Du (bon) sens des pourcentages ...
Ma période estivale a en partie été gâchée par un flot de chiffres assénés sans aucun discernement. A la manière d'une boutade, je me suis même demandé s'il ne fallait pas encore plus diminuer le niveau de l'enseignement pour arriver à faire passer tout et n'importe quoi. Après une indigestion d'indicateurs tout à fait exacts au sens mathématique (du niveau règle de 3 quand même !) mais complètement dénués de bon sens scientifique et donc de bon sens tout court, je rappelle modestement des notions apprises il y a longtemps et comprises dans ma vie professionnelle : ordres de grandeur, nombre de chiffres significatifs, rapport signal-bruit. Notions qui permettent de ne pas passer pour un idiot face à des (vrais) spécialistes.
Quelques illustrations de la discutable utilisation des pourcentages :
- Communiquer des hausses ou baisses spectaculaires en % alors que le signal est faible et bruité. Par exemple, je cueille des pommes mûres. En juillet/août je vais en avoir 2 par jour en moyenne, parfois 1 seule (-50%) et le lendemain 3 (+300%), je vais partir un week-end et en cueillerais 5 le lundi ... en septembre je vais avoir une belle courbe avec quelques centaines par jour puis ça va retomber. Conclusion : seule le pourcentage de pommes non colonisées par les vers m'intéresse.
- "C'est sans danger à 99,96% !!". Encore là, ça dépend de quoi l'on parle. Si j'applique les recommendations de marcher 10 000 pas par jour, est-ce que j'accepte de trébucher ou tomber 4 fois par jour ? En Qualité, on utilise le ppm (en simplifié nombre de défaut par million) pour les production en volume et je vous laisse imaginer ce que pourrait représenter des transactions bancaires sûres à 99,99% avec le nombre quotidien de paiements par CB. Inversement, parler de défaut de l'ordre de 1% n'est pas choquant pour celui qui ne fait pas partie des 1%. Ca marche aussi pour des indicateurs comme le TRIR : regardez la tête d'un assureur ou d'un investisseur avisé lorsqu'une société communique un TRIR avec autre chose qu'un 0 avant la virgule.
- Utiliser un indicateur pas adapté. Par exemple, extraitre une probabilité d'accident au kilomètre parcouru plutôt que par nombre de trajets effectués, communiquer sur la capacité de puissance totale d'éoliennes installées mais pas sur la production réelle, sur le pourcentage de population couverte par un réseau 4G plutôt que sur le taux de couverture d'un territoire (avec des portions d'autoroute en zone blanche).
- Surtout, parfois c'est bien de ne pas utiliser les pourcentages. Pour la météo, c'est bien de savoir s'il fera 5°C de plus ou de moins demain, s'il gelera ou pas, pas de savoir si je prends +50% ou -12% de température. Exemple moins drôle, si je reçois une augmentation de 100€, c'est plus triste (mais plus utile) si ça représente +10% que si c'est 1% de mon salaire. Inversemment, c'est plus agréable de distribuer 2% à tout le monde.
Et d'autres exemples encore qui perturbent ma sérénité : ON NE DIT PAS
- Quand on randonne, on ne dit pas "j'ai marché 2786,5m" : on a fait une ballade de 2,5 ou 3 km. On n'affirme pas qu'un clou de 50 mesure en moyenne 49,785mm après en avoir mesuré 7 échantillons avec un mètre de maçon. On ne dit pas "nous sommes à 713,2m d'altitude" en consultant son smartphone, mais "nous devons être un peu au-dessus de 700m, vers les 710m d'altitude".
- "Mon moteur fait 285,7 chevaux, je l'ai passé au banc ...". En fait, cette personne a vu l'aiguille d'un indicateur titiller dans un pic cette valeur dont l'incertitude de la chaine de mesure est proportionnelle à sa fierté et sa satisfaction.
- "Ca a coûté 20€" avec une étiquette à 29,99€.
Pour conclure, vivement le retour à la vraie vie (pas besoin d'un monde d'après), loin des plateaux de télé et des bureaux loin du terrain.