Directeur et « Atypique »

Directeur et « Atypique »

Y a-t-il un « handicap invisible » au sein de la direction ?

« 400 000 adultes autistes sont en âge de travailler aujourd'hui en France, or leur taux de chômage global est estimé à 95 %, et quasiment à 100 % chez les autistes dits sévères, systématiquement orientés vers des foyers occupationnels. En tant que dirigeant d'entreprise, je constate qu'il est pourtant possible de les faire travailler et d'exploiter leurs remarquables compétences » tels sont les mots de Jean-François Dufresne, directeur général du groupe Andros et père d'un jeune homme autiste sévère.

Si je devais me ranger dans une case, je serais un « 5% », un chanceux, pourrait-on penser naïvement : je travaille et j’ai un Trouble du Spectre Autistique (TSA), un Trouble de l’Attention et de l’Hyperactivité (TDAH), des troubles DYS, le tout saupoudré d’un Très Haut Potentiel Intellectuel (THPI)… J’ai de surcroit l’outrecuidance de travailler auprès de mes pairs et de m’être engagé dans une formation de direction, le CAFDES (certificat d’aptitudes aux fonctions de directeur d’établissements sociaux et médico sociaux).

Je vous épargnerais l’écueil d’un écrit centré sur un mécanisme de protection synonyme d’ultra solution (concept cher à Paul Watzlawick) qui tenterait de prouver que le TSA, le TDAH soient une force et un atout supplémentaire dans des fonctions de direction… Désolé de vous décevoir, non ce n’est pas une plus-value, ce sont des handicaps reconnus comme tel par la MDPH, et encore une fois non, le handicap n’est pas une force, même si je peux lire cela assez souvent, même dans la presse spécialisée… Mon enfance chaotique, mes difficultés au quotidien, les efforts omniprésents pour m’adapter à ce monde, le travail sur moi-même pour être le plus « normal » possible, la non compréhension du handicap invisible, l’humiliation, je n’appelle pas cela « une force ».

Je pense qu’il est plus intéressant de porter le focus sur la relation développée avec le handicap, et plus particulièrement sur la notion de « résilience » qui est, à mon humble avis, la vraie plus-value, s’il fallait en identifier une. Boris Cyrulnik la définit de la sorte : « la résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents », dans ce cas-là, oui la résilience est un réel avantage pour moi. Ces dernières années, il est indéniable que diriger dans le sanitaire ou le médico-social s’est également avéré être un art de navigation dans des mers très agitées… Cela pourrait faire de moi un expert n’est-ce pas ?

Trêve de plaisanterie, cette introduction n’a d’autre but que de mettre en avant ma motivation à devenir directeur et ma vision du métier, non par défi d’inclusion, non par revendication, ni par provocation, ou sentiment de sur efficience (certaines entreprises s’intéressant toujours plus aux profils atypiques, comme en témoigne un programme pilote lancé le 7 avril 2015 par Microsoft visant à recruter des autistes pour des emplois à plein temps à Redmond, dans l’Etat de Washington. Selon Mary Ellen Smith, vice-présidente du groupe et mère d’une enfant autiste, ceux-ci représentent un « réservoir de talent » et de forces, des qualités qui peuvent être utilisées comme un avantage concurrentiel) mais bel et bien pour participer à cette mutation du social qui est en cours.

La vraie question que vont surement se poser mes futurs collaborateurs ou l’esprit commun sera presque toujours : « Comment un trouble peut-il être à l’origine d’une créativité et d’une force entrepreneuriale ? ». A cela je pourrais répondre très simplement, que dès mon plus jeune âge j’ai été contraint, presque dans une mécanique de survie, de développer des stratégies destinées à compenser mes faiblesses en compréhension des relations sociales mais aussi en communication écrite et en organisation. Mes difficultés à comprendre les mécaniques relationnelles mais aussi l’implicite, les sous-entendus, la métacommunication m’ont aidé à développer une grande mémoire mais aussi identifier rapidement les personnes dignes de confiance, prêtes à venir en aide sur lesquelles il est possible de s’appuyer.

Aujourd’hui, du haut des mes 44 années, je peux dire que ces efforts m’ont permis de maîtriser les techniques de négociation que je pratique depuis mon plus jeune âge, mais aussi paradoxalement d’avoir de très bonnes aptitudes en communication orale voir en leadership ce qui demeure des qualités essentielles pour promouvoir une institution auprès des financeurs ou s’adresser aux salariés ou instances. Mon parcours scolaire, parfois chaotique m’a appris à rebondir après une défaite, à travailler sur mes difficultés pour me surpasser et toujours aller de l’avant, ne jamais abandonner (d’ailleurs, un de mes intérêts restreints, la saga Rocky, m’a aidé sur le chemin de la résilience avec une phrase qui résonne tous les jours dans ma tête, que j’ai tatoué sur mon corps et exposé dans mon bureau en grand sur le mur : « it ain’t over ‘till it is over » traduite en version française « rien n’est fini tant que la cloche n’a pas sonnée »).

Certes il me reste des failles, j’éprouve encore des difficultés à nouer des relations sociales, à passer de la théorie à la pratique ou encore à gérer les imprévus mais qui n’en a pas ? Même un directeur neurotypique ? Personnellement, je les identifie et accepte de continuer à travailler dessus, à me remettre en question et me suis entouré des professionnels les plus compétents pour mes suivis et supervisions (et dieu sait que ce n’est simple pour personne pourrais-je dire avec une pointe d’ironie).

Un traitement cognitif différent engendre une compréhension différente qui peut être une ressource dans la gestion de situation de crises où un autre regard est bienvenu, la phrase de Steve Jobs – « think different » – illustre bien cette capacité à imaginer des solutions à la fois ingénieuses, innovantes et adaptées.

