Dax, l'arène des thermes

Dax, l'arène des thermes

Ville manichéenne arborant deux visages, Dax se repose toute l’année pour exploser de mille feux pendant cinq jours… ou l’inverse. Mélange idoine entre bien-être et art de vivre, la petite cité landaise est un paradoxe qui a solidement construit sa réputation sur de la boue. Voyage singulier entre féria et thermalisme.

Féria, bodega et toros

Pour connaitre une ville dans son essence la plus pure, il faut se plonger dans ses excès. Débarquer à Dax en fin août peut donner une certaine idée de ce qui constitue, en partie, son identité. Pourtant pas familière de l’océan, la cité landaise vit à cette période de l’année au rythme de la marée. Une immense vague humaine de festayres, tout de blanc vêtus, ceinture et foulards rouges, qui ondule toute la journée au rythme vibrant des cuivres, des bois et des percussions aux mains des bandas, ces orchestres folkloriques et ambulatoires qui donnent le ton des fêtes du Sud-Ouest. Cette fête, ce n’est pas n’importe laquelle. C’est la féria de Dax.

En naviguant au gré des bodegas et des rues, devenues piétonnes, on croise une gigantesque foule fiévreuse de festivaliers de tous âges et tous horizons qui transforment la ville en immense piste de danse et gigantesques terrasses. Inutile de préciser que la soif est étanchée plus que de nécessaire. Les estomacs se régalent de spécialités, toutes régionales, servies sans ambition ni simagrées dans un joyeux bazar organisé. Au menu : l’inévitable canard landais, mais aussi pêle-mêle, du bœuf de Chalosse, de l’axoa de veau et, oh surprise, de la daube de toro.

Le bovidé à cornes est un élément central de l’identité dacquoise. Inévitablement inspirée de la culture espagnole, la tauromachie se pratique ici à l’année, principalement sous forme de courses landaises. Les premières traces de la pratique dans le Sud-Ouest remontent au XIIIèsiècle, mais la discipline se distingue de sa sœur espagnole par l’absence de mise à mort de l’animal, et de sa sœur française par l’utilisation quasi exclusive de vaches landaises plutôt que de taureaux de Camargue. Confortablement assis dans les gradins des arènes au style mauresque et au blanc aveuglant sublimé par le soleil d’août, les spectateurs admirent les sauteurs et les écarteurs. Ces voltigeurs des temps modernes, vêtus de leur boléro de parade coloré et brodé de paillettes, sont des petites célébrités locales dont la simple évocation de leur nom suffit à déclencher les salves d’applaudissements d’une foule de connaisseurs.

Vache et homme dans une chorégraphie frénétique s’évitent, se cherchent puis finissent par offrir un moment de grâce : se chargeant mutuellement, le sauteur finit par effectuer un saut périlleux. Le temps s’arrête, la magie opère. Un instant plus tard, les pieds du sauteur atterrissent et soulèvent la poussière. La fin est brutale, mais Dax doit à présent se démaquiller et se reposer.

Et soudain, les rhumatismes d’un chien…

Août et sa fièvre ont laissé place à un petit automne discret. Dax est calme, presque méconnaissable pour un profane. La ville au naturel est timide, elle a quelque chose d’émouvant. Les rues sont colorées mais silencieuses. Personne ne se douterait que, quelques semaines auparavant, des milliers d’âmes recouvraient bruyamment ses trésors. Le plus emblématique d’entre eux n’est autre que la Fontaine chaude. Cet édifice, bâti entre 1814 et 1818 dans le plus pur style néo-classique, recèle un bien précieux : la source Nèhe, du nom d’une déesse nordique des eaux. Cette source, dont ses eaux chaudes jaillissent des profondeurs pyrénéennes à près de 64°C, est à l’origine de l’épopée thermale de Dax.

Pour comprendre le présent, il faut se plonger dans le passé et ce bond en arrière nous amène au Ier siècle avant notre ère. Les Romains qui dominaient l’Europe s’installent sur la zone qu’ils baptisent Aquae Tarbellicae (les eaux des Tarbellles), du nom d’un peuple aquitain qui y était implanté. Une légende tenace raconte qu’un légionnaire romain aurait découvert les vertus curatives de l’eau grâce à… son chien malade et perclus de rhumatismes. Contraint de partir en mission, il souhaite se débarrasser de son compagnon pour lui éviter un monde de souffrances. Il l’aurait alors jeté sans ménagement dans les eaux de l’Adour pour le noyer. Il aurait eu la surprise, au retour d’une campagne militaire, de retrouver son chien en vie et surtout miraculeusement en pleine santé guéri par les limons et les boues de la rivière. Le thermalisme à Dax est né.

Bien qu’amusante, cette légende n’est qu’une gentille fable. Il n’y a aucune preuve tangible d’un thermalisme antique du côté d’Aquae Tarbellicae. On suppose que les eaux chaudes de la source servaient à irriguer un complexe balnéaire mettant à profit la température de l’eau plutôt que ses vertus curatives.

Dax, toujours de boue

Il faudra attendre la Renaissance pour que les eaux soient finalement exploitées pour guérir certaines maladies comme la goutte ou la sinusite. Le thermalisme moderne apparaît à Dax à partir de la seconde moitié du XIXè siècle. A l’instar des bains de mer de Biarritz ou de Trouville, les études scientifiques établissent les vertus médicinales des eaux. Plus que l’air chargé d’iode, la cité dacquoise possède un petit quelque chose d’unique : la cyanobactérie de Dax.

La boue thermale, ou le célèbre péloïde de Dax, est une préparation scientifique élaborée depuis un mélange de produits naturels uniques au monde. C’est la résultante d’une rencontre ancestrale entre les remontées d’eau thermale et le limon des berges de l’Adour. De ce mariage sont nées les premières excavations boueuses naturelles du fleuve. Saupoudrez le tout d’un climat et d’un ensoleillement favorables qui maintiennent l’eau du fleuve à bonne température et vous obtenez l’algue bleue : la fameuse cyanobactérie de Dax. La présence de ces micro-algues dans le péloïde le rend unique et le différencie d’un simple mélange d’argile et d’eau thermale. Il n’existe pas de produit équivalent en France et il faut aller en Italie, à Abano, pour trouver un phénomène identique.

La pélothérapie consiste à recouvrir de péloïde de Dax les régions douloureuses du corps, comme les articulations. Peu après la cure, le patient constate une amélioration de sa mobilité, une diminution sensible, voire une disparition des douleurs.

Il faudra seulement quelques décennies pour que Dax étrenne son nouveau statut de première station thermale de France. La ville change de visage, elle s’offre un extérieur, met en poussière une grande partie de ses remparts, détruit son château médiéval et se dote d’équipement thermaux luxueux. Aujourd’hui, Dax héberge pas moins de douze établissements thermaux et accueille chaque année plus de 60 000 curistes, faisant de la petite cité landaise le leader du thermalisme.

Qu’il soit curiste ou festayre, atteint de rhumatismes ou féru de tauromachie, qu’il préfère l’eau thermale ou une bière un soir d’août, celui qui vient à Dax le fait pour ce que la ville lui offre de meilleur. Georges Moustaki aurait pu entonner cette philosophie, que nous avons quelques jours pour nous amuser et toute l’année pour nous reposer.

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