Covid, crise climatique, … et si la survie de votre entreprise passait par un nouveau Business Modèle ?

Covid, crise climatique, … et si la survie de votre entreprise passait par un nouveau Business Modèle ?

La stratégie est à la fois une science, un art et une pratique. 

L’histoire contemporaine est jalonnée de belles entreprises, startups, leaders de marché dont la stratégie à un moment de leur histoire a échoué. Dans le contexte actuel, qui accélère les changements et rend le futur un peu moins lisible, chaque entreprise ou presque reconsidère pour l’instant sa stratégie.

Si au cours des 24 derniers mois, la priorité est allée vers la stratégie de contingence, voire de survie, le temps est plus que jamais à la définition d’une nouvelle stratégie pour les prochaines années.

Raison de plus pour s’intéresser d’abord aux raisons pour lesquelles les stratégies échouent. 

Alors bien sûr, chaque manager connait les adages sur les grands ennemis de la stratégie : « la culture mange de la stratégie au petit déjeuner » ou encore « le pire ennemi de la stratégie c’est son exécution ». Les CXOs ne peuvent pas l’ignorer et ils ont raison. 

Mais il y a un autre ennemi redoutable quand il s’agit de façonner une stratégie future, c’est l’absence d’approche globale de la stratégie d’entreprise, d’approche que l’on peut qualifier pompeusement d’holistique. Et c’est particulièrement vrai dans le contexte actuel. 

Pour résoudre un problème complexe, … ou une équation, notre esprit a pris l’habitude de le  décomposer en morceaux et de résoudre d’abord chacun des éléments. L’entreprise du 21ème siècle est un défi complexe et le risque est réel de se focaliser sur certains éléments en perdant de vue que chacun d’eux fait partie d’une mécanique complexe de création, de délivrance et de capture de valeur. Chacun des éléments de l’équation de l’entreprise, de son business modèle, doit parfaitement interagir avec les autres éléments et les compléter.

Dans un article récent d’Harvard Business School, David J. COLLIS, professeur de stratégie décrit parfaitement ce que nous constatons régulièrement dans la pratique du coaching stratégique de scaleups ou d’entreprises matures chez EY : 

  • Des créateurs d'entreprises qui réussissent parfaitement à créer de la valeur en répondant à des besoins ou des envies insatisfaites de segments de marché … mais qui échouent à trouver le mécanisme leur permettant de capturer une part raisonnable de cette valeur (l’entreprise de mise à disposition de véhicule en free floating Drive Now par exemple).
  • Des entreprises jeunes qui, fortes de leur succès, grandissent vite et étendent leurs activités de manière très large, perdant leur focalisation. Et sont incapables ensuite d’investir pour soutenir chacune de leurs activités (une « maladie » qui touche Yahoo depuis quelques décennies par exemple). 
  • Des entreprises existantes, parfois leaders de marché, et qui négligent les possibilités offertes par les technologies et les nouveaux business modèles d’augmenter significativement la valeur pour leurs clients ; et qui se font disrupter par des scaleups ambitieuses.
  • Enfin, des entreprises qui alignent de manière tellement étroite et rigide leurs activités sur leurs segments de marché qu’elles deviennent incapables de faire évoluer cet équilibre quand les demandes, besoins, envies de leurs clients évoluent. 

Cela fait une bonne dizaine d’année que plusieurs d’entre nous, professeurs et consultants, recommandent d’utiliser le concept de business modèle pour aider les entreprises à façonner et développer leur stratégie de manière globale ou holistique. 

Un business modèle, par essence, est une approche globale qui intègre tous les éléments nécessaires à la création, la délivrance et la capture de valeur. 

Utiliser le business modèle permet à la fois de raisonner élément par élément sans jamais perdre de vue le modèle global et de couvrir ainsi ce que David J. COLLIS nomme le « complete strategy landscape » ou paysage stratégique global.  

Si vous adhérez à mon raisonnement, une question vous vient sans doute à l’esprit : si je reconsidère entièrement mon modèle, dois-je bouleverser et reconsidérer toute mon entreprise ?

La réponse est clairement non. 

Il y a quelques années Baghai, Coley et White ont proposé aux entreprises 3 stades stratégiques différents et complémentaires. Un concept appelé aussi le modèle McKinsey des 3 horizons stratégiques que l’on peut résumer ainsi : croissance, innovation et disruption. Graphiquement, ils sont représentés comme 3 « courbes en S », si vous voulez comme 3 courbes de maturité.

Selon les auteurs, les entreprises devraient différencier clairement ces 3 horizons temporels consécutifs, en leur accordant des objectifs clairs, des budgets distincts, une culture et un management adaptés

Si il y a 20 ans lors de la publication de cet outil, les auteurs envisageaient le passage d’un horizon à l’autre sur une période approximative de 6 ans. Aujourd’hui tout le monde s’accorde à parler d’entreprise ambidextre qui doit gérer ces 3 horizons en même temps. 

Point besoin donc de tuer le business modèle existant à court terme. Au contraire.

Le modèle actuel, dans le premier horizon, doit fournir le cash pour faire fonctionner l’entreprise et surtout pour assumer les risques et les paris sur les business modèles futurs. Ce modèle d’efficience opérationnelle optimise en permanence les opérations. Il est assuré par des managers « myopes » et expérimentés, les yeux rivés sur les détails à améliorer : coûts, qualité, productivité, ...zéro risque. La voie est tracée … et elle doit générer une forte rentabilité aussi longtemps que possible.

