Cristallisation de la stratégie de Triangulation en Afrique
credit TABC 2022

Cristallisation de la stratégie de Triangulation en Afrique

L’Afrique est souvent présentée comme la dernière frontière de la prospérité. 54 pays, 1,3 Milliards d’habitants avec un PIB total de 2.600 Milliards US$ en 2019, l’Afrique affiche le taux de croissance continental le plus élevé de la planète (4% en 2021 selon la Banque Mondiale). Elle reste néanmoins la région la plus touchée par la sécheresse, la famine et la pauvreté (41% de la population subsaharienne vit en dessous du seuil de pauvreté). Cela nous fait presque oublier que c’est la partie du monde qui a le plus généreusement contribué au développement des autres parties du monde dans le passé, et c’est encore elle qui va porter le gros de la croissance mondiale des prochaines décennies. 

En se laissant exploiter comme source de matières premières, de produits agricoles et de main-d'œuvre (depuis le temps de l’esclavagisme et par la suite le colonialisme), les pays africains contribuent davantage à la prospérité des autres pays qu’à la leur. En guise de compensation, une aide au développement fournie par les pays industrialisés, s’est mise en place via des agences et institutions financières internationales. Force est de constater que cette approche a in fine maintenu l’Afrique dans un carcan néocolonial et produit une forme de dépendance qui réduit voire neutralise le bénéfice attendu de ces aides.

Il est donc naturel de chercher de nouvelles stratégies de développement et de nouvelles approches de coopération, avec des règles plus favorables aux africains, appelés désormais à prendre en main leur destin de continent du futur. Parmi les nouvelles approches de développement, le Conseil d'Affaires Tuniso-Africain (TABC) a largement fait écho à la stratégie de Triangulation, dont ci-après une tentative de définition et des illustrations reconstituées en grande partie à partir des échanges et débats enregistrés lors du FITA 2022. 

A propos de la stratégie de Triangulation

L’économie mondiale est en train d’évoluer vers un nouveau modèle marqué par la digitalisation, la porosité des frontières et l’interdépendance climatique et sanitaire. Tous les pays cherchent désormais à assurer leur souveraineté, non seulement sur leur territoire physique mais aussi sur leur patrimoine intangible, comme les systèmes d’éducation ou de santé publique. Protéger leur population, sécuriser leur alimentation, maîtriser les coûts de la vie et réduire l’impact des activités humaines sur l'environnement nécessitent non seulement de recourir à l’état de l’art de la science et technologie, mais aussi de coopérer avec des pays tiers pour développer une capacité collective plus forte que la somme des capacités individuelles. D’autant qu’aucun pays ne peut, seul, lutter contre les effets du changement climatique ou encore contre une pandémie.


La Triangulation prend ainsi tout son sens et apporte une réponse concrète à cette préoccupation. Elle va au-delà d’un partenariat classique entre acteurs économiques, où chaque partenaire opère dans son champ de compétences et à partir de son territoire. Elle peut être définie comme une approche de co-développement selon laquelle, des écosystèmes de plusieurs pays, joignent leurs capacités et ressources pour construire des synergies permanentes et non exclusives dans un domaine ou une filière spécifique. 

A titre d’illustration, on parlera de triangulation lorsque un écosystème de la construction d’un pays comme le Japon  se rapproche de celui de la Tunisie, pour développer un tiers écosystème en Afrique Sub-Saharienne, avec à la clef un transfert de technologies, un partage des bonnes pratiques, ou encore une normalisation du secteur dans la région ou le pays cible.

Il est à noter que le Japon était très présent lors du FITA2022 (en prélude à l’organisation en Tunisie du sommet TICAD8) et a fait valoir ses réalisations en Afrique, qui couvrent en général toutes les phases des projets d’investissement, depuis l’étude, le financement jusqu’à la mise en œuvre et l’exploitation.  Vu la complexité des projets recherchés dans les domaines clefs tels que la santé, l’énergie et l'infrastructure, la stratégie de coopération multilatérale est appelée à évoluer vers une forme de triangulation avec une plus grande implication des secteurs public et privé (PPP institutionnel élargi). La finalité ultime de cette stratégie de Triangulation est d’élargir le champ de compétences de l’ensemble des parties prenantes tout en connectant l’ensemble des territoires, en vue de produire un co-développement durable et équitable. 

