Demain, devrez-vous être abonnés à trois plateformes SVOD ?
Le paysage audiovisuel est actuellement en ébullition face aux grandes manoeuvres des géants de la SVOD. La filière cinéma comme la filière TV y voient, non sans raison, un facteur lourd de restructuration de ces marchés. A Netflix et Amazon, déjà bien installés, vont venir s'ajouter les plateformes issues des grands studios (Disney-Fox, WarnerMedia, NBC Universal - je vous renvoie à toutes les annonces récentes), celles en gestation chez les Gafa, ainsi que - pourquoi pas dans un futur pas si lointain - les chinoises.
Une des questions sans réponse claire pour lors concerne le futur comportement des clients et spectateurs potentiels, face à ces plateformes qui ont toutes choisi une arme de conquête identique: l'exclusivité de leurs contenus. Netflix ayant donné le "la" en la matière, toutes les futures offres concurrentes fourbissent en effet la même stratégie: miser sur des séries ou films introuvables chez le voisin afin de convaincre les prospects de s'abonner. Que ce soit par une politique de production dédiée, ou par de grandes opérations de rapatriement des catalogues, la perspective semble tracée: à moyenne échéance, Friends ou Harry Potter seront uniquement disponible sur la plateforme de Warner, les classiques Disney ou les Marvel chez Disney+, etc... On assiste en somme à une reprivatisation des contenus, qui à certains égards rappelle l'époque du vieil Hollywood où les majors détenaient des cinémas qui diffusaient leurs propres productions.
Face à une offre structurée de la sorte, quel sera le comportement des spectateurs ? Si je veux la même semaine visionner la Casa de Papel (Netflix), Vice Versa (Disney), et Wonder Woman (Warner), devrai-je payer trois abonnements auprès de trois plateformes ? La perspective laisse songeur...
Surtout en France, où les référents de prix ne sont pas ceux des Etats-Unis. Là-bas, les abonnés au câble ayant basculé vers la SVOD (les fameux cordcutters) sont peut-e^tre davantage enclins à débourser 30$ à 40$ mensuels en cumulant plusieurs abonnements, étant donné le montant très onéreux (plus de 100$) de leur ancien abonnement câble TV. En France, le référentiel de prix correspondant est celui des box triple-play, historiquement beaucoup plus accessible. Le consentement à payer en est d'autant réduit. Dans ces conditions, on voit mal les Français cumuler en masse un empilement d'abonnements.
Quels sont les scénarios possibles ? Plusieurs pistes sont imaginables. En premier lieu, celle de la Single Subscription, alias "abonnement isolé": chaque foyer ou individu porterait son choix vers une seule plateforme pour ne plus en changer. Dans un tel scénario, ce qui structure le marché, et les parts du gâteau détenues par chaque acteur, ce n'est pas uniquement l'attractivité intrinsèque des contenus. Interviennent en effet deux autres facteurs: la prime au premier entrant, et la préférence de marque.
La prime au premier entrant est un phénomène bien connu dans les industries basées sur de l'abonnement. Il y a une forme de captivité et d'inertie chez le client vis-à-vis du premier service qu'il a souscrit. La chose est bien connue dans le secteur de la banque et de l'assurance. A cet égard, Netflix en France est bien évidemment avantagé, avec 4 millions d'abonnés d'avance. L'évolution de ce bassin va être scruté à la loupe lorsque la concurrence débarquera. Quelle attrition d'abonnés provoquera le retrait progressif de certains contenus phares détenus par des tiers ? Il y aura migration plus ou moins massive suivant l'appétence pour les contenus des nouveaux venus, mais aussi à proportion de la préférence de marque que ces plateformes réussiront à créer. On a certes tendance à considérer que ce facteur est faiblement structurant dans l'univers des médias: il est vrai que vous allez rarement voir un film parce qu'il émane de chez Warner plutôt que d'Universal ; les labels de confiance sont peu nombreux dans ce secteur. A cet égard, Disney fait figure d'exception notable, avec une forte préférence de marque auprès des familles. En résumé, si le modèle qui se dégage est celui d'un abonement unique, la bataille s'annonce pour le moins sanglante entre les plateformes: celles déjà en place tacheront de conserver leurs bassins de souscripteurs, les autres chercheront à le siphonner, et à évangéliser les clients non encore initialisés SVOD.
