Densification des villes : quelles solutions ?
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Densification des villes : quelles solutions ?

Au cours des années 1950 et 1960, cinq villes nouvelles sortent de terre en Île-de-France : Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines, Melun-Sénart et Évry. Construites sous l’impulsion de Paul Delouvrier, elles ont alors pour objectif de maîtriser la croissance de l’agglomération parisienne en créant cinq grand pôles à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris, au moment même où de nombreux grands ensembles sont construits aux abords de la capitale.

Initialement destinées à accueillir plusieurs millions de personnes, ces villes nouvelles ne sont finalement jamais parvenues à attirer autant de nouveaux habitants, même si certaines connaissent aujourd’hui une forte activité économique (grâce notamment au parc Disneyland Paris à Marne-la-Vallée ou à l’implantation de nombreuses entreprises – dont Egis – à Saint-Quentin-en-Yvelines).

Cette politique des villes nouvelles (qui a également permis la création de L’Isle d’Abeau, près de Lyon, de Val-de-Reuil, près de Rouen, de Villeneuve-d’Ascq, près de Lille, et de l’Etang de Berre, près de Marseille) est surtout devenue au fil des années l’illustration des difficultés causées par l’étalement urbain, malgré une intention initiale louable : faciliter l’accès à la propriété et aux logements individuels pour tous, en tirant parti de l’essor de l’automobile.

En prenant possession des ronds-points, au cours de l’année 2019, les « gilets-jaunes » ont mis en lumière les effets négatifs de cette périurbanisation et partagé leur profond sentiment d’enclavement et de relégation. Ce ressenti est exacerbé par une dépendance totale à la voiture (et donc une forte vulnérabilité aux fluctuations des prix du carburant) pour accéder à l’emploi et aux services, là où les Parisiens profitent dans le même temps de « la ville du quart d’heure ».

Au-delà de son coût social, l’étalement urbain a également de graves conséquences environnementales, parmi lesquelles bien sûr l’émission de gaz à effets de serre générée par l’utilisation intensive de la voiture. Mais l’étalement urbain a aussi pour conséquence une artificialisation croissante des sols et une réduction des terres agricoles, qui contribuent activement à la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes.

 Quelle densité souhaitable ?

Il est donc nécessaire de repenser une autre urbanisation, tandis que les besoins liés à la croissance démographique continuent de se faire sentir de façon pressante et que l’urbanisation continue de progresser partout dans le monde : pénurie de logements, loyers excessifs, coût élevé de la vie… Face à ces problématiques, la densification des villes peut être une solution, mais pas à n’importe quel prix. Toute la question est de fabriquer une densité souhaitable, qui ne crée pas par elle-même de nouvelles externalités négatives.

Cette densité souhaitable ne correspond pas à une valeur absolue d’habitants au km² qu’il ne faudrait pas dépasser ; il s’agit plutôt de prendre en compte un ensemble de critères qui fait que la densité ressentie par les habitants est acceptable pour eux.

Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser instinctivement, la ville de Paris (20 000 habitants/km²) est largement plus dense que New York (7 000 habitants/km²) ou Tokyo (6 000 habitants/km²). Comme le montrait l’exposition « Paris Haussmann, modèle de ville », organisée en 2017 au Pavillon de l’Arsenal, l’îlot haussmannien lui-même est beaucoup plus dense que les grands ensembles construits en région parisienne après la Seconde guerre mondiale ou que d’autres formes plus récentes encore. Pourtant, cette forte densité est beaucoup mieux vécue à Paris que dans les villes qui l’environnent.

Les grands ensembles sont en effet plus élevés ou plus étendus que l’îlot haussmannien, mais ils comprennent aussi beaucoup d’espace vide « inutile ». A l’inverse, les logements construits selon le modèle haussmannien laissent relativement peu d’espaces inoccupés, à l’exception généralement d’une cour intérieure. Par ailleurs, leur modèle peu profond (ce qui permet généralement une double ou triple exposition) et haut de plafond (trois mètres en moyenne, avec toutefois des disparités entre les étages) permet selon Umberto Napolitano, un des commissaires de l’exposition, un meilleur accès à la lumière et donc un confort amélioré.