Le modèle du deuxième horizon est celui de l’innovation. L’entreprise va créer les marchés de demain en lançant des produits adjacents ou en ouvrant des marchés adjacents. C’est le modèle des intrapreneurs, des managers qui prennent un niveau de risque limité en restant en terrain plus ou moins connus, avec des datas sur les clients, sur les marchés … Certains créeront les vaches à lait de demain, d’autres échoueront. Certains produits et marchés seront revendus. 

Le troisième horizon est celui de la disruption. Si l’on qualifie cette étape de disruptive (disrupter en latin veut dire rompre, dans ce cas-ci rompre les paradigmes d’un marché), c’est parce que l’entreprise va chercher à inventer et façonner un tout nouveau business modèle. Avec tous les risques que cela comporte d’affronter l’inconnu. Cette étape nécessite des CXOs et des managers qui sont capables de remettre en question le modèle actuel de l’entreprise, quitte à le disrupter dans un horizon plus ou moins loin. Mais de préférence à coexister avec le modèle existant, au moins quelques temps. 

Point besoin donc de tuer le modèle existant. Simplement d’accepter que l’entreprise du 21èME siècle doit mener à bien ses 3 étapes en même temps. Qu’elle doit accorder les budgets spécifiques et recruter les acteurs distincts nécessaires pour réussir ces 3 étapes. Qu’il s’agit de 3 modèles différents à analyser de manière globale. 

Cela signifie également que si nous avons connu et nous connaissons encore l’entreprise avec un portefeuille de produits, ou de marques, … l’entreprise d’aujourd’hui s’oriente plutôt vers un portefeuille de business modèles. Mais aussi sur une évolution d’un business modèle à l’autre. 

Apple, Amazon, Netflix, Microsoft sont parmi les entreprises qui bénéficient de la plus forte valorisation boursière. Chacun d’entre elle ne s’est pas contentée de rencontrer des besoins, des envies insatisfaites de clients. Chacune de ces entreprises a innové par le business modèle, en proposant au moment opportun un business modèle plus adapté, à la fois aux besoins de valeur des clients et au besoin de l’entreprise de capturer une part plus significative de cette valeur. Ces entreprise ont ainsi sauté de « S curve » en « S curve » par des business modèles innovants. 

D’autres entreprises comme HILTI ont inventé un nouveau modèle parfaitement complémentaire au premier : HILTI continue à vendre des outils pour les entreprises de construction, mais a convaincu presque la moitié de ses clients de louer ses outils dans un contrat à moyen et long terme plutôt que de les acheter. KOMATSU a fait quasiment le même mouvement stratégique avec sa plateforme de Smart Construction.

Que retenir de ces exemples ? 

  1. D’abord que l’analyse d’un marché, l’évaluation d’une entreprise passe aujourd’hui par la compréhension de son business modèle … comprendre les dynamiques d’une industrie n’est plus suffisant. 
  2. Que les entreprises doivent se poser la question de la date d’expiration de leur business modèle (!) et travailler en permanence sur de potentiels futurs modèles, quitte à courir le risque de se cannibaliser …
  3. Que faire évoluer ou inventer le futur de l’entreprise doit s’envisager de manière globale, en tenant compte de chaque composante de l’entreprise ; dans ce contexte le business modèle est aussi la bonne unité d’analyse, la bonne méthodologie pour s’assurer de proposer un équilibre entre la création de valeur, la délivrance de valeur et la capture de valeur. 
  4. Enfin, que les business modèles sont aussi une excellente approche pour tenir compte des enjeux de durabilité des entreprises dans un contexte d’ESG (Environnement, Sociale, Gouvernance).

Business Modèle et Environnement ?

Cela fait quelques années que la plupart des entreprises européennes ont pris conscience des enjeux environnementaux et ont agi en conséquence. Elles ont changé ce qui pouvaient l’être dans la production, sourcé des fournisseurs plus respectueux, diminué leurs emballages et leur consommation d’énergie. 

Mais un gouffre se creuse entre le résultat de ces actions et la vitesse de dégradation de la planète et de la société en général. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser aux objectifs de développement durable des Nations Unies. Et c’est aussi ce que pensent un nombre croissant d’investisseurs (voir la lettre de BlackRock de 2020 et de 2021 et leurs initiatives en matière d’exigence de matérialité des externalités négatives). 

Les entreprises ne pourront donc pas encore longtemps tordre leur business modèle pour le rendre moins délétère pour la planète et la société. 

Ici aussi, la réflexion doit à un moment donné devenir globale. Et ici aussi la réflexion doit s’articuler autour d’une innovation par le business modèle. Les business modèles innovants d’HILTI ou de MICHELIN permettent par exemple de créer des modèles fonctionnels plus durables.  Rester propriétaire des foreuses pour HILTI ou des pneus pour MICHELIN permet à ses deux entreprise de s’inscrire résolument dans une économie circulaire tout en augmentant la valeur pour ses clients. 

Plus que jamais les CXOs, mais aussi les membres des boards doivent mettre la question du business modèle actuel et des business modèles potentiels de demain sur la table. Et s’assurer que les efforts humains et financiers sont correctement répartis entre les 3 grands horizons de la stratégie. 

Avez-vous une idée de ce que sera votre Business Modèle demain ?


Bruno M. WATTENBERGH

Ambassadeur de l’Innovation chez EY Belgium

Professeur de stratégie et d’entrepreneuriat

Solvay Brussels School of Economics & Management


Catherine Delanghe

Corporate governance I Ethics I Climate Finance

3 ans

Entièrement d'accord avec toi, Bruno ! Mais sans l'impulsion d'un board compétent, visionnaire et efficace, qui allie raison-d'être et business model, l'exercice restera périlleux pour de nombreuses entreprises, quelle que soit la qualité de ses CXOs. Le cas d'Emmanuel Faber n'est qu'un exemple parmi tant d'autres...

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