Covid-19 mon amour
Laliberté.ch Hiroshima mon amour (en langue des signes)

Covid-19 mon amour

Je ne sais pas si la mondialisation a tué la mondialisation. Pour tout vous dire, je n’y crois pas. La mondialisation, comme l’Hydre de Lerne, possède bien des têtes. Des têtes qui, bien que tranchées, se régénèrent, et même doublement. 

À moins que...

Le révélateur de la fin d’un monde

Si toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé n'est peut-être pas pure coïncidence, alors, rappelons-nous. Dans la deuxième partie du XIXe siècle, cette période que Mark Twain a appelée l’âge d’or, la toute-puissance des sciences et des techniques devait pouvoir résoudre tous les problèmes. Cette croyance a pris fin de façon très brutale au début du XXe siècle. D’abord, avec le tremblement de terre de Messine de 1908 qui a fait plus de cent mille morts. Puis, de façon plus définitive encore, avec la catastrophe du Titanic, un paquebot voulu et pensé insubmersible, dans la nuit du 15 avril 1912. Je vous fais grâce du... coup de grâce, la grippe espagnole dont on sait qu’elle a fait plusieurs dizaines de millions de morts. « Après le tremblement de terre de Messine en 1908, écrira Julien Green, le désastre du Titanic, m’était apparu comme le révélateur de la fin d’un monde. » 

Ce que nous vivons aujourd’hui, avec la pandémie du Covid-19, c’est aussi le révélateur de la fin d’un monde. Le véritable enfermement c’était avant. Avant la pandémie, avant le confinement. 

Dans le monde d’avant Covid, comme dans la Caverne de Platon, nous étions enchaînés, prisonniers de nos sens. Nos seules perceptions étaient nos ombres et les ombres projetées par ceux qui détenaient le pouvoir. 

La face cachée de la mondialisation

Hier, portée aux nues, la mondialisation est vouée aux gémonies. On n’en voit plus que l’envers. Ce quadruple dumping que dénonce Léo Charles, Maître de conférence en économie, sur laquelle elle a pu croître. Dumping écologique, social, fiscal et démocratique. Incidence ou conséquence, les délocalisations, sauvages, massives, impensées. L’oubli du secteur industriel le plus essentiel, le plus stratégique, celui de la santé. Et, précipitant d’un état de fait, la non-souveraineté des États. Des puissances mondiales aux pieds d’argile, tellement dépendants d’autres États. Pour les besoins les plus élémentaires. Les médicaments, les masques, les blouses, les sur-blouses. Les réactifs, les écouvillons...

Ce qu’il faut comprendre – hors les belles figures de styles des ex-thuriféraires de l’ultralibéralisme soudainement convertis à l’urgence d’une sanctuarisations des communs mondiaux – c’est qu’il est difficile de reconnaître que l’on a pu vivre ainsi. Et si longtemps, dans l’erreur ou, plus certainement, dans le déni de la réalité. Si tous aurions dû voir, après tout ne suffisait-il pas de sortir de la caverne, nous nous sommes accommodés de ce qui, finalement, était bien confortable. La mondialisation rapportait, et immensément. N’a-t-elle pas forgé de colossales fortunes et comblé bien des égos ?

Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est qu’après plusieurs mois de crise sanitaire nous nous trouvons dans l’exacte position de l’héroïne d’Hiroshima mon Amour qui pense avoir tout vu d’Hiroshima et raconte à son amant japonais son parcours dans la ville. Le musée consacré à la tragédie, l’hôpital, la Place de la Paix, les photographies, les films, les reconstitutions, les bombardements, les décombres... Une héroïne persuadée qu’elle a tout fait, tout vu de ce qu’il fallait faire et voir à Hiroshima. Qu’elle a tout compris. Qu’elle peut maintenant témoigner de la catastrophe. « J’ai tout vu. Tout. »

En réponse au récit de sa maîtresse, Marguerite Duras et Alain Resnais font dire à l’amant : « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien. » 

Bien sûr, du Covid-19, nous avons vu des choses. Et comme l’héroïne, chacun pourrait dire : « J’ai tout vu. Tout. » Mais ce ne sont là, en réalité, que des vignettes, des confetti d’un ensemble qui nous échappe. 

