Les pièges de la victoire
Au lendemain d’un été chargé en émotions positives, auréolé de succès sportifs retentissants, vient l’heure des bonnes résolutions de rentrée : faire le bilan de l’année passée, se fixer des objectifs, rentrer résolument dans la quête d’une nouvelle performance. Mais il existe une question extrêmement complexe que seuls ceux qui ont rempli leurs précédents objectifs se posent : comment continuer à réussir quand on a déjà atteint le sommet ?
En 1982, autre année de fortes émotions footballistiques pour la France, Thomas Peters et Robert Waterman rédigeaient un ouvrage, « le prix de l’excellence », resté aussi célèbre par les principes fondamentaux de succès qu’il délivre (action, écoute client, innovation, motivation, ADN, focalisation, légèreté, souplesse et rigueur) que par le fait que cinq ans après sa publication, plus des deux tiers des entreprises jugées excellentes par leur étude étaient soit en difficulté soit en faillite. Les gourous américains avaient omis au moins un élément : leur capacité à se renouveler après avoir réussi.
Que l’on soit Didier Deschamps à l’issue de la campagne de Russie, le manager d’un service d’une ETI ou d’une PME qui a atteint ses objectifs, le patron d’une start-up qui a conquis son premier million d’euros, la situation peut s’avérer complexe managérialement : comment continuer à motiver les troupes et faire comprendre que la victoire ou la réussite ne sont pas un aboutissement, là où de manière naturelle les acteurs du succès considèrent que c’en est un ? Car cela peut paraître choquant, mais pour motiver un collectif, créer les changements qui vont permettre de faire perdurer la performance et projeter l’entreprise dans un futur doré, mieux vaut sans doute être Carlos Tavares qui reprend PSA dans une situation difficile en lançant le fameux projet « back in the race » que Tim Cook succédant à Steve Jobs à la tête d’Apple.
Alors, quelles sont les recettes qui permettent de rendre pérenne et durable la victoire ? C’est sans doute la question que se posent, après le repos estival bien mérité, Didier Deschamps et son staff, et pour laquelle certains sportifs, comme certaines entreprises, ont semble-t-il trouvé la clé. Les Teddy Riner, Claude Onesta, ou autres entreprises centenaires et familiales qui ont réussi à imposer leur marque ou leur nom le disent : continuer à gagner n’est pas une question de talent, de compétences, et même de travail. C’est avant tout une lutte contre l’inertie et les chausse-trappes engendrés par la victoire elle-même. « Le plus grand péril se trouve au moment de la victoire », disait Napoléon.
Il s’agit tout d’abord d’éviter l’effet anesthésiant provoqué par l’euphorie du succès et focaliser l’équipe sur des éléments projectifs et de nouveaux défis. Minimiser les échecs fait également partie des pièges à contourner. Le résultat d’une victoire a ceci d’étrange qu’il embellit parfois les insuccès passés en les présentant davantage comme le fruit de circonstances peu propices que comme des modes de fonctionnement inadaptés. Autre règle cruciale : sortir de l’introspection pour s’intéresser plus que jamais à ce qui se passe à l’extérieur. La capacité d’agilité et d’adaptation aux nouvelles circonstances et à la nouvelle compétition, qui elle, n’aura pas manqué de se renouveler, sont la base pour construire les succès futurs. Mais surtout, et c’est sans doute la clé de voûte de cet édifice victorieux, le plus sûr moyen d'entretenir la flamme collective réside dans la préservation d'une part d'improvisation, d‘insouciance et de plaisir.