De la méthode cathartique à l’effet kathartique

De la méthode cathartique à l’effet kathartique

Pas de printemps pour Marnie

Résumé :

La jeune femme solitaire apparait sur un quai de gare une valise à la main. On comprend assez vite que ça vie est faite d’arnaque. Marnie a été embauchée comme secrétaire de direction dans une petite société, elle a gagné la confiance du directeur et s’est enfuie avec la caisse.

C’est avec des intentions similaires qu’elle croise la route du patron d’une maison d’édition, Mark Rutland,  incarné par Sean Connery.

Mark est fasciné par la beauté de Marnie, il tombe amoureux et est curieux de son comportement névrotique. Il tente de gagner la confiance de Marnie et de la sauver de sa névrose. Il fait des liens entre ses symptômes : Marnie vole, elle a également une peur exagérée de l’orage, la phobie de la couleur rouge et à cause de sa peur des hommes, elle refuse de se donner à Mark (Pourtant incarné par Sean Connery !).

En poursuivant son enquête chez la mère de Marnie, Mark découvre le drame qui est à l’origine de la névrose. Alors que sa mère se prostituait, un marin a voulu abuser de l’enfant qui avait 5 ans, sa mère l’a défendue, le marin s’est retourné contre la mère, Marnie a tué le marin à l’aide d’un tisonnier. Marnie avait complétement oublié cette histoire, le souvenir refoulé agissait donc comme facteur de la névrose. Une fois le souvenir retrouvé grâce à l’entêtement de Mark, Marnie se retouve immédiatement libérée de toute sa névrose et tombe amoureuse de l’acteur de James Bond.

Happy end !


Cette histoire est parfaitement conforme aux théories freudiennes encore en vogue dans les années soixante aux États-Unis.

Mais est-elle crédible ?

Est-il possible d’oublier un événement tel qu’un meurtre commis à l’âge de 5 ans, avec toutes les conséquences décrites dans le fil : intervention de la police, incarcération de la mère, placement en famille d’accueil, procès, article dans les journaux ?

Admettons que le souvenir ait réellement été refoulé, est-il possible que la révélation de cette histoire soit un soulagement ?

« J’ai peur de l’orage !... Ah c’est parce que j’ai tué quelqu’un ! Bon sang mais c’est bien sûr !  Je ne m’en souvenais plus ! Maintenant que je m’en souviens, ça va beaucoup mieux ! »

C’est pourtant ce que proposent Sigmund Freud et Joseph Breuer[i], quand ils font l’exposé de la méthode cathartique, et dépose l’acte de naissance de la psychanalyse. 

Le premier cas présenté par Freud dans cet ouvrage, est l’histoire de Mme Emmy von N… (de son vrai nom Ilona Weiß), une jeune fille qui souffre des jambes[ii]. Freud découvre d’abord que les douleurs sont hystériques, autrement dit, il n’y a pas de cause somatique.

Freud découvre ensuite le secret de Ilona : alors qu’elle accompagnait sa mère en cure, elle a reçu un message alarmant concernant la santé de sa sœur qui se relevait à peine de ses couches. Lorsqu’elle arrivait enfin, après un voyage exténuant, sa sœur était déjà morte. À ce moment-là, Ilona aurait pu, selon Freud, avoir cette pensée : « Le mari de ma sœur est libre maintenant, je vais pouvoir l’épouser. » Cette pensée n’étant pas conforme à ses valeurs morales, Ilona (ou son surmoi) l’aurait refoulée. Grace à la pression de la méthode cathartique, Freud aurait réussi à faire revenir le souvenir et elle aurait été

guérie.

En 1935, Ilona raconta à sa fille ses souvenirs :

« le jeune spécialiste des nerfs barbu, … Il voulait me persuader que j’étais amoureuse de mon beau-frère. Mais ce n’était pas le cas en réalité »[iii]

La catharsis selon Aristote, correspond à une purge émotionnelle produite par un spectacle et aboutissant à la paix et au plaisir. On peut imaginer que les spectateurs s’identifient aux passions humaines présentées pendant le spectacle : la colère, la jalousie, la peur, la rivalité.  À la sortie du spectacle, ils se retrouvent tous ensemble heureux. Le théâtre aurait ainsi une fonction d’apaisement social.

De nombreuses histoires reposent sur un schéma qui produit ce genre d’effet, j’aurais pu choisir La reine des neiges (ma fille aurait été très heureuse) mais prenons plutôt Intouchables.

Le film décrit la rencontre de deux personnages qu’au début tout oppose.

Affiche du film

Driss joué par Omar Sy, est un braqueur de bijouterie qui sort de prison. Philippe, joué par François Cluzet est un riche tétraplégique. Diverses péripéties vont amener les deux hommes à se livrer dans leur intimité, à se découvrir, à s’aimer et à avoir réciproquement une influence positive sur la vie de l’autre.

Pour peu que l’on rentre dans l’histoire en tant que spectateur, à la sortie, on a quelque chose en commun avec les autres personnes qui ont assisté à la séance. On se sent dans des liens de paix et d’amour avec des inconnus.

On peut vivre ce genre d’expérience au théâtre, dans un concert…

Je suis personnellement touché d’une manière similaire quand j’entends à la radio, l’histoire de personnes qui sont venu en aide, gratuitement, à d’autres qu’elles ne connaissaient pas, les victimes d’une catastrophe, de la misère, de la migration…

Il est possible dans un contexte thérapeutique, d’aider des personnes à se connecter à cet état d’apaisement et d’amour en retrouvant dans leur souvenirs des expériences de partage, de contribution réciproque à la vie de l’un et de l’autre.

Michael White, l’auteur de la thérapie narrative, a appelé ce phénomène Katharsis, afin de revendiquer un lien avec la pensée d’Aristote tout en se démarquant de Freud grâce à une petite différance (différance étant un hommage à Jacques Dérida et pas une erreur orthographique).

Les cartes du remembering, celle du témoin extérieur, ou du témoin intérieur sont des outils magnifiques pour permettre aux personnes de vivre cette effet kathartique et se relier à la beauté de la vie.


La question que je laisse ouverte est la suivante :

Lorsque l’on vit une expérience traumatique, qu’est-ce qui disparait de la partie consciente de la mémoire ? Le souvenir de l’expérience traumatique elle-même ? Ou les souvenirs des moments vivants qui sont liés au trauma ?


Articlé rédigé par Bertrand Hénot le 05 décembre 2023.


[i] Sigmund Freud, Joseph Breuer, Les études sur l’hystérie, 1895

[ii] Bertrand Hénot, Sauver Dora, Vérone 2021

[iii] Mikkel Borch-Jacobsen, Les patients de Freud, Sciences Humaines Édition 2011

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets