Crise sanitaire, crise sociale : à la recherche d’une nouvelle victime expiatoire ? 3/3 -Paula Garzon-
Peut-on échapper à la fatalité des théories complotistes et de désignation de boucs émissaires qui accompagnent souvent les crises majeures ? Ce troisième et dernier article explore quelques pistes.
Réinventer le welfare state
Les instruments de politique sociale qui ont été mis en place après 1945 doivent être réformés ou substitués par d’autres dispositifs destinés à éviter la marginalisation et la paupérisation des citoyens et groupes sociaux confrontés à la fois à une pénurie du travail et à un effondrement des revenus. En France, il s’agit de redéfinir la politique familiale (éventuel abandon des allocations pour les familles à haut revenu, refonte des aides au logement), les mécanismes d’indemnisation du chômage et les systèmes de minimas sociaux. Le premier objectif du nouveau welfare state doit être de garantir à toutes les populations vivant sur le territoire et exposées à la pénurie de travail, un revenu minimum garanti et accessible à chaque période de la vie lorsque les revenus d’activités disparaissent ou s’effondrent.
La création et la mise en place d’un revenu universel tel que proposé par le think tank Génération Libre[1] semble être ici une réponse adéquate à la fois aux besoins de la société et aux contraintes financières de l’Etat. Le revenu universel, viendrait se substituer au RSA[2], aux allocations et à la prime pour l’emploi. Il fonctionnerait comme un impôt négatif qui décroîtrait de façon totalement linéaire avec l’augmentation des revenus. Il serait de 480 euros par mois par adulte, de 270 euros pour les 14-18 ans et de 200 euros pour les moins de 14 ans. Il serait financé par la mise en place d’un impôt sur tous les revenus, dès le premier euro à un taux fixe de 23 %, qui viendrait remplacer l’impôt sur le revenu. Il serait calculé de façon mensuelle. D’après leurs estimations cette nouvelle organisation n’entrainerait pas de dégradation des finances publiques.
Le rôle de l’Etat face à la pénurie de travail ne se limite pas à une action sociale renouvelée. Les pouvoirs publics nationaux, et européens, doivent mettre en place des politiques d’incitation et de soutien à la fois aux nouvelles productions de biens et de services qui correspondent à l’essor d’une « économie du vivant » (agriculture, alimentation, bio-industries, prévention des risques écologiques, nouvelles énergies, préservation des ressources naturelles, construction civile, nouvel urbanisme) ainsi qu’aux entreprises en mesure de répondre aux besoins émergents de la société. Ce soutient sera soumis à deux conditions : permettre de répondre aux nouveaux besoins créés par la crise et l’intégration du respect des contraintes environnementales.
Le Covid-19 est venu bouleverser nos modes de vie. Ce bouleversement se poursuivra après la fin du confinement, car tant que nous n’aurons pas de vaccin contre le virus, nous devons continuer à nous protéger (de multiples façons) contre le risque de contamination et devrons ainsi changer et adapter nos modes de vie. Les entrepreneurs sont ceux qui maitrisent le mieux l’inversion du raisonnement, auquel nous sommes contraints dans la situation actuelle : ils partent d’un problème, d’une contrainte, d’une douleur, pour trouver une solution optimale, en termes de moyens déployés mais également de ressources utilisées. Le soutien aux entreprises émergeantes permettant d’augmenter la production de masques, d’appareils respiratoires ou permettant d’apporter des solutions aux nouvelles contraintes (logistiques, humaines, de communication et d’organisation du travail), sera également une façon de soutenir la création de nouveaux emplois, et donc de réduire les tensions sociales.
L’importance d’une réponse européenne
Cette crise représente une réelle opportunité pour l’Union Européenne (UE). Au de-là de la réponse monétaire et des difficultés de trouver un consensus autour d’une réponse budgétaire commune, cette crise représente surtout l’opportunité de renforcer la coopération entre les Etats membres.
Par exemple, en ce qui concerne les conventions transfrontalières de coopération sanitaire ou médico-sociale[3] qui pour l’instant sont principalement bilatérales, elles pourraient se transformer et donner naissance à l’Agence Européenne de la Santé. Cette agence permettrait de structurer et généraliser les coopérations que l’on a pu observer, comme le transfert de patients dans les zones transfrontalières. Mais elle devrait surtout permettre de créer des synergies aussi bien financières qu’intellectuelles dans la recherche fondamentale, concernant la recherche sur le SARS-CoV-2 à court terme, mais d’autres domaines plus larges donnant ainsi naissance à une recherche de pointe grâce à la mutualisation des connaissances des pays européens.
