Du pouvoir à la joie de réaliser ensemble

Le pouvoir : de quoi s'agit-il exactement ? Pourquoi choisir de travailler précisément ce thème, qui provoque tant de débats et de réactions ? En quoi cela me concerne-t-il au fond ? Et surtout, est-il bien raisonnable d'y consacrer tout un cycle de formation ? Revenons, pour conclure cette série d'articles, sur ce thème central et si délicat de notre cycle de formation, et que nous abordons en profondeur dans le dernier stage.

En décembre, ce dernier article de la série, extrait des contenus explorés dans le troisième et dernier jour du stage n° 4 du parcours "Connaissance et Conduite des Hommes" (voir note en bas de page).

Bien que s'en défendent nombre d'entre nous, nul n'échappe à la question du pouvoir. Elle se présente dès que des êtres humains se rencontrent et souhaitent réaliser ensemble quelque chose. Qu'il s'agisse de travailler dans une entreprise, de créer ou rejoindre une association, d'organiser une sortie ou même tout simplement de choisir de vivre avec quelqu'un... La question du pouvoir se présente. "Vivre à deux, c'est ne faire qu'un, disait Oscar Wilde, oui... mais lequel ?"

Quels que soient nos doutes, quelle que soit la perplexité dans laquelle nous plonge cette idée, nous disposons tous de pouvoirs, comme nous l'avons vu dans notre article de mars. Nous l'oublions souvent, comme nous oublions le miracle de l'eau qui coule du robinet : nous vivons dans un état de droit, ce qui nous offre des privilèges parfaitement inimaginables dans nombre de pays du monde. Nous sommes, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, des nantis, et nos problèmes sont des problèmes de riches. Mais à les consommer sans conscience, nous serons capables, si nous n'y prenons garde, de nous noyer nous-mêmes dans nos propres richesses.

Cachez-moi ce pouvoir que je ne saurais voir

La question du pouvoir, bien souvent, s'est présentée à nous sous un angle désagréable : que nous ayons très tôt pris des responsabilités, par choix ou par nécessité, ou à l'inverse que nous les ayons évitées aussi longtemps possible, nous avons eu à subir la confrontation avec les autres, avec l'exercice de l'autorité. Cela - loin s'en faut - ne s'est pas toujours passé sereinement. Nous avons pris des coups et/ou nous en avons donné. Nous avons assimilé certaines expériences à la contrainte, la frustration, la privation de liberté. Nous avons ressenti notre pouvoir comme une charge lourde, que nous avons portée en solitaire. Nous avons vécu celui d'un autre comme écrasant, nous n'avons pas su, pas pu nous saisir de notre propre puissance. Nous n'avons pas forcément très envie de nous confronter à ce problème... Et pourtant...

Prendre sa juste part

Pourtant, il est essentiel, si nous voulons vivre un peu plus en paix, un peu plus en harmonie les uns avec les autres, de nous y frotter. De la clarté de notre rapport au pouvoir va dépendre notre positionnement vis-à-vis de nos collaborateurs, si nous en avons, mais pas seulement : aussi vis-àvis de nos "chefs", de nos instructeurs, de nos collègues, de nos clients, de nos patients, de nos élèves, de nos fournisseurs... de toute personne avec laquelle, du fait du rôle particulier qui nous est dévolu, à un moment donné, nous sommes engagés dans des relations de pouvoir ou d'influence. Or, notre rôle ne nous plaît pas toujours : nous pouvons envier secrêtement celui d'un autre - ou du moins l'idée que nous nous en faisons, avoir envie d'être calife à la place du calife, ou à l'inverse l'aimer tellement que nous nous confondons nous-mêmes avec lui. Il n'est pas toujours facile de distinguer le rôle de la personne, comme nous l'avons vu dan notre article de novembre... Or, quel que soit le rôle dans lequel nous sommes distribués, nous avons notre carte à jouer.

"Chaque matin, les hommes et les femmes qui prennent soin de la parcelle du réel qui leur est confiée, sont en train de sauver le monde, sans le savoir." Christiane SINGER

Nos actions vont directement découler de l'équilibre que nous saurons trouver - ou pas - entre ses trois composantes essentielles - moi et l'autre, mais aussi la situation dans laquelle nous nous trouvons plongés ensemble, avec ses contraintes, ses urgences, ses manques, ses potentiels. Si je suis correctement situé, je saurai m'ajuster souplement, sans me perdre de vue moi-même, sans écraser ni ignorer l'autre, et en accord avec ce que requiert la situation présente. Que je sois envahi par mes représentations, mes émotions, oubliant la loi fondamentale de la perception-projection, et me voilà en pleine réaction, "à coté de la plaque". Questionner notre rapport au pouvoir, c'est interroger nos illusions de toute-puissance, mettre en cause nos soi-disant zones d'impuissance, bref vivre un peu plus dans le monde réel et un peu moins dans notre monde imaginaire.

L'enjeu : la joie de réaliser ensemble

Le but de ce travail est une recherche constante de relations humaines plus écologiques, c'est-à-dire plus respectueuses des besoins des personnes dans leur diversité, plus économiques en "coût psychique", plus "ergonomiques", au sens d'adaptée à la "forme" de l'être humain. C'est une volonté et une manière de faire moins gaspilleuse de talents et d'énergies, qui vise avant tout à permettre aux facultés et à l'intelligence des personnes, comme des collectifs, de s'épanouir et de faire face habilement aux situations qu'ils rencontrent. C'est considérer les autres comme des sujets, dotés de besoins et de compétences qui leurs sont propres, mûs par leurs propres choix et donc responsables, et non plus comme des objets qu'il conviendrait de savoir gérer, motiver, rendre "normaux", voire manipuler. C'est donc remettre les relations humaines au coeur même des questions d'organisation, de management, au coeur même de nos vies.

Nous avons, tous énormément à y gagner : non seulement des performances individuelles et collectives, mais aussi quelque chose de beaucoup plus immatériel, d'un prix inestimable : la joie de réaliser ensemble.

*Le parcours "Connaissance et Conduite des Hommes" (Méthode Chamming's) est un cycle de formation de 12 jours (4 modules de 3 jours chacun) qui traite de l'exercice du pouvoir et de l'autorité au sein des organisations humaines. J'ai choisi en 2019 de vous proposer chaque mois, à titre de rappel pour ceux qui ont participé au cycle et d'introduction pour ceux qui s'interrogent, un article sur l'une des facettes de la Méthode Chamming's. En décembre, nous clôturons ce cycle avec un thème du troisième et dernier jour du stage "L'exercice du Pouvoir : déléguer pour réaliser ensemble".