 Transports, commerces : penser la ville dans sa globalité

La densité souhaitable correspond donc à la densité vécue. Elle n’exclut pas les immeubles de grande hauteur, mais elle impose une réflexion générale sur la façon de construire ces immeubles et, plus largement, sur l’aménagement du territoire dans son ensemble. A cet égard, la question des transports ou des commerces est centrale : pour faire ville, il faut penser l’urbain dans sa globalité et remettre les usagers-habitants au centre des réflexions.

L’exemple de Clichy-sous-Bois permet d’illustrer efficacement la nécessité d’intégrer les problématiques de transport : le plan d’urbanisme rédigé en 1960 par Bernard Zehrfuss prévoyait initialement la construction de grands ensembles dans la commune, mais également son raccordement aux grands réseaux routiers (via le projet de l’A87) et ferroviaires (via le RER) pour permettre un accès rapide aux bassins d’emploi et d’activité de Paris et de l’aéroport de Roissy.

Si les bâtiments ont bien été construits, les projets d’infrastructures de transport ont quant à eux été abandonnés, faisant de Clichy sous-Bois une ville particulièrement enclavée : située à une quinzaine de kilomètres de la capitale seulement, il faut pourtant encore aujourd’hui plus d’une heure à ses habitants pour rejoindre le centre de Paris.

Sortir de cet enclavement, c’est précisément l’objet du Grand Paris Express (dont Egis est un partenaire important depuis plusieurs années), qui vise à mieux relier entre elles – et à Paris – certaines villes de l’agglomération parisienne. Désenclaver ces territoires permet de donner davantage de perspectives aux populations, notamment à travers un meilleur accès à l’emploi, à la culture ou à une vie sociale plus riche.

A l’échelle des métropoles, penser l’offre de transports dans la ville c’est aussi donner sa juste place à la voiture. La réflexion actuelle sur les zones à faible émission (ZFE) est une piste intéressante : elle limite la circulation des véhicules les plus polluants tout en évitant de bannir complètement l’automobile. Elle permet aux uns de venir dans la ville et aux autres de pouvoir y vivre de façon harmonieuse.

 Inventer le modèle de demain

Alors, pour une densité heureuse, faut-il simplement reproduire le modèle haussmannien et proposer une offre de transports et de commerces significative ? Ce serait passer un peu rapidement sur les attentes de la société envers les nouvelles constructions, en particulier concernant la transition écologique. Nous devons en réalité chercher à inventer le modèle de demain pour pouvoir construire plus, mais surtout pour construire mieux, en concevant le quartier comme la cellule de base de la ville durable.

Des innovations permettent d’ores et déjà de lutter contre les effets négatifs de la densification. Ainsi, de plus en plus d’immeubles de grande hauteur dans le monde sont construits en bois, un matériau qui permet d’allier bonne performance énergétique, confort de vie et impact environnemental limité. C’est notamment le cas du quartier Bruneseau à Paris, un projet bas carbone ambitieux qui sera à terme producteur d’énergie.

De même la conception bioclimatique permet de tirer parti des conditions spécifiques d’un site (vent, exposition au soleil, ressources naturellement disponibles) pour limiter sa consommation d’énergie. Enfin, de plus en plus d’acteurs font en sorte d’assurer le réemploi de certains matériaux, pour limiter la surproduction.

Dans le même temps, des solutions peuvent être mises en place pour remédier à une ville trop bétonnée et en réduire ses impacts, comme nous l’avons fait pour plusieurs de nos clients : aménagement d’îlots de fraicheur, en utilisant des matériaux adaptés et en favorisant les zones ombragées (à Bayonne) ; séquestration du carbone dans le sol, pour diminuer l’émission de gaz à effet de serre (à Abidjan) ; mise en place de dispositifs destinés à recréer de la biodiversité en milieu contraint (à Rungis).

