De la société digitale à la société neuronale

De la société digitale à la société neuronale

Finances publiques, dématérialisation et transformation de l’Etat (2/2)

Lire le premier volet de l'intervention

Deuxième volet de mon intervention, il y a quelques semaines, lors de la table ronde organisée par la Fondation Internationale des Finances Publiques (Fondafip) dans la prestigieuse enceinte de la Sorbonne. 


Quelle action publique de proximité dans une société digitale ? 

Si cette interrogation est digne d’un grand oral de l'ENA, elle se révèle prégnante pour nos territoires tant elle induit inévitablement des conséquences concrètes et pratico-pratiques pour la vie quotidienne des habitants.

Vouloir y répondre nécessite le préalable d'élargir la focale, de prendre un temps nécessaire de décélération et de distanciation, de jauger et estimer le cap poursuivi, d'effectuer un tour d’horizon du champs des possibles, en prenant garde à deux écueils : le sentiment d'urgence du moment présent et les sunligths des effets « tendances et mode ». Autre préoccupation, distinguer l’écume de la vague, tant c’est cette dernière qui importe et qui porte loin, y compris si avant de se transformer en « déferlante", elle n’en est encore qu’au stade embryonnaire du signal faible. 

L’essentiel des débats sur l’organisation territoriale se limitent aujourd'hui à l’unique problématique du mille feuille et du dimensionnement du contenant, le mode XXL étant très en vogue, des échanges donnant souvent lieu à un florilège de propositions dignes du concours Lépine. Si l’organisation institutionnelle en place est le fruit d'une alchimie complexe mêlant histoire, cultures métissées, géographie, traditions politiques, elle subit de plein fouet une succession de séismes (mondialisation, réchauffement climatique, multiplication des phénomènes météos extrêmes, explosion démographique, métropolisation croissante, digitalisation …) qui l'ébranle et la font vaciller. Est ce une histoire de dimensionnement du contenant ou de modèle ?

Nous sommes engagés dans un cycle de « grande transformation » pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Karl Polanyi. Ces séismes successifs constituent autant de révolutions systémiques aux répercussions majeures et transforment radicalement les matrices traditionnelles d’un monde devenu ancien, qu'elles soient sociétales, relationnelles, politiques, d’autant que tout semble soudain s’accélérer. 

Ce contexte mouvant doit inciter à revoir les modes d'organisations institutionnels, la conception des politiques publiques mises en oeuvre, leur mode de financement et de gouvernance. Si la "metropolisation" devient la règle dominante au niveau planétaire, elle prend selon les latitudes des formes très variées. Concept qui donne l’impression d'être devenu un mot « valise » aux contenus et dimensions à géométrie variable. L’exemple de la Métropole du Grand Paris est évocateur, tant c'est un prototype unique au monde, à bien des égards ! Il n’existe pas de standardisation d'un modèle de métropole.

Notre pays est en pleine schizophrénie, pour reprendre l’analyse du géographe Christophe Giuly, coupée en deux France radicalement différentes : celle des Villes Monde (métropole) et leur périphérie, proche ou lointaine, composée des espaces ruraux et péri urbains. Conséquence, autant les populations aisées des villes dites « intelligentes » connectées en permanence à la planète considèrent la digitalisation comme une opportunité, autant elle constitue un véritable traumatisme pour ceux qui assignés à résidence vivent dans les déserts numériques des territoires déclassés et délaissés, de moins en moins irrigués par l’action publique. Bi polarisation qui s’est retrouvée dans les urnes lors du second tour des dernières élections présidentielles.