Temps mort, avez-vous remarqué que sans m’en apercevoir, au fil de mon écrit, finalement, je me suis senti obligé de me justifier, de vous expliquer pourquoi j’avais le droit d’être à ma place dans cette formation, dans ce futur métier de directeur, de me justifier en somme… Mais pourquoi donc ? Peut-être parce que c’est ce que j’ai dû faire toute ma vie ? parce que c’est devenu un mécanisme inhérent ? Ce sentiment omniprésent du « syndrome de l’imposteur » peut être le révélateur que l’inclusion dans le monde du travail n’est pas encore si évidente que cela. Un directeur avec une RQTH, avec des troubles, qui font encore peur car trop souvent méconnu…  Et oui je ne suis pas « Rainman », ni « Good Doctor »… dans la vraie vie, je ne suis pas seulement une « case » sur un dossier MPDH, ni un « trouble » et encore moins un « 5% », je suis avant tout un temps un être humain avec une personnalité, un futur directeur éthique, motivé, empathique (si je vous jure on peut être autiste et empathique), formé, soucieux des personnes accueillies et à ce que l’on peut me dire, semblerait-il, charismatique.

« Savoir donner sa place à la biodiversité humaine, c’est se construire un avenir » nous dit Joseph Shovanec dans le reportage « Hymne à l’inclusion » de l’association « Prisme Autisme ». En m’étant engagé dans cette formation de directeur, malgré toutes les difficultés qui incombent à mon handicap, c’est bel et bien un pari sur la construction d’un avenir, pour moi mais aussi pour la future structure que je vais diriger, mais aussi, plus largement, participer à cette (r)évolution du secteur social et médicosocial rendue obligatoire par les derniers évènements sociétaux. Je lisais encore dans une tribune libre du 29 juin 2021, que Mr

Khaled Sabouné, maître de conférences en management et gestion des établissements sanitaires et sociaux « invitait les centres de formation et les universités à mettre en place des pédagogies favorisant le développement des compétences cognitives (esprit d’analyse…), de la confiance en soi et des qualités relationnelles (communication…) de futurs managers du secteur afin que ces derniers puissent analyser et donner plus de sens aux transformations du secteur et mettre en place une organisation du travail au service de l’humain dans un secteur qui revendique des valeurs de solidarité et où la relation humaine constitue l’essence de l’action », je rajouterais « des compétences cognitives diverses, novatrices et surprenantes ».

Un nouvel avenir est en train de se créer et je suis fier aujourd’hui d’y participer en y apportant une vision différente, parfois innovante, parfois dérangeante mais vous savez quoi ? Je suis confiant et optimiste, car tout au long de mon cursus, malgré les difficultés, les désillusions, les doutes, j’ai pu rencontrer des personnes formidables, motivées qui participent à ce changement et qui ont pour point commun, leur intelligence et leur bienveillance. Ils ont su me comprendre, percevoir le potentiel en moi et surtout m’ont permis de l’exprimer. Ensemble, construisons l’avenir de notre secteur, si nous voulons le rendre à nouveau attractif, il faudra se remettre en question, réfléchir sous un autre paradigme nos actions pour éviter cet écueil que mentionnait Sénèque dans sa lettre à Lucilius : “La plus grande partie de la vie passe à mal faire, une grande partie à ne rien faire, toute la vie à ne pas penser à ce que l'on fait.”

Suely Martins

Monitrice , Seconde de cuisine centrale et du restaurant inclusif l"Initiative" Adapei Papillons blancs Alsace

2 ans

Quel texte.....La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents » Merci Matthieu...😜.

Philippe MENGUAL

DSI / Manager Transition / Coach / Consultant / Formateur Agile et connecté

2 ans

Comme à l'habitude Matthieu Herminator, tu es intéressant et inspirant. Ton totem "Rocky" t'a, AMHA, bien souvent aidé dans les moments de doutes. Ton rayon d'action va bien au delà de ton métier et de ton (tes) sports, il faut que tu en sois bien conscient. Dans le monde de tempête dans lequel tu vis, il t'es nécessaire, quand tu arrives à te poser, de savoir que tes actions sont un véritable support pour beaucoup, atypique ou neurotypique. Tous mes vœux dans ta (votre 😉) quête 🙏

Laurence Latorre

Présidente Afdaim-Adapei 11 Conseil et formation Troubles du Neuro-Développement

2 ans

Merci beaucoup pour ce bel article qui me touche. Oui, la RQTH est justifiée et les efforts d'adaptation sont immenses, quotidiens et fatigants. Je suis toujours partagée car je pense que la neurodiversité est à la fois : - un handicap comme vous l'expliquez si bien, qui donne une lecture sur nos parcours de vie quand elle est enfin identifiée, - et une force qui va permettre notre résilience, notre capacité à être en relation avec les autres, avec le coût cognitif que cela nous demande, à inventer et mettre en place nos propres stratégies de compensation au quotidien et animer notre désir d'un monde meilleur. Elle nous empêche de rester sur l'acceptation du monde qui nous entoure tel qu'il est. Je ne sais pas si, sans ce(s) handicap(s), nous serions aussi persévérants. Merci encore. "Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde". Gandhi

Charlotte (Dupont) Decool

Consultante Formatrice START CREAI IdF (TND), CRAIF (TSA), Référente Intim’Agir IdF, Fondatrice d’Ensemble Face Au Handicap (EFAH), Parent Pair Aidante Facilitatrice / Neurodiversité & TND, Transformation Innovation

2 ans

Vive la neuro diversité 😉et son regard différent sur le monde qui nous entoure.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets