En attendant le libéralisme...

« Ce qui nous guette n’est pas l’ennui, mais l’arbitraire et la violence »

Pascal Salin1

Le capitalisme est assez légitimement associé aux principes de « droits de propriété, de libre entreprise et de l’échange »2. Ce faisant, on escamote le principe fondateur qui est le libéralisme. Pascal Salin l’a défini ainsi : c’est « un humanisme, et l’humanisme est indissociable du libéralisme »3 . Le shématisme de la pensée ambiante l’a réduit à une affreuse machine à atomiser les individus, à faire « l’apologie de l’égoïsme » (Salin), les rendant seuls maîtres de leur destin et réglés les uns envers les autres par une seule et unique relation contractuelle. Avec la notion de capitalisme, on débouche immédiatement sur celle d’entreprise, alors que le libéralisme défend d’abord « l’individu dans toutes ses fonctions [qui participent de sa nature sociale] ». A partir de ce postulat, l’entreprise,l’échange et donc, le capitalisme, s’inscrivent dans la continuité.

Ce rappel permet de préciser le contexte dans lequel nous évoluons. L’emprise que la shère publique (fondée sur la contrainte) a déployée sur la sphère privée (l’échange libre) depuis soixante- dix ans porte un nom : la social-démocratie. De libéralisme, il n’en est pas question. Dans cet environnement donné, une sorte de collectivisme, les entreprises évoluent comme elles peuvent en se jouant des mécanismes juridiques autant que leurs complexités le leur permettent. Cette combinaison juridico-économique donnera lieu à une dénomination elle aussi bien précise : le néo-libéralisme4. Et par ce « tour de passe-passe »5, le capitalisme aura d’une part siphonné le fondement humaniste qui prévaut dans un libéralisme bien compris, et d’autre part, aura réussi à le rendre détestable. Lorsque des activistes fustigent la collusion entre l’État et le capitalisme, ils n’ont pas forcément tort, et c’est le néo-libéralisme qu’ils dénoncent ; lorsque ces mêmes activistes revendiquent plus de liberté, c’est du libéralisme qu’ils réclament...sans visiblement devoir s’en rendre compte !!

Or, aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts de connaître une société libérale, respectueuse de ses trois piliers fondamentaux que sont la liberté, la propriété et la responsabilité. La sphère publique sait s’immiscer dans tous les aspects de la vie ; elle prétend être indispensable au bon fonctionnement de la société (peut-être cherche-t-elle à justifier des postes et des salaires?!). La loi PACTE promulguée le 22 mai 2019, avec sa participation salariale et la définition d’une raison d’être aux entreprises en est un dernier avatar.

Défendre la liberté d’entreprise sans dénoncer la contrainte publique qui prévaut dans un fonctionnement social-démocrate met en lumière une contradiction majeure. On peut bien critiquer les aspirations collectivistes chez certains, encore ne faudrait-il pas passer sous silence le collectivisme sournois présentement à l’œuvre. Dans un cas comme dans l’autre, chacun veut tirer la couverture à soi pour promouvoir une vision de la société qui lui est propre. Quelles que soient les origines de ces visions, ce ne sont que des constructivismes. En a-t-on vraiment besoin et saurions-nous seulement encore nous en passer ?

1Pascal Salin, Le Libéralisme, Odile Jacobe, Paris, 2000, p. 24

2Olivier Babeau, Jeunes diplômés, ne répudiez pas la science et le capitalisme, Le Figaro, 14 mai 2022

3Pascal Salin, op. cit. p. 13.

4Michaël Foessel, Néolibéralisme versus libéralisme, novembre 2008.

5Valérie Charolles, Le libéralisme contre le capitalisme, Folio Essais, 2006, p.109 : « (...)le libéralisme et le capitalisme sont purement et simplement confondus. En raison d’un tour de passe-passe linguistique, les termes de « capitalisme » et de « libéralisme » sont synonymes.(...)Cet abus de langage n’est évidemment pas anodin. Il a eu pour conséquence de décrédibiliser la théorie libérale et de masquer ses fondements. L’idéologie dominante, en ce qu’elle ne lase pas transparaître les traits distinctifs du libéralisme et ce qui le rapproche des principes démocratiques, contribue à rendre suspecte toute personne se réclamant de positions libérales, celles-ci étant confondues avec des partis pris capitalistes ». Cependant, le libéralisme de Valérie Charolles ne correspond pas exactement à celui de Pascal Salin !