DE L'EGAP AU NOGAP, LA COMMUNICATION D'ENTREPRISE SENS DESSUS DESSOUS

DE L'EGAP AU NOGAP, LA COMMUNICATION D'ENTREPRISE SENS DESSUS DESSOUS

L'inversement des paradigmes est une discipline dont la maîtrise est difficile. Prenons la communication en entreprise, par exemple. Les directeurs de communication ont conscience que l'évolution de la société et les transformations incessantes qui régissent nos entreprises imposent de remiser au placard les réflexes hérités de la communication corporate. L'époque où les dirigeants administraient à leurs collaborateurs leurs messages comme le prêtre l’homélie du dimanche est révolue.

Pourtant, à l’heure du digital et de l’entreprise libérée, les vieilles manies ont la peau dure. Les reliquats d’une communication «top down» subsistent encore dans nos entreprises en perpétuel mouvement, entre messages outrageusement positifs, généreusement distribués à chacun des échelons de la ligne hiérarchique, et papiers glacés aux antipodes des réalités opérationnelles. Nos cousins d’outre-Atlantique ont même créé un acronyme pour résumer cette philosophie surannée, à laquelle tout collaborateur ne peut résolument plus adhérer: Egap, pour «everything goes according to the plan». C’est un fait que sont bien obligés de prendre en compte les dirigeants et communicants, mais qui va à l’encontre même de ce qui a longtemps fonctionné: en réalité, c’est le Nogap qui prédomine aujourd’hui. Car, oui, malheureusement, dans nos sociétés en transformation, «nothing goes according to the plan».

Il serait inutile de faire ici la liste exhaustive de ce qui augmente chaque jour dans nos organisations les zones d’incertitudes chères à Michel Crozier. Uberisation du travail et des business models, multiplication à l’infini des projets transverses, complexification des organisations matricielles, digitalisation des processus métiers, déploiement des solutions informatiques en mode SAAS («software as a service», soit logiciel en tant que service) suffisent à décrire l’univers aussi mouvant que les sables du même nom, dans lequel dirigeants et managers se démènent pour apporter clarté et performance. Ils savent aujourd'hui qu’ils ont besoin d'associer à leur stratégie de changement l'ensemble de leurs équipes s’ils veulent avoir une chance de la mener à bien. Ne plus imposer pour mieux associer. Cette exigence prise dans le maelstrom de mutation actuel leur impose de se délester de leurs habitudes, et elle doit surtout les amener à adopter trois principes ancestraux et pourtant radicalement nouveaux de communication interne: transparence, action, créativité

Transparence. Il y a encore une décennie (soit un siècle en matière digitale), toutes les vérités n’étaient pas bonnes à dire. Mais ceux qui préfèrent encore l’intox à l’info prennent le risque d’être désavoués par les nouveaux circuits d’information: réseaux sociaux, multiplication des circuits de l'information, rapidité de circulation des messages, il devient de plus en plus complexe de conserver une information confidentielle, et cette quête est même souvent, à terme, contre-productive. L'information que l'on essaye de masquer est bien souvent celle qui circulera en premier sans que son annonce n’ait été préparée, et le fait d’avoir voulu la masquer ou l’occulter lui donnera une force qui la transformera en une vague qui emportera tous les autres messages sur son passage. C’est le fameux paradoxe appelé effet Streisand: en voulant cacher, on met sous les spotlights. La transparence est aujourd'hui la meilleure voie à suivre, et elle nécessite de travailler le sens, le pourquoi des changements, pour rentrer dans l’ère de la communication «authentique».

Action. Aujourd'hui, il ne suffit plus de convaincre. Pour réussir les transformations, il faut que les équipes agissent. Elles veulent prendre pleinement part aux transformations en cours, participer, coconstruire, comprendre la valeur ajoutée qu’elles apportent au mouvement perpétuel de leur organisation. Cette aspiration se traduit dans une logique simple: ce qui est important, ce n’est plus ce qui se dit dans les «Head Quarters», mais ce qui se passe sur le terrain. Pour paraphraser Napoléon, redoutable communicant devant l’éternel: «Dans la stratégie, tout est dans l’action.»

Créativité. Alors même que les collaborateurs sont abreuvés de messages et d’informations, que leur boite e-mail «sonne» en moyenne toutes les 7 minutes (pour les moins sollicités), intéresser est un combat permanent. Surprendre, séduire, donner du sens, développer des supports de communication qui exploitent les mille possibilités du digital en abandonnant la traditionnelle newsletter que si peu consultent. Changer, et changer de communication, c'est aussi faire preuve d'imagination, c’est s’imposer de sortir des sentiers battus. C’est préférer la minisérie au discours traditionnel, c’est changer les formats, c’est privilégier le roadshow à la convention plénière, c’est créer des community managers à la place des «change agents».

La communication doit changer de dimension. De simple courroie de transmission, elle devient un espace d'échange et de dialogue, d'expression libre autant que faire se peut, agora où chacun peut exprimer sa façon de voir, ses doutes, ses interrogations, ses préconisations. Et ce, tout particulièrement en période de changement. Conséquence? De haut en bas, la communication interne est sens dessus dessous pour finir en sens inverse, allant de bas en haut. Le règne du «bottom-up» pour répondre au Nogap.

Elle ne pourra définitivement prendre cette dimension que si elle sort de son costume victimaire du parent pauvre raboté à chaque PSE, car sans communication du changement, de changement réussi, il n'y a point. Oui, la communication est utile, plus qu'utile même, indispensable. Oui, une communication appropriée, créative et originale aura des répercussions non seulement sur l'organisation, sur l'implication et finalement sur les résultats économiques de l'entreprise. Il est donc temps que la communication prenne pleinement part à l'aventure du changement en changeant elle aussi.

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