Covid-19: témoignage d'une enseignante en REP+
Claire*, 31 ans, enseigne le français dans un collège classé REP+ du Vaucluse, tout comme son conjoint. Elle raconte leur expérience pour assurer la "continuité pédagogique": créativité, disponibilité, inquiétudes pour les décrocheurs et petites victoires quotidiennes ont ponctué ses dernières semaines, alors que l'incertitude demeure sur les modalités et le calendrier de la reprise des cours en présentiel.
"Le 13 mars, la dernière fois que j'ai vu mes élèves, j'ai consacré chacune de mes heures de cours à discuter de la situation avec eux. Certains étaient inquiets, d'autres surpris, d'autres encore ravis de ne plus aller au collège. Il a fallu leur expliquer que l'école ne s'arrêtait pas, qu'il ne s'agissait pas de vacances, qu'on allait vivre une période étrange mais que ça allait bien se passer car on serait toujours en contact. J'ai rapidement relevé les noms des élèves qui n'avaient pas d'ordinateur à la maison, une bonne moitié dans chaque classe. Lorsque je leur ai dit au revoir, après les avoir rassurés, leur avoir expliqué qu'on allait tous communiquer très régulièrement et que la sonnerie a retenti, les cris de joie et d'excitation ont éclaté, dans l'émulation des situations exceptionnelles: « Bonnes vacances Madame! Reposez-vous bien ». Les prochains semaines s'annonçaient compliquées...
Nous nous sommes ensuite jetés dans la continuité pédagogique, pour tenter de garder le lien coûte que coûte avec nos élèves. Tout s'est passé très vite. L'organisation dans nos équipes, les modes de fonctionnement, d'envoi, les enjeux pédagogiques, les fréquences des devoirs, etc.
"La fracture numérique, un défi"
Ce qui nous a le plus surpris, et ce dès le début? L'amplitude de la fracture numérique. Nous savions que dans le type d'établissements où nous enseignons, que les élèves étaient défavorisés par rapport aux collèges de centre-ville. Cependant, nous avons reçu cette fracture de plein fouet. Les bras nous en tombaient. Des situations hors du commun se sont rapidement présentées à nous, incrédules, devant des choses qui nous paraissaient si naturelles et automatiques mais qui, pour nos élèves, relevaient du véritable défi.
• « Comment ça tu sais pas où écrire sur ton ordinateur Wiame? Attends, je t'appelle. »
• « Yamina, tu viens de m'envoyer un document où tu filmes ton devoir = je ne peux pas corriger. »
• « Madame, je n'ai pas pu faire mon devoir car j'ai plus de place sur mon cahier » - « mais Fatima, vu que tu m'envoies des photos de ton devoir, tu peux prendre une feuille volante ne t'inquiète pas ! Tu la colleras sur un nouveau cahier plus tard. »
• « Madame, j'ai pas fini mon travail parce que j'ai rempli la page sur Word. Je dois ouvrir un nouveau document ? »
Il a donc fallu refaire le point sur le matériel : « Bon, qui n'a pas d'ordinateur à la maison ? On va refaire un point ». « Moi, mais j'ai un téléphone, moi mais ma mère me prête son téléphone mais elle s'en sert tout le temps, moi mais je vais chez mon oncle la journée pour qu'il me prête sa tablette et là il est pas là, moi..., moi..., moi..., moi ».
Les premières semaines de continuité pédagogique ont été par conséquent consacrées (le sont encore mais relativement moins) à de l'assistance technique pour guider les élèves de toute urgence afin qu'ils soient capable de manipuler le traitement de texte et l'envoi des travaux. C'était chaque jour des coups de fil. Tantôt mon conjoint me disait « Attends, il faut que j'appelle Brahim », tantôt je lui demandais « ne fais pas de bruit, j'appelle Amal ». Les journées étaient rythmées par ces tentatives de formation au numérique à distance sur le tard. Ensuite, les coups de fil ont concerné les explications des devoirs face aux multiples mails d'élèves en incompréhension devant les notions. Plus simple et plus rapide d'expliquer la notion d'attribut du sujet de vive voix...
"L'aventure folle de l'enseignement à distance en REP+"
Si dès le début, la plupart des élèves étaient plus ou moins mobilisés (même parfois les plus fragiles et les plus décrocheurs! Ce qui ne manquait pas de nous réjouir car c'était notre grande crainte que de les perdre), le plus dur a été de tenter de les garder avec nous dans cette aventure folle qu'est l'enseignement à distance en REP+. Malheureusement, le constat est amer, nous avons « perdu » parfois jusqu'à la moitié de nos classes. Le contact a été rompu malgré les nombreuses sollicitations, les relances, les tentatives de coups de téléphone, de mails, parfois même de textos.
À l'heure où la réouverture des établissements scolaires est sur toutes les lèvres, le flou règne encore. Dans mon collège, seuls cinq à sept (bons) élèves par classe seraient d'accord pour rejoindre les bancs de l'école. Alors que faire des autres élèves ? Nos élèves perdus, qui, depuis l'annonce du volontariat pour la reprise des cours, s'éloignent davantage.
Comment aider un élève, une famille à reprendre le chemin de l'école lorsque le contact ne tient plus qu'à un (coup de) fil ?
L'école n'est pas simplement un lieu de transmission de savoirs, c'est un lieu de vie, un lieu où l'on apprend aussi (et surtout ?) à former une société. Et où la notion de présence n'a jamais été aussi pertinente.
* Le prénom a été modifié
Facilitateur en communication (enfants, adolescents, jeunes adultes)
4 ansTrès intéressant. Pour ma part, ayant deux fils au lycée (2e et terminale), je peux vous assurer que la continuité pédagogique n'est pas simple non plus côté élève, notamment quand il s'agit de savoir où trouver et récupérer les cours ou les exercices envoyés par les enseignants, non formés à ce genre de travail.
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4 ansCourage, votre témoignage sensible montre que des enseignants sont attentifs aux enfants qu'ils doivent instruire, c'est très encourageant. un fois encore, vous prouverez, que les professionnels, au service de la collectivité, sont essentiels à notre société. Merci pour votre engagement et vos valeurs.
Reporter Indépendante à itinerrances-reportages.fr/
4 ansBjr, enseignante et mère de famille moi-même, je peux vous dire que c'est loin d'être si simple... Vous pourriez me faire témoigner...🙃😉
PDG et formatrice chez FORMA'YOLE | Je vous accompagne dans la Préparation à la Retraite et dans la Gestion des Emotions
4 ansMadame, je tenais à vous exprimer mes remerciements pour votre dévotion, votre implication à aider vos élèves dans une situation qui pour eux est anxiogène (même si, par fierté certain(e)s ne le montrent pas.) Votre époux et vous, avez ouvert une fenêtre pour ces jeunes, qui, sans cette situation auraient gardé leurs difficultés face au numérique. Ce ricochet dans leur univers, aura, j'en reste persuadé, une résonnance avec le temps. Si je n'avais pas eu l'intérêt d'un de mes professeurs à un moment de ma scolarité, je ne serais pas là, aujourd'hui à vous répondre!! Bravo et merci pour cette "minorité silencieuse de la fracture numérique". Bien à vous!
Business English Lecturer / International Office Coordinator IUT de l'AISNE
4 ansSuite ... Que l'école dit être un lieu de vie en effet