De la Conscience et de l’Inconscience de Soi…
Aujourd’hui j’ai vécu une aventure un petit peu particulière, qui me laisse interrogative quant à la « conscience » et « l’inconscience », de « qui l’on est »…. Vous allez comprendre pourquoi.
Je rentrais de Paris en train intercités, vous savez ceux qui s’arrêtent à plusieurs gares entre leur départ et leur terminus.
Une station avant la mienne, montent des passagers dont une jeune femme, une jolie et grande rouquine, qui avait sa place à côté de la mienne dans un carré de quatre. Des cheveux bouclés, des ongles tous vernis d’une couleur différente, une gabardine noire, étonnamment un sac à dos de lycéenne multicolore et un petit sac à main imitation Vuitton. Le contraste était déjà présent…
J’avais déjà fait tout le reste du trajet en face d’une jeune black très sympa avec qui l’on s’était seulement souri et saluées, et qui m’avait proposé de partager ses chips..ce que j’avais refusé par politesse, bien que j’avais faim..et qui était encore en face de moi puisqu’a priori elle n’était pas non plus arrivée à destination.
La rouquine s’assoie avec fracas sur le siège à côté du mien (j’étais côté fenêtre), je suis alors en train de regarder sur mon portable, avec mes écouteurs, un épisode d’un mec que j’adore, Guillaume Meurice (honte à vous si vous ne connaissez pas !), génie à la fois impertinent et foncièrement gentil de la critique humoristique de l’époque à laquelle nous vivons…s’il en est une meilleure description.. -l’épisode était « The Pécresse Show !», et si vous ne l’avez pas vu, foncez le regarder tout de suite afin de transformer un éventuel blues du dimanche soir en véritable fou rire !-
Ma voisine se met rapidement à sursauter, toute seule, comme grenouille qui ferait des bonds dans un bocal trop étroit. Le train est encore à l’arrêt. J’enlève un écouteur:
« Est-ce que ça va ?
-Oui, (dans un souffle court), je suis épileptique.
-Ah, et vous avez votre traitement d’urgence sur vous ?
-Non. »
J’enlève alors mon second écouteur et songe: Aïe aïe aïe, là, on va plus rire du tout….
Je songe aussi, que deux heures avant, au moment d’embarquer, je me disais tiens, tu n’as pas eu de souci de santé d’inconnu(e) à gérer à l’aller ni dans cette gare au retour, c’est cool ! (Oui je voyage quasi systématiquement avec une personne à secourir autour de moi; je crois que je suis une sorte de chat noir - ou blanc ? - du train et de l’avion… Mon karma me laisse lui aussi dubitative tant la chose se répète férocement depuis 5 ans..)
La nana continue ses petites clonies en posant sa tête entre ses bras sur la table devant elle et en soupirant à voix volontairement audible « ça va aller, ça va se calmer ». Je demande: « je peux faire quelque chose pour vous aider ? » elle répète, essoufflée, et se redressant au fond de son siège: « non merci, ça va aller, ça va se calmer ». Les regards des voisins de couloir se posent évidemment sur nous deux.
Une autre jeune femme arrive, blonde au yeux bleus, habillée un peu..babacool…de longs cheveux tressés et un chandail avec des bracelets tissés au bout de chaque bras. Elle erre un moment dans l’allée du train, demande à un monsieur quelque part derrière moi :
« Je peux m’assoir ici ?
-Non,(…) » (je n’entends pas la raison qu’il invoque).
La blonde revient vers nous et demande à ma compagne initiale de voyage en face de moi :
« je peux m’assoir à côté de vous ?
-Oui pas de souci ! » (sympa jusqu’au bout).
Je songe en moi-même: cette fille a-t-elle choisi la bonne place ? (La suite démontrera sans ironie que OUI, elle avait choisi la bonne place, pour ma voisine et moi…vous allez comprendre…).
