Créer 20 marques d’excellence alimentaire française

Créer 20 marques d’excellence alimentaire française

Le 27 juin se tenait la conférence de présentation des recommandations de la 5ème saison du Think-Tank Agroalimentaire Les Echos dirigé par Olivier Dauvers auquel j'ai le plaisir de participer depuis 2015.

Un rapport et 18 recommandations que vous trouverez ici: https://www.lesechos-events.fr/think-tank/think-tank-agroalimentaire/#fndtn-recommendations

La compétitivité de l'agriculture française est aujourd'hui durement questionnée. Les chiffres sont implacables. Il faudra bien sûr travailler sur la compétitivité-coûts et les questions de structure. Il faudra aussi re-valoriser nos productions.

C'est là qu'intervient la recommandation

#16 "Identifier 20 marques d’excellence alimentaire française pour concentrer les moyens"

qui m'est particulièrement chère.

Pourquoi?

On parle trop dans cette filière agroalimentaire de partage de la valeur, voire de la faire remonter.

Mais, au risque d'être brutal, il est bon de rappeler que dans la chaîne il n'y a pas de valeur, il n'y a que des coûts. La valeur c'est le client qui l'attribue au moment de son achat par le prix qu'il consent à payer, lié à la réassurance que la marque, le pack, l'expérience lui assurent et au moment de sa consommation, par le plaisir et la praticité qu'il y trouve, comme par l'imaginaire dans lequel il se projette.

Et pour citer les travaux de la CCI Paris Ile de France sur l'économie servicielle, force est de constater que la valeur se déplace toujours et dans tous les secteurs vers l'aval, vers le client dans son moment de consommation.

La valeur ne se partage pas, elle se crée, auprès du client. C'est là qu'il faut être si on veut en toucher un peu en retour.

Trop de labels, pas assez de marques! 

Nous souffrons en France et à l'international d'une surabondance de labels, de signes de qualité, d'appellations qui pour autant n'ont pas atteint un vrai statut de marque dans l'imaginaire collectif et n'en ont souvent pas le contenu non plus.

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Du Label Rouge à Produits en Bretagne (ce n'est un exemple) à Viande de France ou Les viandes racées aucun ne peut prétendre à être vraiment une marque avec tous ses attributs.

Ces labels, logos, signes de qualité sont très bien mais restent trop franco-français. Je veux dire qu'ils renvoient à un imaginaire compréhensible par les seuls français, et encore. Pour un client partout dans le monde et même chez nous, sauf l'origine, que disent-ils de la qualité, de l'expérience, de l'imaginaire? Ces marques souffrent aussi d'embrasser trop large, pour plaire à tous les membres de l'interprofession, de la région, du métier, de l'appellation. Les moyens sont dilués. C'est inefficace à l'échelle internationale que nous évoquons ici.

Nous avons pourtant d'excellents exemples en France, surtout dans les vins: Cognac, Champagne, Bordeaux, mais aussi Roquefort. Ce sont certes des appellations, mais qui dans le Monde renvoient à un imaginaire qui crée de la valeur. Le meilleur exemple étant le Champagne qui a su depuis toujours se protéger à l'amont comme à l'aval, bien que produire du Champagne soit somme toute très proche de produire des vins effervescents. La différence entre les deux est bien la valeur de marque.

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Nous avons aussi de terribles contre-exemples: Le Camembert dont jusqu'au nom s'est fait pillé. Il a été nécessaire de l'appeler "De Normandie" puisqu'il devenait "de campagne" voire "Chamembert", voire ovale.

Nous avons enfin des potentiels formidables: La baguette en est un, en cours de classement au patrimoine mondial de l'Unesco sous l'impulsion de Dominique Anract. La baguette française c'est un lifestyle, c'est une marque mais dont le contenu n'est pas aujourd'hui solide et qui doit associer aussi la production céréalière.

Photo Cécile Carton © SENS Agence

La marque Italie! Et ailleurs

Nos compétiteurs sont dynamiques. Souvent moins assis sur le terroir et les AOC ils ont su développer des produits devenus des marques. Nous connaissons tous le jambon Serrano, l'Angus d'Aberdeen ou le Wagyu. Mais aussi un produit comme la mozzarella, quasi inconnu il y a 35 ans, aujourd'hui synonyme de fraîcheur, d'été, de salade. Plus récemment est arrivée dans nos rayons la "di Buffala", puis il y a 7-8 ans la "Burrata", et récemment la "Straciatella"… Un exemple qui montre qu'une marque ça s'approfondit dans le temps. On pourra aussi citer le Spritz qui sous l'impulsion de Campari et de l'interprofession du Prosecco a réussi en quelques années à changer le goût et la couleur de nos apéritifs. Ringard et confidentiel il y a 10 ans, le Spritz c'est une marque car c'est un lifestyle jusqu'à la couleur. N'y a-t-il pas une histoire à construire autour du pastis et de la Provence?

