Un Royan de soleil

Un Royan de soleil

Bombardée et détruite quasi-intégralement en 1945, reconstruite de toutes pièces selon des normes architecturales avant-gardistes, Royan possède une identité urbanistique unique entre béton armé et inspiration tropicale. Balade au cœur de la folie des années 50.

La Renaissance de Royan

1600 bombes. 500 victimes. 1000 blessés. Royan détruite, Royan anéantie. Poche de résistante allemande, bombardée frénétiquement par les alliés, la cité atlantique se réveille ce 5 janvier 1945 en larmes et en cendres. Tout est à reconstruire. Après tout, Royan est un phénix, en 1631 Richelieu avait déjà fait raser la ville. Il lui avait fallu alors près d’un siècle pour retrouver sa place sur l’échiquier. Mais là, c’est différent, il va falloir changer quelque chose. Le traumatisme occulté, les plages déminées et les débris arasés, on se pose alors la question de la reconstruction : passé sécuritaire ou audace futuriste ? Les décideurs s’orientent vers la seconde solution en choisissant l’architecte bordelais Claude Ferret. Il serait galéjer de dire que ce dernier avait prévu à l’origine de faire de Royan un laboratoire futuriste de recherche urbanistique. D’abord planifiée dans un style « rationaliste », la reconstruction de la ville a vu son visage se transformer grâce à un magazine d’architecture consacré au Brésil.

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« Vous voyez, Ferret, Vous avez trois ans pour reconstruire cette ville. Si dans trois ans vous n’avez pas terminé, on vous fera fusiller… » Malgré ces paroles martiales de Dautry, alors maire de Royan en juillet 1945, Claude Ferret ne sera jamais passé par les armes. Il lui a fallu pourtant près de vingt-ans, et quelques manifestations d’habitants impatients face à la lenteur des travaux, pour achever la renaissance de Royan.

En 1947, les travaux débutent. Dératisation, démoustiquage, déminages et expropriations, la situation est précaire pour les habitants comme pour l’équipe d’architectes composée de Georges Vaucheret, René Coty, Louis Simon et André Morisseau, articulée autour de Claude Ferret. Dictés par la rapidité d’exécution, les plans du nouveau Royan épousent la forme courbée de la conche avec une artère principale perpendiculaire au rivage et qui coupe la cité en deux. L’ensemble se schématise par un arc dont la flèche pointe en direction de l’océan. Le plan d’urbanisation repose donc sur deux axes principaux : le boulevard Briand et le front de mer. Loin d’être innovants, à cette époque, les mouvements architecturaux qui dominent sont les Beaux-Arts et l’Art Déco. Deux styles propres aux années 1920 et 1930, comme figés par la guerre.

L’architecture moderne incarnée par Le Corbusier, contemporain de cette époque, était loin d’être entrée dans les mœurs. Ainsi, le projet novateur consacré à Royan, proposé par ce dernier ne fut pas retenu, à cause, notamment de constructions trop en hauteur et qui ne mettaient pas suffisamment en valeur la ville en tant que station balnéaire.

Royan de Janeiro

A quoi tient le visage d’une ville ? Partie classiquement comme ça, Royan aurait pu ressembler grossièrement à Saint-Dié ou à Falaise. Peuplée de barres de petits immeubles au garde-à-vous rangés sagement le long d’avenues larges et droites. Rien ne dépasse. La première tranche de travaux débute alors par le boulevard Briand, entre le marché et la mer. Les lignes sont sobres, aux fines moulures régionales et aux ouvertures verticales. Une sorte d’Art Déco remis au goût du jour, sans plus de fantaisies que ça.

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Quand soudain, Claude Ferret serait tombé sur une revue. Pour être à peine plus précis, il s’agit du numéro 13-14 datant de septembre 1947 du magazine L’Architecte d’aujourd’huiconsacré au tout nouveau quartier Pampulha, à Belo Horizonte au Brésil, bâti et pensé tout en vagues fluides et en audaces par Oscar Niemeyer, influencé lui-même par les nombreuses visites d’un certain… Le Corbusier. « Voilà ce qu’il nous faut » aurait alors dit Ferret.

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L’architecte convainc le maire, le ministre et une pléiade de jeunes architectes, 82 au total (!), sommés de s’y donner à cœur joie. Immenses baies, couleurs acidulées, rondeurs, tout est accepté tant que l’on use du vocabulaire de la modernité que permet le béton armé : auvents et balcons en porte-à-faux, claustras et pare-soleil ajourés, murs ondulés, percés ou inclinés, fenêtres-hublots, toits-terrasses et couleurs vives. Le front de mer de Royan devient un florilège d’architecture balnéo-brésilo-tropicale très années 1950. Les constructions pimpantes côtoient les anciennes villas en Art Déco de la Belle-Époque encore debout et épargnées par les bombes.

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Non loin de là, le marché central, classé monument historique depuis 2002, est une merveille bleue, jaune et blanche, avec sa voûte en voile béton d’un seul tenant, tel un coquillage délicatement renversé.

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Classée monument historique en 1988, l’église de Royan, elle, détonne complètement. Conçue par Guillaume Gillet, Notre-Dame, immense, grise, acérée en béton brut de décoffrage, est visible dans toute la ville. « Royan est une ville très horizontale », explique Charlotte de Charrette, animatrice du patrimoine et de l’architecture de la ville. « Le maire de l’époque aurait dit : “Redressez-la avec la silhouette de l’église”». Mais l’édifice est aussi une prouesse technique : aucune de ses structures ne fait plus de 10 cm d’épaisseur. C’est un voile de béton plié en forme de V. Croisement d’un silo à grain et d’une cathédrale gothique, austère dehors, sublime à l’intérieur, où l’on découvre une gigantesque nef en ellipse de 40 mètres de long zébrée du soleil des vitraux.

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Sans doute les habitants de l’époque hantés et traumatisés par la guerre avaient-ils la nostalgie de leur station balnéaire de style second Empire, la « splendeur de l’entre-deux guerres ». Claude Ferret lui-même en convenait : « Je n’ai pas construit pour les Royannais, mais pour leurs petits-enfants ». Et aujourd’hui, ils le lui rendent bien, comme la factrice « si vous saviez, je découvre encore de nouvelles merveilles tous les jours, et c’est un plaisir d’arpenter certaines rues ». A Royan, le béton armé est devenu un béton charmé.

Thierry Goossens

chargé d affaires professionnel chez CIC. Club 41 Royan

5 ans

Très bonne presention historique de la renaissance de Royan après guerre.

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