Pour voir, il faut savoir regarder

Pour voir, il faut savoir regarder. Il faut se défaire de l’illusion que l’on n’oublie jamais. Pas l’oubli des derniers évènements, cela c’est facile. Mais également, plus pénibles car témoins de nos lâchetés, ceux qui nous rattachent au temps d’avant. Celui de la Caverne. Comme l’héroïne du film venait de Nevers et ne doit rien oublier de la ville où elle a vécu pour comprendre véritablement ce qu’est Hiroshima, nous venons de la Caverne et nous ne devons rien oublier de ce temps si nous voulons comprendre l’extraordinaire d’une situation qui pourrait bien, demain, devenir une situation presque ordinaire. 

Si nous sommes tous d’accord, si nous devons, au-delà de la solidarité, comme le propose Gaspard Koenig, philosophe et président du Think tank GenerationLibre, redéfinir nos modèles pour y intégrer la résilience, il me semble – si l’on ne veut pas repartir de l’existant, se réinventer en quelque sorte, ce qui aboutit toujours à refaire du même – que nous devons aller plus loin et véritablement nous inventer. Ce qui veut dire aussi inventer des choses tout à fait nouvelles, guidés par un seul impératif, tout mettre en œuvre pour empêcher que le monde ne se défasse. Faire que plus rien de grave n’arrive.

Plaidoyer pour une écologie globale et humaine

Nous ne pouvons plus vivre en silo. Nous ne pouvons plus être passifs. Ce que nous devons faire, c’est agir et mettre en place des conditions qui valorisent notre nature coopérative en lieu et place de nos pulsions agressives. Ce que nous devons faire, c’est rendre le monde capable de parler. Et être capables de l’entendre. 

Question de méthode, question de priorité, je plaide pour l’écologie bien sûr. Mais, pour que cela fonctionne, il faut d’abord travailler à une écologie humaine. C’est parce que l’on travaille d’abord sur l’humain, c’est parce que l’on part des hommes et des femmes, c’est parce que l’on est capable de mettre en place des conditions sanitaires, mais aussi des conditions économiques et sociales saines, que l’on pourra, en même temps, à partir de ces fondements, agir avec une réelle efficacité sur l’environnement et le vivant sous toutes ses formes. Et donc, créer de la valeur pour un monde plus juste, plus pacifique et plus responsable. 

Ainsi des nouvelles mobilités. En lieu et place du discours écologiste, c’est parce que nous serons capables de repenser nos modes de vie ; c’est parce que nous saurons réduire les inégalités territoriales mais aussi péri-urbaines ; c’est parce que nous saurons évoluer vers un État fédéral avec un vrai pouvoir aux Régions ; c’est parce que nous aurons compris que relocaliser n’est pas une option mais une question de survie ; c’est parce que nous saurons, en lien avec les autres pays, nous inscrire dans une éthique, une sobriété en regard des ressources limitées de la planète, que nous pourrons mettre en place de nouvelles formes de mobilités. 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que vouloir seulement changer les mobilités, au prétexte juste de sauver la planète, ne peut pas fonctionner. Pour sauver la planète, il faut d’abord travailler sur le symptôme, ce qui veut dire nous sauver nous. À cette condition alors, parce que nous aurons fait disparaître le symptôme, obtiendrons-nous, de surcroît, la guérison de la Planète. 

Pouvoir dire demain de la crise sanitaire que nous vivons :
« Tu me tues, tu me fais du bien », anaphore et leçon d’Hiroshima mon amour.

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Note : Cet article a été publié dans LeMap, Politiques et sociologies des territoires, juillet 2020. Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de sa direction.

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