Descartes maître Zen

Descartes est connu comme le philosophe ayant "inventé" le dualisme entre l'âme et le corps et entre l'homme et la nature. Il serait celui qui aurait incité l'Occident à traiter la nature comme un objet dont on est "comme maître et possesseur". Et il est vrai que Descartes dit explicitement que pour comprendre les mécanismes à l'œuvre dans le monde vivant il faut le considérer comme un pur mécanisme animé par des forces impersonnelles et mathématisables.

Il est vrai aussi que pour Descartes, l'âme, ce que nous pourrions traduire en langage moderne par “l'esprit”, est une res cogitans, une substance pensante dont l'essence est de penser tandis ce que le corps est la res extensa, la chose étendue, la matière. Et il n'existe au premier abord pas de communication possible entre deux substances de nature incommensurable.

Mais lorsqu'on y regarde d'un peu plus près, nous voyons que l'âme pour Descartes est aussi bien l'esprit qui réfléchit, qui calcule, qui anticipe, qui pense, que celui qui imagine mais aussi qui croit, espère et donc désire et craint. Descartes ajoute que "l'homme n'est pas uniquement logé en son corps tel un pilote en son navire". Dans la pensée il y a de l'affect, il y a des passions, ce que nous nommerions aujourd'hui des émotions. Descartes ne l'a non seulement jamais nié mais l'a souligné à de multiples reprises. Il dit même que les passions “sont toutes bonnes de leur nature” (Les Passions de l’âme) et que le problème provient de la faiblesse de notre travail sur nos préjugés (paresse) et de notre manque de préparation (entraînement et méthode) pour “séparer en soi les mouvements du sang d’avec les pensées auxquels ils ont coutume d’être joints”, afin de s'opposer à la puissance des émotions. 

Les émotions peuvent en effet présenter à l'imagination des raisons qui “paraîtront à l’âme beaucoup plus fortes qu’elles ne sont”. Il s'agit donc soit de faire confiance à sa raison en s’opposant résolument par la volonté aux raisons fournies par la passion (les émotions) : c’est là que la force de caractère est essentielle.

Soit de temporiser donc en pensant à autre chose, en se calmant, en se “relaxant” puis en réévaluant la situation de manière posée. 

C'est une forme de résistance active aux émotions. 

Mais pour cela il faut de l'entraînement et de la méthode, à défaut de quoi les émotions gagnent à tous les coups et elles sont rarement de bonnes conseillères lorsqu’elles sont fortes. 

Les émotions ont certes leur utilité et il serait insensé de prétendre s'en débarrasser puisqu'elles sont constitutives de la pensée même, mais lorsqu'elles sont violentes elles témoignent le plus souvent d'une sensibilité exacerbée par des raisons purement corporelles et contingentes : elles sont fortes parce que notre mémoire nous fait remonter un souvenir douloureux, parce que nous projetons nos propres craintes sur une situation objectivement sans danger, parce que nous sommes fatigués après une courte nuit et donc irritables, parce que nous sommes ivres ou dans un état second suite à la prise de médicaments, parce que nous sommes anxieux, parce que nous sommes malades et affaiblis, parce que nous avons trop chaud ou trop froid etc...

De multiples raisons concourent à ce que nous soyons traversés par des émotions puissantes qui génèrent des pensées fausses et provoquent des comportements inadaptés qui menacent de nous emporter sans que nous puissions y offrir plus de résistance que lorsqu’on nous chatouille à un endroit sensible (Descartes qui prend cet exemple).

C'est contre cela que Descartes nous met en garde. Il a donc acté de l'union de l'âme et du corps mais a buté sur l'explication scientifique de la communication entre les deux, ce qui est un autre problème.