Le conducteur de train fait une annonce : « ccrrrchhhhhhh bbbchhhhh Mesdames z’eeeeet Messieurs en raison d’un problème technique d’électricité, la voiture 7 (la nôtre), sera dans l’incapacité pour le reste du voyage d’assurer les lumières et le chauffage, veuillez nous excusez bbbchhhh crrrrcchhhhhh pif paf pouf».
La rouquine marmonne, les yeux fermés, la mine contrariée, droite dans son siège et la tête posée sur son appui-tête : « oh noon, c’est quoi ? »
Je tente de la rassurer : « c’est rien, c’est juste qu’on n’aura pas le chauffage, c’est rien ». Je lui dis ceci en posant ma main sur son épaule, et en me disant qu’elle vient d’entendre le petit stress de trop dans son état précaire…
Cela n’a pas manqué: soudainement, la fille se raidit (du coup je culpabilise d’avoir posé la main dessus), tel un tronc de mélèze, de tout son corps, dans un râle oral indescriptible et affreux, puis commence à convulser…
Son visage est figé, ses bras, ses mains, son buste et ses jambes aussi.
La crise commence: la « TCG », comme on dit dans les cours en médecine. Cela signifie « tonico-clonique-généralisée …», et tout est dit avec ça d’ailleurs…la fille tombe littéralement inconsciente et trémule.
Je me lève alors et l’attrape; j’ai l’impression de tenir un bout de bois rigide et chaud. Elle est inconsciente, les yeux révulsés grands ouverts et la bouche statufiée en ‘O’.
Mes voisines s’affairent : « elle fait une crise de spasmophilie ! » me dit la blonde.
« Elle n’a pas menti je crois: elle est en pleine épilepsie ! » dis-je.
Ni une ni deux, nous voilà avec ma voisine consciente que la situation est grave, en train de tout mettre en œuvre à deux pour placer la rouquine en position latérale de sécurité, au sol, dans la coursive entre les sièges de train, alors qu’elle est en pleine crise et qu’elle commence à baver. La chose n’est pas aisée, quelques personnes, paniquées, s’attroupent et nous gênent. « ÉCARTEZ VOUS ! » Ma consœur d’infortune assure: elle a les bons gestes, les bons réflexes, elle porte la tête de notre malade pendant que j’assure le positionnement précautionneux -et difficile- du reste de son corps. Nous l’embrassons à bouts de bras pour y parvenir, toutes les deux. Elle bouge et transpire beaucoup. Nous nous assurons que ses voies respiratoires sont libres et qu’elle reste sur le côté pour ne pas inhaler sur la mauvaise voie….
Une annonce retentit « on demande un médecin dans la voiture de tête du train ! »
Un, puis deux, puis finalement TROIS confrères arrivent.
Le premier, quinquagénaire, se met au niveau des pieds de la fille, qui elle commence à ronfler bruyamment: les convulsions sont finies, c’est la sidération post-critique.
Il lui donne des claques : « RÉVEILLEZ-VOUS ! »
La fille ouvre deux yeux aux pupilles dilatées tel un vampire de cinéma : « Où je suis ? » demande-t-elle; je lui réponds: « vous êtes dans le train, et vous venez de faire une crise d’épilepsie ». Puis elle referme les yeux en respirant très fort.
Le collègue veut alors la relever, je lui dis que c’est peut-être un peu prématuré.
« Je suis Chirurgien Orthopédiste, et vous ?
-Médecin généraliste
-Ah tant mieux, vous êtes plus utile à la situation que moi alors.. »
Le confrère est gêné: il est certainement un expert dans son domaine de spécialité, mais n’a véritablement pas eu de situation similaire à gérer depuis ses années d’internat. Et il en a conscience. « Écoutez je vous laisse mon numéro de téléphone » (Il le griffonne sur le bout d’un papier journal de la dame assise de l’autre côté de la coursive) « si vous avez besoin, appelez-moi ». La situation aurait été totalement similaire et totalement inversée si la fille s’était cassé la cheville. C’est moi qui me serait inclinée. (Quoique je n’aurais pour autant pas donné mon numéro puisque n’ayant à proprement parlé aucune utilité si le cas relève d’une telle spécialité !).