La Triangulation pour défragmenter les chaînes de valeur en Afrique

La Triangulation conjuguée à l'intégration régionale présente par ailleurs une réelle opportunité de défragmentation des chaînes de valeurs en Afrique. Pour bien préciser le concept de défragmentation, il ne s’agit pas seulement de viser une adéquation dynamique entre l’offre et la demande, en réduisant les temps de cycles et les coûts logistiques. Il s’agit surtout de privilégier une industrie locale pour couvrir en priorité les besoins des marchés de proximité, tout en évitant les activités ou les intrants à coût social ou environnemental élevé. Le recours à l'innovation technologique en plus, peut favoriser une exploitation intelligente des ressources et renforcer le développement d'une économie basée sur le savoir.

Ceci permettra de développer une industrie ancrée dans les territoires, sans nuire à l’environnement, en faisant valoir en première ligne des écosystèmes d'affaires à impact sociétal positif, et cela dès la phase de conception jusqu’à la commercialisation et la destruction des produits en fin de vie. 

A titre d’exemple, la Tunisie a longtemps misé sur le tourisme balnéaire low cost, avant de basculer plus récemment vers un modèle plus innovateur, appuyé par un écosystème Tourisme d’une nouvelle génération, qui regroupe non seulement les professionnels du secteur mais aussi la société civile. Le processus participatif mis en place permet de faire valoir un tourisme inclusif, résiliant, préservant l’environnement et associant la population locale. Le succès de ce modèle donne à l’écosystème tunisien la possibilité de s’associer à d’autres écosystèmes pour explorer d’autres territoires, y compris dans les régions enclavées du pays avant d’aller ailleurs en Afrique. L’activation et l’interconnexion d’écosystèmes qui réunissent des professionnels de l’investissement, de l'hôtellerie et restauration, du transport, de la culture et du marketing, méritent d’être mis en valeur dans le cadre d’une stratégie de Triangulation.

La Triangulation pour consolider le bouclier sanitaire africain

Avec la COVID19, les chaînes d'approvisionnement mondiales ont subi une vaste reconfiguration afin de privilégier les délais à cycle court tout en veillant à développer l'autonomie régionale au détriment de la globalisation. Bon nombre d’industriels ont fini par redéployer ou cesser certaines activités, menant à la récession économique que nous connaissons, exacerbée par les restrictions dues à la crise sanitaire, en plus des conflits commerciaux entre blocs économiques, à l’instar de celui qui oppose l’UE au MERCOSUR, ou encore les USA à la Chine, sans parler des effets négatifs attendus de la guerre entre l’Ukraine et la Russie.

Sans innovation, l'Afrique ne pourra pas engager le rattrapage technologique conduisant à une meilleure planification de l'urbanisation et au renforcement des systèmes d'éducation et de santé publique. L'intérêt de rejoindre un bloc économique uni ne se justifie que s'il apporte des fruits palpables à l'ensemble de la population. Et s'il donne aux entrepreneurs africains, ceux de la diaspora en particulier, la chance d'investir dans leur patrie et de contribuer à transformer la réalité économique de leur pays. L'intégration économique est corrélée à l'intégration technologique. 

Ceci est particulièrement vrai dans les zones de conflit ou post guerre, comme c’est le cas de la Libye. La fertilisation transfrontalière induite par les transferts de technologie et la mutualisation des investissements sera déterminante pour accélérer la reconstruction du pays sur une base solide. Le partenariat triangulaire gagnant-gagnant entre la Tunisie, la Libye et la Corée du Sud mérite à ce titre d’être montré en exemple. La règle du jeu de triangularisation couvre tous les aspects, depuis la prospection, jusqu’à l’identification de l’opportunité d’affaires ou d’investissement, l’instruction et l’étude des projets et enfin la proposition officielle avec la garantie de résultat.

De simples comptoirs de matières premières à des bourses continentales de commodités africaines

L’Afrique peut et doit veiller à produire sur son sol de quoi nourrir les africains sans compromettre l’avenir des générations futures.

