque bien, mais nous, y circulons de plus en plus mal.
De ces épidémies, la ville en est sortie comme un objet à médicaliser, à remodeler dans une perspective sanitaire, donnant lieu à des innovations urbanistiques inédites imprégnées d’hygiénisme. Le courant hygiéniste étant à la source même de l’urbanisme contemporain.
Pourtant ici à Ouagadougou, l’urbanisme a surement perdu ses finalités de justice sociale et de santé publique pour s’orienter vers la compétition urbaine dans un contexte de globalisation : routes, échangeurs, grands équipements, villes nouvelles etc.
La médecine de son côté, surement pas au courant de l’existence de Monsieur Urbanisme, ou l’ignorant totalement s’est affranchie du spatial et de ses liens traditionnels avec ce dernier, jusqu’à perdre de vue : la prévention. Il suffit de faire un tour derrière le plus grand hôpital de Ouagadougou pour s’apercevoir qu’on règle des problèmes pour en créer d’autres.
A notre sens, il est impératif de reconstruire une nouvelle alliance et coopération entre urbanisme et médecine, dans une optique de prévention.
Déjà que notre voisin, parqueur du maquis en bas de chez nous, n’a plus de quoi nourrir sa famille depuis deux semaines…Que notre voisine, livreuse de plats cuisinés manquent elles-mêmes de plats, ses clients soit disant en télétravail chez eux à domicile, notre inquiétude ne peut qu’être de plus en plus manifeste sur leurs capacités à se soigner en cas de maladie et même à se nourrir. Et c’est une comédie étatique que de croire que quelques demi-kilos de riz distribués dans les marchés régleront le problème.
Dans une ville avec d’énormes fragilités dues aux inégalités économiques, socio-spatiales, devrait-on être copitus et appliquer les mêmes mesures que celles appliquées ailleurs ? Bien sûr que non !!! Il faut mieux pousser la réflexion.
Nous n’avions pas encore fini de rédiger nos paragraphes qu’une notification d’un journal local nous informe qu’il est possible que l’état envisage la location d’hôtels comme hébergement d’urgence à hauteur de milliards. Indignés, nos confrères en architecture se sont empressés de proposer un hôpital d’urgence en lieu et place. C’est une initiative salutaire, mais comme d’habitude, nous nous faisons le poil à gratter en restant très vigilant : que le spectaculaire ne fasse pas oublier le fond du problème.
En mettant des milliards dans la construction d’un seul hôpital sanitaire, on occulte qu’il y’a des dizaines de CSPS et de CMA à construire, une fois de plus, on est dans le spectaculaire, dans le dimensionnel, dans l’urgence, dans le démonstratif, dans ce qui est rapidement visible.
C’est une erreur que de croire qu’il faut réunir un collège de médecins, d’architectes, d’ingénieurs et de spécialistes du bâtiment pour régler le problème, car une fois de plus, il s’agirait juste d’une solution d’urgence sans qu’on ne se penche vraiment sur les maux qui rendent cette ville aussi vulnérable aux crises sanitaires et même plus.
Nous ne sommes pas des architectes d’un bâtiment, nous sommes des architectes des villes, et nous pensons d’abord ville avant de penser unités de la ville, et en ce sens, nous pensons qu’il faut faire preuve de vigilance car en cas d’extension de la maladie, sa territorialisation serait différenciée, entre ceux qui ont les moyens d’être en quarantaine ou en confinement, et ceux qui ne l’ont pas, entre ceux qui ont les formations sanitaires à proximité et ceux qui ne l’ont pas, entre ceux qui peuvent s’offrir des soins et ceux qui ne le peuvent pas. Une fois de plus, il est question de justices sociale et spatiale.
Il ne faut pas perdre de vue, que ce qui fait vivre la ville, ce n’est pas en primauté les infrastructures ni les équipements, c’est d’abord le citadin, car au-delà de la forme, c’est les usages qui façonnent la ville. Sans elles, Ouagadougou ne serait que coquille vide, au bonheur de personne. Les villes sont sans conteste là où se déroule l’essentiel de la vie des hommes et la prises en compte de tous ces derniers devraient être mise au centre de la résolution de la crise et les politiques de prévention à la hauteur.
Nous espérons donc vivement que les leçons tirées de cette crise seront capitalisées, et conduiront à une réflexion globale pour mieux faire urbanisme à Ouagadougou. Il est grand temps que cette ville soit dotée d’un plan stratégique d’aménagement des équipements sanitaires, pas pour dormir dans les tiroirs il faut le préciser, mais pour être pleinement opérationnalisé et servir vraiment au développement urbain.
Doctorant/ Gestionnaire urbain/ Spécialiste en transport et mobilité urbaine
4 ansFélicitation à vous.