Digression de minuit: l'actualité ukrainienne peut-elle "plomber" l'entre-deux-tours de l'élection?
Petite digression de minuit.Le 24 février, vers minuit aussi et donc quelques heures avant l'attaque russe sur l'Ukraine, j'écrivais: "Avec ces bruits de bottes russes, on en perdrait presque le sommeil. La situation est assez dramatique et surréaliste. On pensait tous qu'une telle crise internationale était d'une autre époque mais il faut regarder les choses en face, la question n'est plus tellement de savoir si Poutine va avancer en Ukraine, mais plutôt jusqu'où ira-t-il ?"
Je posais aussi la question du niveau de réaction de l'Occident.
Aujourd'hui, près de 50 jours plus tard, alors que nous avons pris l'habitude des images terribles, la tragédie est sous nos yeux. La guerre est bien là. Mais Poutine n'a pas réussi son hold-up sur l'Ukraine: la résistance ukrainienne est héroïque et l'homme fort du Kremlin a largement sous-estimé l'Occident dans sa capacité à créer un véritable rapport de force, un front uni.
Poutine a sans doute perdu cette guerre si l'on suit la pensée de Kissinger quand il évoquait le Vietnam: "La guérilla gagne si elle ne perd pas ; l’armée conventionnelle perd si elle ne gagne pas". Une réserve cependant: la résistance ukrainienne n'est pas tout à fait une guérilla. Elle en a les caractéristiques quand elle se bat dans les villes mais, sinon, on a bien deux armées face à face.
Poutine a sans doute aussi perdu la guerre dans sa forme "conventionnelle", car les spécialistes estiment qu'il devrait déployer 300 voire 400 000 hommes pour venir à bout de la centaine de milliers de soldats. Poutine le sait, c'est pourquoi, il ne faut pas exclure l'utilisation d'armes non conventionnelles pour "forcer la décision": arme nucléaire tactique? Peut-être pas, mais il ne faut pas exclure l'utilisation d'armes chimiques comme en Syrie.
Ce qui est sûr, c'est que Poutine n'entend pas perdre la face. Cette obstination le rend encore plus dangereux. Le 9 mai, la Russie commémorera la Grande Victoire Patriotique sur le nazisme. Poutine a donc moins d'un mois pour engranger des succès. Le prix pour les Ukrainiens risque d'être encore plus lourd, et malheureusement, les drames les plus horribles sont peut-être devant nous. Peu lui importe le coût humain, il faut que l'armée russe et ses sbires avancent, a minima pour conquérir tout le Donbass historique, a maxima pour prendre le contrôle de tout ce croissant périphérique... Voyez sur cette carte "sortie de derrière les fagots"... "View from Russia": quelle "belle" continuité territoriale avec cet aplat orangé "annexed to russian Federation" (vous oublierez les autres éléments de la légende qui tiennent de la mauvaise science fiction; par contre, Poutine a peut-être rêvé d'une Ukraine démantelée en 3 régions avec 3 gouvernements pro-russes). A ce jour, on peut difficilement imaginer une telle progression (voir première carte des positions au 10 avril, ci-dessus) sans effondrement de la résistance ukrainienne. De plus, Poutine ne peut pas raser Odessa ( symbole historique fort pour son peuple) comme Marioupol; par ailleurs, si l'aide militaire occidentale continue d'affluer en Ukraine, il lui sera difficile de progresser rapidement. Le niveau déjà atteint de cette aide nous place dans une position de quasi "co-belligérant". Vous y ajoutez, qu'en attaquant massivement la région d'Odessa, on se rapproche une nouvelle fois des frontières d'un pays membre de l'UE et de l'OTAN.
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Bref, alors que nous, les "bienheureux de l'Ouest", commençons à nous "habituer" (terrible mot, mais comme disait mon arrière-grand mère dont le mari est mort des suites de maladies contractées pendant la Première Guerre Mondiale, "on s'habitue à tout, l'habitude est une seconde nature chez l'homme), il est très probable que ce conflit nous revienne en pleine figure, sans attendre la fin de notre calendrier électoral.
L'hirondelle ne fait pas le printemps.