Il ne m’appartient pas de prendre partie pour ou contre l’une des deux faces de notre république janusienne, mais de souligner la cécité du monde politique et le manque d’audace des chercheurs "es institutions". Les nouveaux modèles institutionnels qu'ils proposent sont basés sur des schémas similaires et une logique institutionnelle de silos : compétences dédiées, périmètres élargies (intercommunalités XXL), gouvernance pyramidale …

Nous sommes dans une verticalité assumée qui a tendance à laisser de coté l’horizontalité, c’est bien là que le bas blesse … Les modèles évoqués ont des fondations qui n’en sont pas, notamment lorsque leurs périmètres ne répondent pas à une logique de bassin de vie ou de projet de territoire mais doivent leur unique légitimité à un acte administratif en provenance d'une décision politique descendante pouvant être remise en cause à tout moment. Ces nouveaux ensembles XXL sont de fait de véritables tigres de papier.


 «Si la pensée unique prenait conscience du fait qu’elle est elle-même soumise à ces processus de transformation du monde actuel, elle ne serait plus « unique », mais multidimensionnelle. Elle serait une pensée complexe. » Edgar Morin

La société comme la pensée a tendance à devenir de plus en plus complexe, pour reprendre le concept dEdgar Morin. Qui peut réellement imaginer aujourd’hui notre organisation institutionnelle comme une succession de poupées russes s’emboitant les une aux autres au nom d’une logique de verticalité. Nos territoires sont de plus en plus interconnectés, c’est un véritable métabolisme urbain et territorial qui émerge, dans le même temps l’économie circulaire se développe, la transition numérique se double d’une transition énergétique et environnementale.

Les dynamiques territoriales proviennent aujourd'hui de la qualité et de la vitalité des liens et échanges entre les territoires. De véritables réseaux composés d'autant de récepteurs, neurones, noeuds, plans nodaux que nécessaire se développent, s’entremêlent, connectant différents tissus dont la porosité est une des caractéristiques (homéostasie territoriale). Ils s’affranchissent allègrement des frontières ou murs (au sens propre ou figuré) érigés et qui délimitent duchés, comtés ou baronnies, autant de contenants de plus en plus "has been », passés et dépassés, contournés comme l’a été par le passé la ligne Maginot. Qu'il s'agisse de transport, de production d'énergie, de collecte de déchets, leurs bassins respectifs ne possèdent pas forcément les mêmes périmètres institutionnels !

Nous devons plus que jamais parler de bassin de vie évolutifs, aux capacités de résilience, d’agileté, d’adaptabilité avérées, de territoires « intelligents » dont les mobilités (numériques et physiques) sont une composante clé attendue d’habitants aux identités multiples (cf Jean Viard). Des territoires dont le développement dépend avant tout de la qualité de leur métabolisme urbain, comme de leurs capacités à se connecter plus que de la taille, de la superficie ou de l’inertie de périmètres XXL trés souvent virtuels. L'émergence d'une économie de plus en plus circulaire, le développement des circuits courts et des filières locales, les besoins croissants d’une planète de dix milliards d’habitants en produits agricoles ou sylvicoles pour se nourrir, se soigner, se loger, démontrent la nécessité de s’appuyer sur les ressources et potentiels de tous nos territoires. Ce qui impose aujourd’hui de les irriguer équitablement pour préserver leur vitalité. Il est essentiel d'assurer aujourd'hui la complémentarité d’éco systèmes territoriaux de plus en plus résilients et intelligents dans lesquels l’accessibilité et les mobilités (notamment multimodales) numériques ou physiques ont un rôle de plus en plus déterminant … 


Pour qu’émerge demain de véritables archipels de territoires intelligents, nous devons veiller aujourd’hui à irriguer tous les espaces de vie et aboutir à un dialogue territorial respectueux entre la France dite des métropoles et la France dite périphérique.

Cette volonté doit se traduire sur le terrain par une révision des modes de financement de nos politiques publiques afin de s’attaquer aux différentes fractures et fêlures territoriales qui minent le pays, elles ne doivent plus constituer des lignes de rupture mais permettre de tisser de nouveaux liens de solidarité dans lesquels l’équité remplace l’égalité …

Une réflexion globale qui ne se limite pas au seul domaine des collectivités locales et du numérique, mais ceci est déjà un autre sujet …

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