La crise actuelle va inévitablement exacerber les nationalismes qui revendiqueront la relocalisation des chaines de production, notamment dans une logique de « récupérer des emplois ». L’Union Européenne a un rôle pivot à jouer ici afin d’apporter une réponse économique permettant la réorganisation de l’appareil productif. Pour des raisons économiques évidentes (notamment le coût de la main d’œuvre dans les pays développés) il est impossible de relocaliser la totalité des chaines de production se trouvant en Asie. De telles mesures rendraient beaucoup de produits (à commencer par les médicaments) totalement inaccessibles aux classes moyennes. Néanmoins, il est de la responsabilité des institutions européennes de mettre en place la reconstruction des chaines de valeur à l'échelle européenne pour des productions stratégiques (équipements de soins, productions alimentaires...) en tenant compte des spécialisations des pays membres, de leurs potentiels et de leurs besoins. La création de ces synergies permettra notamment de limiter la hausse des coûts de production grâce aux économies d’échelle et de préserver dans une certaine mesure le pouvoir d’achat des ménages européens.
La nécessité d’une transmutation sociale
L’ampleur à la fois de l’incertitude ainsi que des nouveaux défis générés par cette crise impose une nouvelle réorganisation sociale. S’il est tout à fait légitime d’attendre de la part de l’Etat une plus grande intervention en termes de protection sociale et de stimulation de l’économie, il demeure néanmoins indispensable de modifier la dynamique sociale interne à la société française. La refonte et l’accroissement de la protection sociale apportée par l’Etat octroie davantage de liberté aux individus et permet d’établir un nouveau contrat social : l’acquisition de nouveaux droits sera accompagnée de nouvelles obligations.
Ainsi, les populations ayant le plus de risque de perdre leur emploi à cause de cette crise devront faire preuve d’une plus grande souplesse pour se reconvertir vers les nouveaux emplois qui seront également créés pour répondre aux besoins générés par cette même crise. Il ne s’agit pas de voir dans l’Etat une entité paternelle qui subvient à nos besoins, il s’agit également de prendre sa part de responsabilité dans la dynamique sociale.
La métaphore de la guerre utilisée par les chefs d’Etat en début de confinement a pu paraitre excessive par l’absence d’ennemi physique et du non déploiement de l’armée et des armes, elle semble néanmoins très juste face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Malgré l’absence de bombardements et de champs de guerre, les nouvelles contraintes qui nous sont imposées par ce virus (que nous connaissons encore très mal), nous empêchent de pouvoir reprendre nos habitudes et l’activité comme avant le confinement sans procéder à aucun changement. Dès la fin du confinement il sera nécessaire de mettre en place une véritable stratégie de reconstruction de l’économie et de la société française. Pour que cette reconstruction puisse être à la fois rapide et efficace nous devons changer notre paradigme culturel et social et passer de l’opposition et la confrontation vers plus de coopération, et ce, à tous les niveaux de la société. Cette transmutation sociale passera inévitablement par des changements radicaux comme la réduction maximale de la bureaucratie. La fluidification du processus de prise de décision permettra de passer d’une société pyramidale à une société en réseau dont le fonctionnement organique augmentera la capacité de résilience de notre société.
Conclusion
La crise sanitaire en cours et les prochaines crises de même nature, confrontent la puissance publique nationale et l’Union européenne à des défis colossaux. Ils représentent néanmoins des opportunités extraordinaires pour les responsables politiques. Si ces derniers parviennent à révolutionner l’action publique en suivant les orientations esquissées ici, ils peuvent retrouver la légitimité qu’ils sont en train de perdre, rénover la démocratie et l’éloigner des menaces populistes.
« Ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit, ni le plus intelligent. C’est celui qui sait le mieux s’adapter au changement. » Charles Darwin
[1] « LIBER un revenu de liberté pour tous » Marc de Basqulat, 2014
[2] Revenu de Solidarité Active (RSA)
[3] https://www.cleiss.fr/docs/cooperation/index.html
Directeur Val de Loire Fruits et Légumes et Hexavalor
4 ansCe que vous décrivez en1ere et 2nde partie est malheureusement très inquiétant pour l'avenir et j'ai bien peur que les embryons d'optimisme de votre 3eme partie ne soient balayés par le manque de courage politique. En tout cas bravo et merci pour cette analyse.
Consultant spécialisé économie et politique au Brésil
4 ansTrès bien. Au moins, on n'est pas ici dans les propos convenus, répétés et rituels sur la crise sanitaire. On souhaite que les responsables politiques passent par Linkedin et s'arrêtent à la page "Paula Garzon". Cela leur fera du bien.
Vous négociez pendant des heures, et pourtant rien n'est appliqué ? | Négociez sans confrontation et sans vous arracher les cheveux | Négociation & Prise de décision |
4 ansNadalette La Fonta-Six Jean-Yves Carfantan Sophie Stallini Malick Baulet Maxime Sbaihi Daniela ORDONEZ Anne Hidalgo Elisabeth S. Moreno