Digital, peut mieux faire
Un rapport du Conseil National du Numérique (CNN) pointe un certain nombre de retards dont souffrent les entreprises françaises en matière d’utilisation de l’Internet et des nouvelles technologies de l’information et suggère quelques mesures d’accompagnement pour y remédier.
Si on voulait être mauvaise langue, on ne manquerait pas de relever que ce diagnostic a été déjà posé dans les mêmes termes au cours des dernières années, sans qu’une amélioration notable ait pu être enregistrée depuis. Outre le traditionnel travers français qui veut que poser le diagnostic équivaut à résoudre le problème, une des explications tient au fait que le raisonnement sur cette matière se trouve systématiquement biaisé par trois paramètres d’analyse :
- tout d’abord on a tendance à réduire le numérique à la seule utilisation de l’Internet, alors qu’il faudrait plutôt souligner la nécessité d’intégrer le « digital », sous toutes ses formes, dans l’organisation de l’entreprise, condition fondamentale pour la rendre plus agile, donc plus compétitive ;
- de même, on tend trop souvent à limiter la sphère numérique à la seule vente en ligne. Faut-il rappeler que les objectifs peuvent être bien plus variés, en fonction de la stratégie de l’entreprise : tester de nouveaux marchés, expérimenter, apprendre… et/ou, surtout, diminuer les coûts, notamment dans les relations BtoB ?
- enfin, si le diagnostic peut être posé globalement, le traitement, lui, doit être individualisé pour chaque entreprise, en fonction de sa stratégie, de son degré de maturité, du savoir-faire et des moyens, notamment financiers et humains, disponibles.
Quand on prend en compte les remontées du terrain, l’élément clé, la principale explication de ce retard français se trouve lié au fait que les entreprises (et pas seulement les PME) ont du mal à aborder la transformation digitale, faute de pouvoir/savoir en déterminer les priorités, en maîtriser les processus et, finalement, en évaluer l’impact et en calculer la rentabilité.
Est-ce à dire que les propositions du Conseil National du Numérique ne seraient pas pertinentes ? Loin de là ! il conviendrait juste de les focaliser et les préciser quelque peu :
- les « ambassadeurs du numérique » constituent une excellente initiative… à condition justement qu’ils ne se contentent pas de promouvoir le numérique, ce qui suscite plutôt de la frustration, en générant la sensibilisation sans créer ensuite les conditions de l’implantation. Ils doivent avant tout être capables de comprendre la stratégie de chaque entreprise prise individuellement et de définir comment la « digitalisation » peut ou doit s’y inscrire. Les conseillers de terrain des Chambres de commerce et d’industrie (s’il en reste après la saignée liée aux coupes budgétaires…) sont à ce titre effectivement les interlocuteurs privilégiés des PME, car ils ne vendent pas une solution spécifique…
- …à condition de pouvoir ensuite surmonter la frustration décrite ci-dessus ! D’où la nécessité de focaliser les « ICT Innovation Vouchers » sur la réalisation des diagnostics personnalisés, permettant de définir les priorités, les outils les mieux adaptés et le coût des investissements immatériels et humains à mettre en place ;
- cela suppose aussi d’éviter l’empilement des strates d’intervention. Nul besoin que les Régions se lancent dans la mise en place de nouvelles structures : aux CCI de sensibiliser et détecter, aux consultants privés de réaliser les diagnostics et les préconisations, aux Régions, à travers le mécanisme européen des « vouchers » de financer !
- enfin, oui, cent fois oui, à la priorité de l’utilisation du digital pour l’export, comme c’est déjà largement le cas pour les procédures à caractère administratif (Douanes, certificats d’origine…). Mais, là encore, il ne s’agit pas de réduire à la vente en ligne : l’approche des nouveaux marchés, les tests locaux, la notoriété, l’intégration des réseaux de représentants… voilà des chantiers importants pour lesquels on pourrait envisager les « VIE numériques » : le VIE au lieu d’être implanté à l’international aurait pour but de mettre en place depuis la France la stratégie digitale export de l’entreprise.
Dernier point : à l’international, sur Internet, l’essentiel est de créer la confiance. Quel dommage qu’aucun appui n’ait été apporté au déploiement de ChamberTrust, outil de Worldchambers Network, le réseau mondial des CCI, apportant la première strate de confiance, élaboré pourtant à l’initiative de… la France !
(article publié dans Le cercle Les Echos début août 2016)