Enfin, il est nécessaire de continuer à rénover et à moderniser les constructions existantes. C’est un souhait ancien, porté notamment il y a quelques années par la loi Borloo et la création de l’ANRU. Le plan de relance actuel est une nouvelle opportunité pour remettre les bâtiments moins performants au niveau des normes attendues aujourd’hui, en particulier en matière de consommation énergétique. La réflexion récemment engagée autour des « passoires thermiques » doit également permettre d’engager la rénovation de nombreux logements, et ainsi de proposer un habitat de qualité pour tous. Y compris en zone dense.

Maher Ben Abdallah

Team Leader IBF international consulting Governance & Decentralisation

3 ans

Cela dépend si vous parlez des villes Africaines, Asiatiques ou d’Amerique Latine ou bien des villes et métropoles Européennes qui ont vécu l’industrialisation du 18 et 19eme siècles. Si l’on parle du renouvellement urbain de réinsertion et ou valorisation des friches (reconversion des anciennes gares ferroviaire) ou de sustainable ville avec grand parc urbain ou encore des villes résiliantes qui veulent sauver leurs image de marque suite aux extensions urbaines anarchiques et ou non réglementaires avec des bilans mitigés au niveau des dessertes en réseaux et infra ou bien en équipement de proximité ou bien de super structure...??? À chaque contexte correspond un paquage qui lui convient et son modèle de demain adéquat./.

Jean-François Frézet

Egis, chef de projet géotechnique (Europe, Afrique, Asie)

3 ans

Bonjour Laurent, L'exemple du plateau de Clichy Montfermeil est assez emblématique. A87, mono-rail SAFEGE. Avant le GPE Express, l'extension du Tram train 4 est un grand premier pas. Les équipes d'Egis y ont participé également. Vallée des Anges, Chêne Pointu. Le tram dessert ces zones en utilisant les emprises prévues pour cette fameuse A87 qui a bien été réalisée, mais en Pays de Loire. L'enjeu de la ville est effectivement de se réinventer sur elle même, et d'en profiter pour réparer les erreurs du passé Bonne journée

Surtout évitons de construire des smart cities sur le modèle de Songdo en Corée du Sud

Martial CHEVREUIL

President at ATEC ITS FRANCE

3 ans

Merci pour cet article très complet. Je proposerais bien d'ajouter deux facteurs à prendre en compte pour la "densité" heureuse, deux facteurs d'ailleurs liés : - face aux événements climatiques violents et de plus en plus fréquents, penser à la résilience des Infrastructures et des réseaux (cf. par ex l'outil ROSAU développé par Egis Marie Toubin) - les risques sanitaires comme nous les vivons aujourd'hui, avec des contaminations plus rapides dans les secteurs à densité de population élevée. Certainement un équilibre à trouver entre tous ces facteurs, urbanisme, bâtiments, transports, prenant en outre en compte l'héritage ... 🤔

Fabrice Lebreton

Responsable des Systèmes Industriels RATP CAP IDF

3 ans

Pandémie oblige, (les évolutions du Coronavirus existe depuis 17 ans: c'est sûr il va continuer d'évoluer) il peut être intéressant de repenser nos villes en matière de populations. En dehors des villes : Des zones à faibles densité équipées en fibre optique peuvent permettre de télétravailler mais aussi de vivre avec des densités de population faible: propice à la non propagation du virus. Le télétravail aidant (quand c'est possible) s'il devient une règle, les usagers du transport en commun et des infra routières (saturés et polluants) en souffrance et entassés dans les grandes villes, les migrations des populations vers les provinces (agréable car verte et faible densité de populations) ne serait-ce pas la réponse à quelques nombreux pb ? Cela va dans le sens de la décentralisation que le gouvernement souhaite.

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