Don't panic ! We have to double-loop...
Dans ses discours, la jeune activiste écologiste, Greta Thunberg, a très longtemps emprunté au président Jacques Chirac la figure de la « maison qui brûle », notamment lors de ses interventions au Forum de Davos ou devant le parlement européen, en cherchant à mettre en garde contre les dangers du changement climatique (forêt en feu, inondations, etc.).
Pourtant, malgré les nombreuses confirmations apportées par la nature et les scientifiques du GIEC à ce discours alarmiste, le climato-scepticisme ne s’est jamais aussi bien porté dans la population et les médias (37% des Français se considèrent climato-sceptiques, Etude Ipsos-EDF).
Certains climato-relativistes vont jusqu’à affirmer qu’un réchauffement climatique limité à 2°C aurait des effets bénéfiques sur le rendement des cultures agricoles (moindre besoin d’eau) ou la santé des populations qui sont habituellement exposées à des températures froides.
L’écho de ce relativisme semble être amplifié par la faible attractivité des « modèles écologiques » proposés, lorsque certains écologistes vantent la sobriété énergétique du Bangladesh ou encore la transition agroécologique de Cuba, autant d’exemples qui peinent à motiver les habitants des pays développés et ceux qui aspirent encore à la richesse.
En fait, nos sociétés modernes, biberonnées au PIB et à la croissance économique, ne voient encore majoritairement dans l’urgence climatique qu’un projet de régression sociale.
Dès lors, qu’est-ce qui peut justifier que les pays développés renoncent à leur mode de vie actuel, et que les pays en développement abandonnent leur quête de croissance matérielle ?
Les réponses à ces questions ne semblent pas dépendre uniquement du prisme plus ou moins anthropocentré retenu, mais également de la rationalité, des intérêts et des risques perçus par les acteurs humains qui doivent vouloir répondre concrètement à ce dilemme.
En fait, notre « rationalité limitée » ne nous permet pas individuellement de traiter de façon minutieuse et approfondie les constats et les recommandations scientifiques, alors que le climato-scepticisme présente l’avantage de pouvoir s’en tenir à un traitement heuristique, superficiel et simplifié, qui permet de relativiser l’urgence et de prioriser le « business as usual ».
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Ainsi, l’écologie politique ne peut pas considérer les sceptiques comme des irresponsables qu’il faut terroriser par des annonces apocalyptiques (le fameux « I want you to panic » de Greta Thunberg), et elle doit réussir à convaincre des acteurs rationnels du double intérêt individuel et collectif d’une transformation radicale.
Mais cela d’autant plus difficilement que certains agents économiques pensent pouvoir échapper aux impacts négatifs de ces dérèglements, et même bénéficier des opportunités offertes par les nécessaires adaptations.
Aussi, pour ne pas sombrer dans les rhétoriques de la peur et de l’irresponsabilité, il semble essentiel de prendre en compte le fait que les résistances résultent de la complexité des changements écologiques et d’une imbrication de préoccupations relatives aux effets du dérèglement planétaire (sur soi, sur son entreprise, sur son territoire, sur son environnement) d’une part et aux effets socio-économiques des (éventuelles) mesures d’atténuation (taxe carbone, arrêt de la production des véhicules à moteur thermique, …) d’autre part.
Cette complexité et ces préoccupations légitimes sont renforcées en l’espèce par notre difficulté à changer de « scénario de vie », celui que chacun d’entre nous a construit dans sa petite enfance et plus tard, à partir des expériences et des interactions sociales qui ont déterminé notre cadre de référence.
Ainsi, en opposition avec notre « scénario de vie » majoritaire, la transition écologique implique nécessairement un changement de prémisses et d’attitudes mentales, un processus d’apprentissage à la fois psychologique et cognitif qui produit en retour un changement dans le système lui-même (un changement de niveau 2 ou apprentissage en double boucle).
Pour engager un tel changement, il faut théoriquement que les tensions et la douleur soient tellement insupportables qu’elles priment sur la volonté de maintenir le statu quo.
Nous devons craindre que la beauté d’un contre-récit vantant la qualité de vie, l’utilité des emplois et la préservation de l’environnement après la transition ne soit pas plus efficace que les rhétoriques culpabilisantes pour nous faire adhérer au monde de la post-croissance.
Pourtant, à ne pas vouloir changer le cadre et les règles du jeu, le risque majeur est qu’il n’y en ait rapidement plus, et l’Europe, avec son Pacte vert, semble l’avoir compris…