🌪️ De Marseille à Mayotte, les taudis tuent

🌪️ De Marseille à Mayotte, les taudis tuent

C’est un lundi qui s’annonce encore pluvieux, ce 5 novembre 2018. Son grand fils Imane est parti au travail bien avant le lever du soleil, et Ouloume Said Hassani vient de déposer son petit dernier El-Amine à l’école. Elle doit repasser chez elle pour prendre des papiers, car ce matin elle va déposer une demande de logement social qui pourrait lui permettre de quitter enfin ce petit appartement insalubre où ils vivent à trois. Mais elle ne ressortira jamais du numéro 65 de la rue d’Aubagne, car à 9 h 07 l’immeuble s’effondre sur Ouloume et 7 de ses voisins.

Ouloume est arrivée à Marseille en décembre 2014. Elle venait des Comores et aurait très bien pu s’arrêter sur le chemin à Mayotte, lui évitant d’être victime de cette tragédie. Peut-être aurait-elle habité les pentes de Kawéni, la grande zone d’activité de Mamoudzou, comme tant d’autres arrivés des Comores ou d’ailleurs parfois depuis très longtemps. Elle aurait pu habiter là pendant une décennie, subissant l’insalubrité et l’insécurité. Une habitante comme les autres parmi les 15 000 à 20 000 qui peuplent ce vaste bidonville qu’on dit le plus grand de France. Jusqu’à être victime du cyclone Chido qui a soufflé ce quartier précaire dans la matinée du samedi 14 décembre 2024. Alors bien sûr, sa puissance était exceptionnelle, mais depuis longtemps un tel évènement était redouté. A Kawéni comme à Marseille c’est la précarité qui tue, et elle est systémique. Car tous les ingrédients de la catastrophe étaient réunis : renoncement à développer les îles des Comores toutes proches, développement anarchique des bidonvilles qui accueillent celles et ceux qui fuient la misère, manque d’intervention pour prévenir les périls les plus critiques dans ces secteurs d’habitat précaires, chasse à l’homme engagée pour gonfler les chiffres de reconduites à la frontière et peur des expulsions qui a empêché nombre de clandestins de se réfugier dans les centres d’hébergement d’urgence...

À Marseille on attend le jugement du procès, mais si 16 prévenus ont défilé à la barre ces derniers jours, le système qui a permis cette tragédie ne sera pas inquiété. Ce sont des décennies d’inaction coupables, d’exploitation de la misère et de petits arrangements avec la loi qui font qu’aujourd’hui le centre-ville compte des centaines d’immeubles en péril et que plusieurs milliers de Marseillais sont encore en attente de relogement. Le vaste chantier de la réhabilitation est désormais engagé, mais il est immense. Ce système, certains lui donnent le nom de celui qui fut maire de Marseille pendant un quart de siècle : Jean-Claude Gaudin, décédé cette année. C’est lui qui a perdu les élections en 2020, face au Printemps marseillais qui s’était largement mobilisé après la tragédie de la rue d’Aubagne. Mais ce nom est désormais aussi celui d’un parc à Marseille, le Parc du 26ᵉ Centenaire, à croire que l’envie de tourner la page n’est plus tout à fait là.

À Mayotte, pour le moment, on pare à l’urgence et on pleure les morts. Nul doute que celles et ceux qui sont les premières victimes aujourd’hui, les clandestins, seront accusés d’être responsables de la tragédie par les plus médiocres. Mais quand ce sera le moment, hors de question d’oublier l’inaction coupable de beaucoup. Cette tragédie était attendue, elle était donc évitable. — Sylvain Grisot (LinkedIn, BlueSky)

PS1 : Cette fin d'année n'est pas que celle des peines et des colères, avec une très belle nouvelle : nous allons participer à la maîtrise d'œuvre de l'île de Nantes au sein d'une très belle équipe emmenée par les paysagistes de d'Ici là. Un vaste chantier de redirection concrète de la fabrique de la ville que l'on est très impatients de vous raconter.

PS2 : Vendredi 14 mars à Paris à Césure aura lieu la troisième formation à la redirection urbaine en partenariat avec le CEDIS autour du chantier dédié aux temps. Une formation ouverte aux élus, agents des collectivités comme aux professionnels privés.

PS3 : Nous allons faire évoluer le format de cette newsletter, et pour cela nous aimerions nous entretenir avec certains d'entre vous sur vos habitudes de lecture. Si vous êtes partant, envoyez-nous un mail à : camille.tabart@dixit.net






📅 Jusqu’au 31 décembre, campagne de financement de la Fabrique de souhaitables. Depuis 15 ans l’Institut des Futurs souhaitables promeut une approche prospective en mettant à disposition des outils pour construire des futurs souhaitables. Aujourd'hui, l'institut lance un nouveau projet inspirant : La Fabrique des Souhaitables, une bibliothèque de ressources pédagogiques gratuites, conçue pour redonner à chacun et chacune le goût de l’avenir et l’envie de changer le monde. Pour soutenir ce projet et contribuer à la construction de futurs meilleurs, faites un don sur leur campagne de financement.

📻 Villes durables : une approche critique. Dans cet épisode de La tête au carré, le chercheur Matthieu Adam présente ses travaux sur la critique des villes durables. Selon lui, des termes comme « écoquartiers » ou « développement durable » cachent souvent une réalité bien différente : celle de la croissance incessante. Comment réussir une véritable transition écologique si l'on continue de viser la croissance et l'attractivité avant tout ? Au lieu de répondre aux besoins fondamentaux des habitants, et en particulier des plus précaires, ces projets renforcent les inégalités sociales, et n’apportent que des solutions superficielles à la crise environnementale. (La tête au carré, France Inter)

🏡 Revitalisation. Les bourgs ruraux font face à différentes problématiques : déclin de la population, fermeture des commerce en centre-bourg au profit de zones commerciales, dépendance à la voiture, nécessité de s’adapter au changement climatique… Simon Teyssou, architecte, et grand prix de l’urbanisme en 2023, s’est installé dans le Cantal où il “répare” les bourgs en accordant une place importante à l’espace public, ainsi qu’aux matériaux (qui doivent être locaux), pour leur redonner vie. (Le Monde)

📗 (Re)penser les villes. Cet abécédaire de la ville moderne nous offre un regard neuf et original sur nos espaces urbains, en explorant des thématiques essentielles à travers un vocabulaire décalé et parfois surprenant. Des mots comme BactérieLubrifiant ou Urine sont utilisés comme titres de chapitres pour inviter à une réflexion sur des aspects souvent ignorés de la ville. Ces termes choisis étonnent mais se recoupent autour de quatre grandes thématiques : l’inclusivité, la connexion numérique, la sobriété et le patrimoine. (édition Armand Colin


« renoncement à développer les îles des Comores toutes proches, ». Je ne crois pas qu’on fasse avancer les choses en imputant à la France la responsabilité de tous ces maux. Au contraire, c’est en laissant venir à Mayotte des dizaines de milliers de Comoriens qu’on a privé ces pays des capacités de se développer par eux- mêmes.

Ces taudis voulus ou ignorés? Cette fois peut-être des coeurs seront mis à l'ouvrage..

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