Démystifier le rôle du bouc émissaire en entreprise 2/3 : victime, passage à l'acte et lutte
L'envoi du bouc émissaire, William Webb, 1904

Démystifier le rôle du bouc émissaire en entreprise 2/3 : victime, passage à l'acte et lutte


Nous avons vu dans la première partie[1], les aspects relatifs aux origines du phénomène de bouc émissaire en entreprise, aux motifs qui y conduisent, ainsi que les principaux types d’agresseurs. Voyons maintenant ce qu’il en est des victimes, de l’action au moment fatidique, et comment nous pouvons limiter l’émergence d’un tel processus.


Le choix de la victime

La victime présente des caractéristiques distinctives. Premièrement, elle est facilement identifiable et accessible. Tout comportement qui semble indiquer une transgression d'un code moral est une source caractéristique de choix.

Deuxièmement, la victime choisie a peu de possibilités de représailles. La principale raison est parce que le persécuteur est généralement plus fort mais cela peut être aussi parce que les forces de la victime ont déjà été minées ou qu’elle ne peut pas répondre. Enfin, par lassitude ou simplement par nature, le bouc émissaire peut accepter toutes les accusations.

De plus, la victime qui a déjà été l'objet de reproches est idéale aux yeux du persécuteur. Bien qu'elle puisse être innocente dans le cas présent, une hostilité latente envers celle-ci favorise le passage à l’acte de l’agresseur.

Enfin, la victime peut personnifier une idée ou un groupe que l’assaillant veut attaquer. Ainsi la charge sera portée contre le leader qui représente le groupe, l’individu qui représente l'idée ou, de manière plus diffuse, le groupe qui représente le leader.


Les réponses de la victime

La victime a trois grandes catégories de réponses. Outre le déni, elle peut :

D’une part, se conformer aux exigences. Elle peut obéir ostensiblement ou assumer intérieurement une attitude de résignation. Parfois elle se contente d’obtenir une satisfaction grâce à un fantasme irrationnel.


D’autre part, la victime peut tenter de résister. Il faut, dans ce cas, différencier les tactiques visibles de celles plus psychologiques.

Extérieurement, la victime peut résister à travers l’assimilation, l’action (telle que la recherche d'une législation protectrice), la riposte (contre le persécuteur ou déplacée vers un « objet » tiers) ou l’appel à la sympathie et au fair-play envers une personne ou un groupe tiers.

Intérieurement, elle peut renforcer son sentiment d'appartenance au groupe dont elle et le persécuteur font partie, en étant plus solidaire. Elle peut aussi chercher temporairement un sentiment de sécurité dans l'espoir d'un avenir meilleur. Enfin, elle peut adopter une philosophie de régénération ou d'expiation dans laquelle la persécution prend son sens.


Le terreau fertile du phénomène

La forme que prendra le déroulement des évènements dépend de plusieurs facteurs. Ainsi, si l’on met de côté l’aspect circonstancier de l’environnement, l'intensité de la provocation immédiate est importante. L’état de colère, le pouvoir du persécuteur et le type de provocation ont un poids non négligeable.

Aussi, l'intensité des attitudes accumulées et non relâchées (de la peur, de la frustration, de la culpabilité) et des préjugés antérieurs de protagonistes dimensionnera la forme de la manifestation.

De plus, le conflit moral intérieur, a priori pour l’agresseur et a posteriori pour sa victime quant à sa réponse, n’est pas à négliger.

Parallèlement, la peur de représailles, des deux côtés, est aussi à prendre en compte.

Le passage à l’acte

L’action physique est, bien sûr, l’élément le plus saillant du passage à l’acte. Il s’agit de violences personnelles, de discrimination sociale forcée comme la ségrégation d’une mise au placard, de discrimination économique forcée comme le travail contraint et des heures supplémentaires ici injustifiées ou encore des persécutions juridiques et autres actions stigmatisantes.

 

L’agression peut aussi être verbale via des rumeurs calomnieuses, des blagues déshonorantes, des accusations injustes, des injures, insultes et autres dévalorisations, ainsi que des menaces. De ce fait la taquinerie est « borderline », dépendante de l’état d’esprit du taquin et de la personne taquinée.

Enfin, le fantasme est un élément important car la pensée est souvent précurseur de l'action.

On retrouve ici toute l’attirail du racisme, du sexisme et des autres types d’actions qui cherchent à dégrader l’Autre.

 

Lorsque le phénomène est « institutionnalisé », il se déroule selon un code tacite, accepté aussi bien par le persécuteur que par la victime et le spectateur. Ainsi, dans des circonstances suspectes mises au grand jour, il est pratique de « mener une enquête » et de « virer le coupable ». Souvent, il n’y a pas de coupable « incarné » car la source du problème est typiquement systémique, mais quelqu’un doit porter le blâme.


Méthodes de lutte contre le phénomène de bouc émissaire

En tant que dirigeant, manager ou accompagnant (que cela soit dans un rôle RH en interne ou comme conseiller, coach ou mentor externe) ou tout simplement en tant que personne vivant dans un environnement social, les actions autant préventives que curatives semblent reposer sur le triptyque psychosocial suivant :

  • Au niveau de l’individu, l’éducation à la connaissance de soi implique de clarifier le mécanisme de projection, de comprendre ses motivations personnelles et d’en identifier les dangers potentiels.
  • Au niveau relationnel, l’éducation pour la compréhension de l’Autre parait être la clé. Puisque les préjugés conduisent à désigner des boucs émissaires, il faut arriver à maitriser les moyens d'éliminer les préjugés. Outre le côté idéal d'une telle posture, il s’agit, plus concrètement de s'abstenir de propager des préjugés, de favoriser la compréhension culturelle et d’augmenter les contacts entre différents groupes. Ainsi, la participation à des projets communs récurrents est une manière assez efficace.
  • Au niveau situationnel, il faut arriver à identifier les conditions qui conduisent à la désignation de boucs émissaires. A la base, se trouve l'insécurité qui engendre frustration et peur. Ainsi, l’élimination d’une concurrence interne lorsqu’elle n’a pas lieu d’être, la confirmation de la sécurité professionnelle des acteurs et la définition d’une adaptation professionnelle appropriée sont trois mesures qui peuvent aller dans le bon sens.



Nous verrons la semaine prochaine dans le troisième et dernier volet de ce triptyque consacré au rôle de bouc émissaire, comment développer ces méthodes de lutte dans le milieu professionnel et quelles conséquences cela a sur la performance et le bien-être au travail.


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[1] https://www.integrativestrategy.fr/boucemissaire13/

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