Le deuxième médecin est une femme qui roule les R et qui s’enquiert que tout va bien, très pro, et enfin le troisième (tous de la même tranche d’âge finalement) arrive en disant « eh bien c’est un vrai CHU ici on est nombreux ».
Je lui dis: « haha oui, vous ne seriez pas Neurologue par hasard ? » « Hélas non. Haha. » C’est vrai qu’on se marre bien là tout de suite, haha. Haha. Haha….:-( ….Au secours….. J’ai les genoux qui deviennent humides…de par l’humidité du pantalon de notre pauvre victime...plus de doute quant à sa pathologie. Elle était consciente quand elle me l’a dit: « je suis épileptique ».
La dame assise de l’autre côté de la coursive, restée assise et calme, dit « je sais ce que c’est; ma fille aussi est épileptique, c’est exactement comme ça, une crise…et après ils peuvent dormir très longtemps.. »
Je pense: pourvu que l’on n’ait pas affaire à un état de mal: personne ne doit avoir de valium à administration intra-rectale à bord de ce train !
Ma collègue d’infortune tient bon: elle aménage un oreiller de sacs pour la tête de la fille, elle garde son calme, elle demande aux personnes de laisser de l’air. La fille au sol est en nage. Elle transpire comme une éponge qu’on sortirait juste de l’eau. Et elle est en outre aussi blanche qu’un sopalin.
Je demande au chef de train: « les secours arrivent bientôt ? » «Oui les pompiers sont en route »
Puis la fille réouvre les yeux, balbutie:
« Je suis où?
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-dans le train, vous venez de faire une crise d’épilpesie
-comment ça dans le train, qu’est-ce que je fous dans un train ?
-vous avez fait un malaise, vous êtes sonnée, les secours arrivent
-mais pourquoi je suis dans un train ?
-Quel est votre prénom ?
-Pierre (évidemment j’ai changé le prénom pour vous le raconter)
-ah, et vous êtes née quand ?
-le 8 juillet 1988
-et quel jour sommes nous ?
-je ne sais pas
-laissez, ce n’est pas grave, les réponses viendront, ne vous inquiétez pas, vous avez eu une crise d’épilepsie
-mais je ne suis pas épileptique c’est quoi c’t’histoire ?
-si vous êtes épileptique, vous me l’avez dit en arrivant
-non, j’suis pas épileptique moi, et qu’est ce que je fais dans un train ?
(Moi aux autres:) - elle est confuse, c’est normal après une crise
(Elle): - comment ça, « ELLE », je m’appelle Pierre ! »
Le doute m’envahit… je prends son sac à main
« Il est à vous ce sac c’est bien ça ?
-non, il n’est pas à moi ce sac ! »
Mes voisins me confortent dans l’idée que si, c’est bien son sac à main.
Je regarde dedans. Trouve un portefeuille, en retire la carte vitale: il s’agit bien de Pierre, né le 8 juillet 1988. Elle enfin il, a dit juste. La photo colle aussi, sauf qu’il avait les cheveux courts au moment où il l’avait faite….
« Ok Pierre, les pompiers sont en train d’arriver, je les aperçois sur le quai à travers la fenêtre. Vous avez eu un souci de santé et vous êtes sonné, on va vous amener à l’hôpital. »
Un pompier arrive très vite à la tête de Pierre, je lui expose rapidement la situation.
« Ok, et vous habitez Moulins ?
(Pierre) - non, j’habite pas Moulins
(Moi) - Écoutez hormis son identité qui est la bonne à la vue de ses papiers, le reste est totalement confus, ne comptez pas dessus. Peut-être cette personne a-t-elle (j’ai du mal à croire que c’est un garçon) de la famille ici. En tout cas elle voyageait seule et a juste eu le temps de me dire qu’elle se savait épileptique et qu’elle n’avait pas de traitement sur elle ».