L'idée est donc de créer 20 marques d'excellence française pour concentrer les moyens et les imposer mondialement.

  • Sur des marchés à potentiel international. Il faut donc exclure les productions trop confidentielles.
  • Sur des matières et origines clairement identifiées. Donc on ne dira pas VBF, mais ou charolais, ou limousin, ou bazadaise, mais là je doute que nous ayons les volumes.

En les dotant d'un cahier des charges exigeant à l'amont… et à l'aval.

  • Qualité sanitaire bien sûr, c'est même souvent le critère n°1 de l'origine France
  • Qualité gustative, vue du client. Il achète une expérience.
  • Qualité sociétale. Les français sont les plus exigeants, profitons-en pour en faire un avantage compétitif.

En la nourrissant d'un contenu de marque: Storytelling, valeurs, brand content, why, how, what. Sortons tout l'attirail!

Il faut alors construire une stratégie industrielle autour de cette marque et une stratégie de développement commercial et d'animation. L'exemple du Spritz est inspirant.

Attention, il ne s'agit pas de vendre du rêve, mais de mettre en musique la sincérité d'une démarche, d'une histoire, d'un patrimoine, d'une expérience.

Quelles filières sont concernées?

Le postulat est de partir non des filières-interprofessions mais des besoins principaux des consommateurs : Vin - Viande - Fruits - Légumes - Bière - Pain - Poisson… puis de définir la réponse. Il est aussi possible de partir du moment de consommation: l'apéritif, le petit déjeuner, le dessert…

Mais dans chaque filière définie, ne prendre qu'une réponse pour concentrer les moyens et réussir. Les britanniques par exemple n'ont pas lancé VBB (viande bovine britannique) mais Angus d'Aberdeen! Une fois une marque installée, qui servira de locomotive à la filière entière, il sera possible d'en lancer une deuxième.

Intel Inside

La démarche de marque semble a priori peu adaptée aux grandes cultures utilisées souvent comme ingrédient de produits finis. Il n'en est rien. Nous devons penser "Intel Inside". La marque de l'ordinateur que vous achetez importe peu et pourtant c'est elle qui est gravée sur le châssis. Mais ce qui soucie lors de l'achat c'est Intel Inside, Nvidia, et surtout Windows…

Ce constat est parfaitement duplicable en agroalimentaire. La baguette "Intel Inside" revendiquera un blé d'excellence qui lui garantit aussi sa qualité. Le foisonnant marché de la bière, notamment artisanale, pourrait aussi arborer un "Intel inside" garantissant la qualité de l'orge de brasserie français.

La marque porte la valeur!

Cette présence de la marque est ce qui porte la valeur, par la réassurance qualité et par l'expression des valeurs et de l'imaginaire de marque. Son cahier des charges garantit sa pérennité et organise le partage de la valeur créée.

La proposition du Think-Tank est que l'Etat organise un appel à projet et mette des moyens sur ces 20 filières d'excellence, dotées d'une gouvernance de marque, comme il a su le faire il y a 15 ans avec les pôles de compétitivité industriels.

Cette gouvernance, standardisée sur un modèle unique avec les mêmes méthodes de travail, doit réunir agriculteurs, industriels du 1ère et 2ème transformation, distributeurs notamment pour leur savoir-faire international, artisans et restaurateurs aussi pour voir ces marques fièrement affichées sur les cartes.

L'usage de la marque doit être bien sûr réservé à ceux qui en respectent le cahier des charges et il ne faudra pas craindre d'être coercitif, une chaîne n'étant forte que de son maillon le plus faible.

Renoncer!

Pour réussir cela il faudra des moyens, mais surtout il va falloir renoncer. Renoncer à faire plaisir à tout le monde et choisir nos combats d'avant-garde. Le reste suivra.

 

Cette tribune libre est adaptée de ma présentation de la recommandation #16. Cette recommandation est celle du think-tank, les commentaires et exemples sont les miens et ne sauraient engager mes collègues.

Je souhaite adresser mes chaleureux remerciements à toute l'équipe du Think-Tank pour la grande qualité de nos échanges toute cette année et depuis 4 ans pour certains. C'est un honneur et un plaisir pour moi de les côtoyer. Eric ADAM Dominique AMIRAULT Henri BIES PERE Thierry BLANDINIERES Rachel BLUMEL Christophe BONNO Rémi BRANCO Philippe CHAPUIS Stéphane COYAS Jacques CREYSSEL Francis DECLERCK Thierry DU TEILLEUL Alexis DUVAL Patrick FERRERE Jacques FOURMANOIR Amaury GAGNON David GARBOUS Pascale GRELOT Alexis JACQUAND Hervé JOUANJEAN Nathalie KERHOAS Karina KUZMAK Hélène LE TENO Jean-François LOISEAU Christophe LOPEZ Christophe MONNIER Claire MORENVILLEZ Laurent PASQUIER Guillaume PEZZALI Michel RAISON Magali SARTRE Jean-Marie SERONIE Pierre-Alexandre TEULIE Nicolas TRENTESAUX David BARROUX Antoine BOUDET Jean-Marc VITTORI Claire FERRERO #TTAGRO_ECHOS