Or le continent est en train de perdre sa vocation rurale, puisque le taux de population urbaine est de 59 % en Afrique australe, 51 % en Afrique du Nord, 45 % en Afrique de l'Ouest, 42 % en Afrique centrale et 24 % en Afrique de l'Est. Cela impacte la sécurité alimentaire et modifie considérablement les habitudes de consommation qui deviennent de plus en plus dépendantes de produits importés. La recherche devrait focaliser sur les politiques d’urbanisation qui ne mettent pas en péril la capacité agricole.

La création de places de marché agroalimentaires continentales en Afrique pourra structurer l’offre et la demande et assurer un équilibre entre la production et l’écoulement de commodités locales comme l’huile d’olive, les dattes, la tomate, l’arachide, le cacao ou encore le coton, très prisées sur le marché africain déjà. Plus concrètement, il s’agit de monter une Bourse continentale de commodités agroalimentaires standardisées et codifiées, adossée à des routes commerciales pouvant capter les flux d’échanges inter-africains. Ceci nécessite de nouvelles stratégies et capacités logistiques et industrielles, en plus de la modernisation du système financier, pour mettre les pays africains au diapason des accords de coopération (UMA, COMESA,...).

Il est à noter que l’ITFC soutient activement les projets d’infrastructure et œuvre pour la mise en place de facilités pour le développement du commerce transfrontalier. La nouvelle stratégie de l’ITFC s’inscrit aussi dans l’esprit de la triangulation et consiste à offrir des services intégrés au commerce, et qui comprennent de l’assistance technique en plus du financement des opérations commerciales.

De circuits de commerce extravertis vers des corridors intra-africains

L'Afrique cherche sa voie vers la prospérité. Chemin faisant, le continent apprend à compter sur ses propres ressources, tout en veillant à sauvegarder son patrimoine écologique et culturel. La prospérité devient ainsi le fruit de la diversité et la valorisation du patrimoine séculaire ! 

A l’instar de l’Union Européenne, qui a germé sur la vision initiale d’une communauté du charbon et d’acier, l’Afrique unifiée a besoin de se construire autour d’une communauté d’énergie (forcément renouvelable) et de commodités (essentiellement agricoles). Avec le pacte  d’intégration régionale, ZLECAf, la Triangulation prend tout son sens en Afrique et pourra servir de moteur d’accélération de la transformation productive, boostant ainsi l’investissement dans des industries locales appuyées par des politiques commerciales facilitant les échanges commerciaux et préparant une liberté totale de circulation des Hommes, des biens et des capitaux. 

A ce propos, Afreximbank donne le bon exemple en offrant en plus des services de financement des opérations commerciales, un accompagnement à l’internationalisation des entreprises africaines en Afrique. Une forme germinale de la Triangulation qui donnera ses fruits dans une prochaine génération. 

Les corridors logistiques concernent aussi les flux d’information. La labellisation de la production “Made in Africa” peut désormais bénéficier de la plateforme PAPS (Pan African Payment Settlement)  développée par l’Afreximbank. Un actif important à la portée de la communauté d’affaires africaines.

Afin de sortir de la configuration extravertie de son commerce, héritage de l’époque coloniale, et de se positionner comme une zone économique intégrée et prospère, l’Afrique a besoin d’investir sur une infrastructure transport et logistique intra continentale de qualité, avec des modèles économiques inclusifs et durables. C’est le cas par exemple de la route Transsaharienne qui va bientôt relier Alger et Tunis à Bamako, Niamey, N’Djamena et Lagos. Les questions cruciales qui se posent à ce titre sont comment entretenir cette infrastructure transfrontalière et avec quel modèle de revenus. Chaque pays bénéficiaire exerce son autorité sur son sol et son engagement est donc limité au nombre de km qui sont sur son territoire. Or, il suffit qu’un des pays soit défaillant pour que le corridor se referme, ce qui interpelle à la création d’une autorité sur tout corridor transfrontalier avec une gouvernance globale responsable et partagée. Sachant que la rentabilité de tels projets découle de la multiplication des flux des échanges, y compris triangulaires, avec des pays africains ou non africains, en cherchant à optimiser les circuits et les coûts logistiques, tout en veillant à réduire l’impact sur l’environnement.