On porte la fille-Pierre titubante jusqu’à la sortie de la voiture de train
« Je ne me sens pas bien
-On vous tient
-Audrey! Jérôme! on va l’allonger sur le quai; le vagal n’est pas loin ! »
En le quittant alors qu’il sort du train en soutenant la victime, je dis au pompier, maladroite:
« Merci, et vous lui demanderez, s’il préfère qu’on dise ‘lui’ ou ‘elle’, je ne sais pas du coup ».
Le pompier acquiesce avec sur lui-même un air qui mêle approbation et circonspection…
Alors….Qui était Pierre ? Manifestement une personne trans-genre ou travestie qui avait tout fait pour avoir l’air d’une femme.. et qui se voulait être femme manifestement !. Mais pourquoi m’a-t-elle dit, consciemment, qu’elle était épileptique, et puis pourquoi, alors qu’il revenait à lui-même, le garçon à l’intérieur de la fille m’a dit qu’il était garçon ? Et non épileptique (ce qu’il est bien pourtant) ? Quelle est la place du savoir originel de son être par rapport au savoir qu’il a développé ensuite (son nouveau sexe, sa maladie qu’il n’avait sûrement pas de naissance et dont il a du avoir le diagnostic à un âge où il pensait alors être un garçon en pleine santé sans pathologie…)
Une fois la fille/Pierre évacué(e) vers l’hôpital, le train a repris sa marche.
Ma voisine black était paisible, égale à elle-même. (À croire qu’elle avait vu des crises d’épilepsie toute sa vie).
La blonde qui était intervenue à mes côtés l’était moins: elle a chaussé tout de suite une paire d’écouteurs, pour écouter une sorte de playlist de Buddha Bar à fond le volume, qui s’entendait au-delà de ses propres oreilles, et qu’elle écoutait les yeux fermés tout en joignant ses mains comme si elle priait: manifestement elle voulait retrouver une certaine sérénité qu’elle venait de perdre, dans cette action de secourisme quelque peu choquante…du moins l’on peut le présumer.
Nous sommes arrivées à ma destination: je me lève et vais chercher ma valise au-dessus de nos têtes.
La black me sourit à travers son masque et me dit « au revoir ! ». Je souris aussi et dis: « nous allons nous souvenir les unes des autres je crois » « oh oui c’est sûr ! » La blonde lève des yeux émus:
« Heureusement que vous étiez là, quelle chance !
-Bof, je ne sais pas si c’est une chance particulière. Heureusement que vous étiez là aussi, vous avez géré la situation à la perfection: vous avez fait tout ce qu’il fallait, calmement, sans être impressionnée, bravo ! »
À ce moment-là son regard s’est illuminé de reconnaissance et de fierté. Elle qui était peut-être inconscientejusqu’alors qu’elle pouvait porter secours avec brillo à quelqu’un dans un situation aiguë, preuve était faite désormais qu’elle en était plus que capable. Sans elle, nous n’aurions pas porté secours aussi bien…
Vous comprenez maintenant, pourquoi cette anecdote si unique, pose une question fondamentale sur la conscience et l’inconscience du soi…. Entre ce Soi que l’on EST, en venant au monde, et le Soi que l’on développe (consciemment ou inconsciemment d’ailleurs… l’on se croirait dans le film Inception de Christopher Nolan !)
Toutes les personnes actrices de cette histoire en sont la démonstration…
Quant à moi, j’ai conscience que je n’ai pas conscience de ce que je peux être…(vous avez 12 heures…)
Je vous laisse, je dois répondre au mail de la SNCF que je viens de recevoir et qui me demande « Avez-vous fait bon voyage ? »….si si… !!
N’oubliez pas de vivre
Bien à vous.