Christian Polge

Chartered Director & senior advisor - Ex CEO Les 2 Marmottes - Ex CEO Coca-Cola France & Canada

5 ans

Olivier, Philippe, Vous avez déjà une marque d’infusions française venue des montagnes qui se propose d’intégrer la liste des 20. Pour avoir étudier le monde de l’alimentation à l’étranger pendant plus de sept hors de France, je vous confirme que la différence entre l’approche italienne et l’approche française, c’est la marque. Mais il y a aussi une approche différente. Les Italiens chassent à l’export en meute et non de manière indépendante. Vous l’avez compris, je suis candidat pour rejoindre vos réflexions et hisser haut les couleurs de notre pays sur les marchés à l’export.

Pascal Pécot

Chef des Ventes PANNEAUX VIDAL

5 ans

Merci Philippe. 40 ans de consommation de masse ... il est urgent de changer et de commercialiser avec d’autres méthodes qui génèrent de la valeur et non du volume à bas prix ...

Pierre MONTANER

Retraité depuis le 1er juillet 2017

5 ans

Globalement, on ne peut que partager ces propos. Cependant, il existe à l’export des exemples de réussites de « marques génériques » françaises. Deux exemples, CHAROLUXE en viande bovine sur le marché allemand et Le Crunch pour la pomme. Charoluxe est une marque « premium » pour les viandes des races françaises comme Charolais, Limousine, Aubrac ou autres (ou croisés) qui a été créée spécifiquement pour le marché allemand il y a une vingtaine d’années de cela par Sopexa pour le compte de l’interprofession. Les volumes exportés sont importants (+ de 15.000 tonnes) et la valorisation satisfaisante selon les metteurs en marché. Charoluxe serait aujourd’hui la première marque de viande bovine sur le marché allemand. Comme toute marque, elle repose sur un cahier des charges strict dont le coût doit être intégré dans le prix de vente. La question de savoir pourquoi on ne vend pas plus de 15.000 tonnes sous cette marque sur les 30.000 tonnes exportées en Allemagne ou pourquoi cette marque n’est pas utilisée sur les autres marchés et en particulier en Italie et Grèce (1er et 2ème marché de la France) ou sur les autres marchés export, est complexe. Une des raisons principales si ce n’est la première est le prix de vente. Vendre à l’export veut dire se confronter à la concurrence mondiale, concurrence qui pratique des prix plus bas en raison de couts de main-d’œuvre moins élevés (voire beaucoup moins élevés selon les pays) et non pas exclusivement comme on le dit beaucoup trop souvent en raison de pratique agricoles moins strictes. Donc oui, créer une marque aide à vendre, oui l’origine France aide à vendre, mais cela ne règle pas, loin sans faut, le problème de compétitivité de la France. Autre exemple la marque Le Crunch qui a été créée au milieu des années 70 par Sopexa (de nouveau) pour le compte de l’interprofession et des producteurs de pommes. Dans ce cas précis, il serait plus préférable de parler de « SIGNATURE » que de marque car le cahier des charges est plus générique (pas de contrôles spécifiques sur la marque). Le problème est là aussi complexe et pas facile à expliciter en quelques lignes. Cependant, comme pour la viande bovine citée plus haut, nous sommes en concurrence directe avec les autres pays producteurs qui ont des couts de main -d’œuvre beaucoup moins élevés, des pratiques agricoles parfois trop différentes des nôtres (essentiellement les pays tiers), des entreprises françaises qui ont créé leur propre marque et la nécessité en cas de cahier des charges d’intégrer ce coût dans le prix de vente. Comme pour la viande et les autres produits, une marque générique/commune aide à vendre, l’origine France aide à vendre, mais le prix de vente demeure la clé essentielle de la réussite. Il faut aussi préciser que les coûts de communication pour faire connaitre nos produits, leurs qualité et spécificités sont importants et que les budgets actuels sont largement insuffisants et/ou trop contraignants lorsqu’il s’agit de budgets européens malgré la très nette amélioration du nouveau règlement européen. Avoir de nouveau une vision politique à moyen/long terme comme cela a été le cas à la fin des années 50 / tout début des années 60 avec la création de Sopexa mais aussi de la DPA du CFCE pour refaire de la France le premier pays agricole et agroalimentaire de l’UE serait la bienvenue.

Evidemment que je partage et... appuie la recommandation. Et pour même aller plus loin sur la "stupidité" de la dispersion des moyens, un exemple, un seul... Les Viandes racées. Parce qu'il faut "faire plaisir à tout le monde" (ou ne vexer personne, ce qui est au final la même idée), regardez donc un peu les publicités pour les races à viande ou écoutez les spots radio... Mentionnant toutes les races et diluant la force de chacune. Inefficace. 

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