Vers un plan énergétique continental vert et inclusif

L'Afrique a besoin de technologie pour bien exploiter son stock inépuisable d'énergie renouvelable qu'elle soit hydroélectrique, solaire, éolienne ou géothermique. Il lui reste à trouver les moyens scientifiques et financiers de construire des plans énergétiques. En règle générale, ces projets à forte intensité de capital se prêtent au partenariat public-privé. Sachant qu’il faudrait encourager les innovations dans ce domaine, et développer des écosystèmes efficaces grâce aux transferts de technologies et coopération technique et scientifique avec les pays les plus développés en la matière. 

A titre d’illustration, la Tunisie affiche comme bon nombre de pays un grand déficit énergétique, et cherche à promouvoir un mix énergétique avec des sources renouvelables. La recherche d’une approche basée sur une réconciliation entre les meilleures technologies et l’accès au financement pousse ainsi le pays à recevoir avec bienveillance les propositions de triangulation, pour non seulement consolider l’écosystème Énergie local mais aussi aborder des territoires nouveaux en Afrique. C’est une manière de rendre les investissements attractifs et rentables. La synergie entre pays africains demande une action collective, intermédiaire entre les agendas nationaux et l'agenda mondial pour la transition énergétique, et une préparation commune en amont d'événements majeurs tels que la COP 27, dans le respect des agendas et priorités nationales souveraines, en gardant à l'esprit la grande diversité des situations énergétiques et Stratégie et effort conjoint pour lever et sécuriser les fonds importants nécessaires.

Pour la création d’un Fonds de Fonds Continental de Triangulation

Aucune politique de développement ne peut réussir sans vision d’un idéal et devenir communs.  La Triangulation peut justifier la mobilisation de moyens financiers avec des sources alternatives pour accompagner le co-développement et la transformation productive des 54 pays du continent. D’où la recommandation de création d’un Fonds de Fonds Continental de Triangulation, sous la houlette d’une agence africaine. Sa mission sera l'accélération des projets d'intégration régionale et le co-développement durable, vert et inclusif en Afrique. Ceci permettra de développer des synergies et interconnecter des capacités industrielles et logistiques entre les pays, en faisant valoir en première ligne des écosystèmes d'affaires à impact sociétal positif, et cela dès la phase de conception jusqu’à la commercialisation et la destruction des produits en fin de vie. 

Voici venu le temps pour l'Afrique de s’assumer et de formuler ses propres politiques de développement. Cependant, pour que la Triangulation ait un impact positif et équitable sur les pays partenaires, elle doit reposer sur une stratégie adoptée et comprise par l’ensemble des parties prenantes. Et comme dit la sagesse africaine, “Seul on va plus vite à plusieurs on va plus loin". Avec la Triangulation, la plupart des pays africains, même en rangs dispersés, devront y arriver.

Simon TEDGA

Directeur de la collection. " D'ici et D'ailleurs chez Apopsix chez APOPSIX

2 ans

Les bonnes idées pour le développement de l’Afrique sont présentes dans l’article sur la triangulation cette expression qui rappelle le triste commerce triangulaire qu’aucun Africain du Sud du Sahara n’aimerait revivre. Les Africains ont besoin d’IDE pour se développer. Il faut rendre leurs pays attractifs et rien n’est fait par les dirigeants pour attirer les étrangers chez eux car leur gouvernance est caractérisée par la corruption, la gabegie, le non respect des libertés…. Les pays de l’Afrique australe qui sont gérés selon les règles de la démocratie et dont les villes offrent des conditions de vie favorables à une installation dans un écosystème sécurisé bénéficient de l’apport des IDE dans leurs économies. L’idée d’associer le Japon à la Tunisie et former un triangle avec l’Afrique subsaharienne me semble dépassée pendant la ZECLAF se met en place et fonctionne très bientôt avec huit pays parmi lesquels l’Egypte, le Kenya, le Ghana et le Cameroun. Les Africains ont enfin un cadre qui permet d’augmenter le taux d’échanges commerciaux intégrés au continent au-delà des 18% actuels. Le commerce des biens n’est pas le seul atout de la Zeclaf elle permet aux sociétés africaines de se développer en s’implantant plus facilement.

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