"Eli Lotar", par Sandra Levy
La visible étrangeté d’Eli Lotar
Jeu de Paume
Du 14 février au 28 mai 2017
Le dernier modèle de Giacometti est un homme d’origine roumaine, il s’appelle Eli Lotar, il est photographe. Né en 1905, il a travaillé avec Jean Renoir, Bataille, Artaud, Vitrac, Kosma… La saveur des années trente est irremplaçable : elle pétille ici de charme sur une centaine de tirages d’époque de l’artiste. Bateaux, trains, rails, signaux de chemins de fer, Paris et ses alentours… sont si émouvants à voir sous l’œil inventif et engagé de Lotar, qu’on les contemplerait « jusqu’à l’abrutissement, les pieds collés au sol », pour citer ses propres mots.
L’industrie, le paysage urbain sont ses modèles. Lotar décadre, insiste sur les détails, il nous ramène à la vue. Comme disait Pierre Bost, il nous fait « découvrir dans l’objet connu l’objet inconnu ». Ses photomontages sont audacieux, proches du surréalisme. Le réel selon Lotar possède plusieurs dimensions, il abrite toujours quelque chose de trouble sur le point de se révéler. L’étrange rôde, il fait sens. Soudain une présence invisible a pris place à côté de nous. Son souffle caresse notre nuque. Au fil de sa carrière, Lotar va accumuler les images en marge des films auxquels il collabore. Il témoigne alors de préoccupations plus sombres. Abattoirs, en 1929 ; Terre sans pain de Buñuel, film documentaire dénonçant les terribles conditions de vie des Hurdes en Espagne ; ou encore Aubervilliers en 1945, qui s’achève sur ces mots : « ce monde qui doit changer et qui finira bien par changer. »