Le corollaire sombre de ce scénario, c'est que si les consommateurs restent campés sur un modèle à abonnement unique par souci de contenir leur budget, il y a fort à parier qu'un spectre refasse son apparition: celui du piratage. Le programme qui vous fait envie, mais que ne propose pas la plateforme pour laquelle vous payez, vous allez peut-être être tenté d'y accéder illégalement... Aux Etats-Unis, ce phénomène, un temps jugulé ou en tout cas stabilisé parallèlement à l'ascension de Netflix, est reparti à la hausse avec la multiplication des offres.
Le deuxième scénario, est celui d'un modèle à deux abonnements: un principal, et un additionnel. Vous conservez votre abonnement historique, et acceptez d'en souscrire un second. Le panier cumulé entre 15 et 20 € reste raisonnable, et les transferts d'abonnés se feraient pour les plateformes moins dans une logique perdant/gagnant que dans l'hypothèse d'un modèle Single Subscription massif. C'est notamment ce modèle auquel se raccrochent toutes les plateformes dites de niche, c'est à dire celles qui ont choisi un univers éditorial très délimité mais exhaustif sur leur expertise. Les plateformes spécialisées dans le documentaire, les films d'une certaine nationalité, ou sur des genres spécifiques, espèrent toutes devenir le deuxième abonnement de leurs clients, derrière l'abonnement mainstream. Aucune en France pour l'instant n'a réussi à prouver la viabilité de cette approche, les recrutements étant anémiques. L'avenir dira si c'est une question de maturité insuffisante du marché, ou une simple illusion.
Autre piste, assez disruptive: on lit ça et là qu'un des usages qui pourrait structurer le marché à l'avenir face à l'offre démultipliée des plateformes, serait celui du Streaming Switching, autrement "l'abonnement en balancier". Comme les abonnements à ces plateformes se font sur un mode ouvert, sans engagement, certains consommateurs prévoient de concentrer leur consommation de contenus issus d'une plateforme donnée sur un seul mois, résilier, puis passer à la suivante. Après avoir préalablement repéré les contenus qui vous intéressent chez l'ensemble des acteurs, vous activez un abonnement Netflix en mars, visionnez tout votre programme, puis résiliez avant d'activer Disney+ en avril, etc... Un seul forfait mensuel, et des plateformes qui tournent...
On le voit: il y a un vrai brouillard sur les usages futurs, et sur la réponse des consommateurs face au débarquement programmé d'une offre SVOD pléthorique. Scrutons l'avenir pour voir s'il se dissipera...
Community Leader CCI & Program Manager Cap Digital
5 ansMerci pour cette analyse qui m’a apprise un nouveau concept : le Streaming Switching :-)
Product Manager Cloud
6 ansRoaming is coming.
Fondatrice Productrice et Journaliste RMF Radio Montréal France
6 ansLes maisons de disques ont réussi à s'accorder avec Spotify pour lutter contre le streaming/téléchargement illégal, l'industrie du film devrait y parvenir aussi. Enfin c est à espérer. Ca permettrait également d'avoir des collections complètes pour certain réals qui ont été édités chez plusieurs labels ciné comme par exemple Woody Allen pour ne citer que lui. Bien que dans la musique, l'événementiel autour des tournées/concerts permet de contre balancer les pertes financières de ce mode de diffusion, ce qui n est pas adaptable au cinéma... A suivre donc.
Scénariste & réalisateur ("La Nuée" nommé aux César, Cannes) • Consultant IA
6 ansBelle analyse, Alexis.