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La relation et l’interaction au service du bien-être au travail, de l’efficacité et de la productivité
La majorité des coachs qui exercent avec une certaine ancienneté font le même constat : depuis une dizaine d’année, le métier connaît une mutation. En effet, nous recevons dans nos cabinets de plus en plus de personnes qui sont en souffrance. Il devient difficile d’exercer notre métier sans être au fait des risques psychosociaux et de leurs différentes composantes. Parmi les facteurs de risques, l’un d’entre eux ressort très fréquemment : la relation. L’interaction humaine peut être le facteur déclencheur du mal-être, du stress et de la souffrance ou alors agit-il comme facteur aggravant. Les salariés en souffrance deviennent alors moins efficaces et la productivité s’en ressent. Cette observation de la montée en puissance de la souffrance au travail est confirmée par les statistiques des médecins et des psychologues du travail.
Plutôt que de parler de risques psycho-sociaux et dans une volonté de prévention en aval des risques, le bien-être au travail est de plus en plus reconnu comme une possibilité d’avenir pour les organisations. Ce bien-être sera la conséquence d’un certain nombre de prises de conscience et de changements. Parmi tous ces changements, la qualité de la relation sera omniprésente puisqu’elle agira en tant que tel ou comme moyen des autres changements. Les prémisses de cette nouvelle évolution sont engagées et bon nombre d’organisations commencent à placer la relation et l’interaction au cœur même de leurs préoccupations. Ainsi, la qualité de la relation participant au bien être, lui-même favorisant l’efficacité et la productivité, les savoir être et savoir faire relationnels deviendront-ils les valeurs monnayables de demain ? C’est un pari que bon nombre d’organisations évaluent activement. Le respect, la civilité, la courtoisie, la diplomatie, voir même la gentillesse constitueraient ainsi des cartes à jouer pour les salariés et offriraient, comme toutes autres compétence et qualité, un levier de négociation non négligeable. Ces savoir être seraient également une garantie de davantage de compétitivité dans les métiers et les activités qui sont dépendantes de la relation aux clients. En effet, les compétences relationnelles peuvent se dupliquer dans tous les domaines de l’interaction, que ce soit dans l’équipe, en transverse ou vers l’externe.
Nous autres systémiciens, dont la nourriture première de nos interventions est l’information fournie par l’interaction, nous développons une certaine dextérité à observer les systèmes humains, qu’ils soient familiaux, organisationnels ou sociétaux. Les travaux et éléments de recherches émanant des différents courants systémiques depuis les fondateurs et le Groupe de Palo Alto jusqu’à aujourd’hui fournissent une matière importante pour accompagner les acteurs et les organisations dans la connaissance de l’interaction, ses pièges et ses possibilités. Bien souvent, les aspects relationnels – et l’on observe facilement cela dans la relation aux clients – sont majoritairement traités sous la forme d’une référence à une norme, ne tenant en cela compte ni des situations ni des personnes. Ainsi, voit-on émerger des comportements relationnels stéréotypés, désincarnés et non investis par la personne qui les emploie. De l’incivilité, on passe alors à une civilité sur-jouée qui sera vécue par le receveur comme aussi désagréable que l’incivilité elle-même, voir davantage car l’effort fourni désamorce toute tentative de revendication de son droit à être bien traité. Une approche constructiviste et donc tenant compte des particularités de chacun, sera une approche davantage efficace et respectueuse. Cependant, donner l’injonction du savoir être est-il en soi respectueux ? Nous sommes ici très proches d’une injonction paradoxale qui pourrait être source du contraire de ce qui serait attendu. En effet, le savoir être émane d’une pulsion relativement spontanée et il est difficile d’en intimer l’ordre. Pour se sortir de ce paradoxe, il convient sûrement de passer à la classe des compétences. Et c’est bien au niveau des compétences relationnelles et interactionnelles qu’il conviendra d’agir. Cependant, on ne peut rendre cela davantage obligatoire et c’est bien à chacun de définir comment il souhaite se comporter dans la relation, et d’en assumer les conséquences. Et c’est là que la valeur marchande de ces compétences devient un levier de motivation suffisamment intéressant pour que les organisations commencent à s’y pencher. Ainsi, nos universités et nos écoles devront-elles dans l’avenir préparer les étudiants à cette nouvelle donne qui deviendra un incontournable de l’embauche et de la négociation.
Cette perspective semble plutôt appréciable pour faire évoluer les organisations vers un environnement davantage source de bien être que de risques psychosociaux. Cependant, il conviendra d’accompagner cette évolution avec la conscience et la volonté d’un curseur résolument tourné vers une éthique qui devra se construire au fil des étapes, garantissant ainsi l’équilibre de l’ensemble et évitant les dommages collatéraux. L’éthique sous-entend un moyen pour atteindre un but. Et c’est bien en interrogeant le but avec clairvoyance que le moyen peut prendre la forme d’une éthique organisationnelle ou son contraire. Bien que le but final restera la productivité, il existe vraisemblablement quelques chainons manquant entre la qualité de la relation qui entraîne davantage de bien-être et la dite productivité. Et c’est bien à ce niveau que les organisations devront construire une éthique adaptée pour éviter de retourner rapidement à la case départ, voir au-delà. On voit aujourd’hui des organisations qui investissent ces chainons à des fins purement marketing, de communication interne et externe et on peut vite constater les dommages collatéraux qui en résultent et qui renforcent les difficultés initiales. On voit également émerger des solutions qui visent à créer une dépendance des acteurs, ce qui entraîne également des problèmes plus importants que ceux censés être traités. Lorsque une situation n’avance pas, les systémiciens ont coutume de dire que le problème est la solution mise en place et qu’il convient donc d’en inventer une qui soit différente et plus adaptée. On voit aujourd’hui des organisations qui trouvent ces solutions, de manières parfois bien différentes, mais toujours adaptées aux contextes et aux acteurs et tournées vers l’objectif de productivité. On voit cependant une constante dans ces solutions : la volonté authentique de développer des relations de qualité, respectueuses des uns et des autres. Le développement des compétences relationnelles ne peut en effet faire l’économie d’une démarche vraie, qui prend racine sur le terreau de l’éthique et la prise de conscience des enjeux personnels, collectifs et organisationnels. Faire le pari des interactions de qualité, c’est sans aucun doute faire un pas vers l’avenir des organisations, sans pour autant tomber dans l’utopie de la perfection dans ce domaine ni dans celle de l’entreprise idéale. L’utopie peut en effet rapidement mener à des ultras-solutions dictatoriales qui seront l’exact opposé du but recherché. Des relations de qualité ne peuvent en effet se développer qu’avec l’acceptation que la qualité sera variable et que parfois même elle ne sera pas. Il appartient aux acteurs, quel que soit la position hiérarchique, de faire l’apprentissage de la régulation pour aboutir à l’équilibre attendu par chacun d’eux. Et c’est là qu’apparaît la valeur marchande de ces compétences relationnelles. En effet, s’il est vrai que la motivation organisationnelle principale est la productivité, il n’en est pas moins vrai que l’un des leviers de motivation important pour les collaborateurs est le salaire. L’équation peut alors trouver son issue dans cet espace ou le but des uns rejoint celui des autres.
Frédéric Demarquet
12 juillet 2016