Disneyland, exploration désenchantée d'une utopie à renouveler
Vendredi 13h, les rires et l’enthousiasme de mes enfants emplissent la voiture. Plus particulièrement mon fils qui adore flash McQueen, le roi lion et Spiderman. Lui, le bienheureux qui n’est pas encore outillé pour en faire une analyse sociopolitique, attendait depuis une semaine d’éternité ce cadeau de Noël / St Nicolas.
Après les avoirs pris plus tôt à l’école, nous partîmes donc pour Disneyland Paris, où chaque coin est censé incarner la magie et l'émerveillement. Pour eux, c'est un monde de rêve ; pour moi, parent, c'est l'occasion- pensais je- de leur offrir un moment inoubliable. Inoubliable pour eux certes mais aussi pour moi quand mon œil parfois averti lorgne sur les coulisses de cette utopie en papier maché.
Samedi matin, nous fûmes accueillis par l'iconique château, symbole d'une perfection fantasmée. Les personnages de conte de fées, les attractions étincelantes, tout semblait sorti d'un rêve jusque les bulles de savons qui nous tombent dessus par milliers. Mais au-delà de l'éclat de ce crachat de licornes, se dessinaient les nuances moins reluisantes de ce tableau clair obscure.
Le tourisme de masse à Disneyland Paris se manifeste de façon palpable : Les longues files d'attente, la foule compacte, le rythme effréné – tout cela révèle une réalité où le rêve est consommé en masse. Chaque "land" est une réplique stéréotypée, déshistorisée, et dépolitisée de différents coins du monde ou de différents univers, présentés de manière dévitalisée.
Par exemple, Adventureland semble réduire l'Afrique et l'Asie à un ensemble de clichés exotiques. De même, Frontierland évoque l'Ouest américain d'une manière qui occulte les réalités historiques douloureuses, notamment la colonisation et l'oppression des peuples autochtones.
Difficile par ailleurs de ne pas être conscient de la façon dont l'espace lui-même est organisé. Les hiérarchies spatiales à Disneyland reflètent et reproduisent des hiérarchies sociales. Les espaces centraux sont consacrés aux récits dominants et universellement reconnus, tandis que les périphéries accueillent des récits plus diversifiés, mais souvent simplifiés et exotisés. Cette disposition spatiale n'est pas fortuite, mais reflète des choix délibérés qui privilégient certaines histoires et expériences par rapport à d'autres.
En déambulant, je suis en outre frappé par l'omniprésence de la consommation. Chaque attraction, chaque spectacle, chaque mètre carré est conçu pour maximiser les dépenses, transformant l'expérience en une succession d'achats plus ou moins compulsifs. Un marché idéal avec un seul vendeur et 50.000 demandeurs qui se pressent et se bousculent dans ce qui n'est pas (seulement) un parc d'attractions, mais un centre commercial géant déguisé en terre de féerie.
La nature, quant à elle, est soigneusement contrôlée et mise en scène. Chaque arbre, chaque parterre de fleurs est méticuleusement entretenu pour créer l'illusion d'une nature parfaite, loin de sa forme sauvage et imprévisible. Cela me rappelle à quel point notre rapport à l'environnement est souvent basé sur le contrôle et l'esthétique, au lieu de l'appréciation de sa forme brute et naturelle.
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Et que dire des employés ? Derrière leurs costumes et leurs sourires se cache une réalité de travail rigoureux, souvent peu valorisé. Leur rôle est de perpétuer l'illusion d'un monde parfait, mais quel est le coût personnel et professionnel de ce décor humain ?
En quittant le parc, je sens en moi comme un conflit. Mes enfants emportent avec eux des « souvenirs magiques », mais pour moi, ce week-end a été une occasion de plus pour réfléchir à la complexité de notre quête de perfection et de bonheur, notamment parental.
Cette expérience a renouvelé la conscience que j’ai de l'importance de chercher l'équilibre entre la magie des rêves et la prise en compte de la réalité dans toute sa complexité. Peut-être est-il temps de redéfinir notre conception de l'utopie, en y intégrant une conscience plus aiguë de notre impact sur le monde et sur les autres.
De retour chez moi, la question d’un tourisme cohérent avec la démarche low tech et le respect des limites planétaires s'impose à moi comme une évidence. Mon prochain voyage sera l’occasion d’une découverte respectueuse des traditions, de l'artisanat, de la gastronomie et des modes de vie locaux. Je contribuerai alors à une économie plus équitable, en soutenant les petits commerçants et artisans.
Il inclura des expériences d'apprentissage sur l'environnement, la biodiversité locale, les défis écologiques, et les pratiques low tech. Plutôt que de chercher constamment à consommer et à être divertis, nous prendrons le temps d’apprécier la beauté et la tranquillité des paysages naturels, de nous reconnecter avec nous-mêmes et avec la nature.
Loin de la surstimulation des grands parcs nous privilégierons la satisfaction d’un besoin légitime de déconnection du quotidien et la reconnexion avec nos proches. Cette utopie j'y ai gouté, et je ne suis plus aussi sûr d'être fan de crachats de licornes produites à la chaine, pas sûr non plus d'avoir envie d'habituer mes enfants à ce goût doux-amer.
Je préfère leur apprendre à célébrer la richesse de nos relations humaines et de reconnaître que, dans un monde de plus en plus connecté, la véritable connexion se trouve souvent dans la simplicité des moments partagés comme chanter à tue tête Hakuna Matata !
Lowtechement vôtre