En critiquant le Tour de France, certains élus Verts se montrent incapables de comprendre le pays !
En France, la légitimité commande aux victoires quand la dissidence conduit aux marges. Europe Écologie-Les Verts l'apprend à ses dépens. Yannick Jadot, premier homme du parti depuis son succès aux élections européennes, compose non sans courage avec des élus dont le ridicule n'a d'égal que l'impréparation. Ainsi a-t-il déclaré ne plus supporter « le mépris de classe » révélé par une interview donnée par un ancien maire d'arrondissement de la capitale d'après lequel le Tour de France est un spectacle où des « types hyperdopés » font rêver des chômeurs à qui on ne donne pas de travail. Cette saillie ponctue des déclarations et des décisions dont la nature démontre bien pire qu'une incompatibilité avec l'exercice du pouvoir ; elle prouve une incompréhension de l'État, lequel n'a jamais été conquis durablement par des individus incapables de modération. Bref, la France n'est pas la permanence d'un parti, mais une institution où les concessions sont une condition du gouvernement. Et si les Verts étaient les dignes héritiers de célèbres factieux ?
En matière d'Histoire de France, le fond compte autant que la forme. L'écrasante majorité des courants ultras de toutes natures ont échoué à prendre le pouvoir, et ce, dès la monarchie. À commencer par la Ligue catholique au XVIe siècle, menée par le plus célèbre des princes de Joinville, le duc de Guise, originaire d'une ville certes pleine de charme, mais dont l'argent et la popularité ne suffirent pas à renverser les Valois après Henri III. Avec sa clique de fanatiques, ils essayèrent de convaincre, de façon malhonnête, les Français du bien-fondé de la radicalisation religieuse. C'était oublier que l'État lui-même avait, comme l'a brillamment démontré Jean-François Colosimo dans La Religion française, mis le Vatican à distance en se débarrassant de l'ordre des Templiers sous Philippe le Bel (1268-1314). Déjà en France, l'État n'était pas un accessoire du pouvoir, mais son objet. Quant à Henri de Navarre, il avait un dilemme de même nature : abjurer sa foi pour devenir roi ou préférer son orgueil à la France. Henri IV ne fit pas le bon choix au sens religieux du terme, mais le seul choix au sens politique du terme. Il concéda une partie de sa vie au nom du pays dont il souhaitait présider la destinée. Il accomplit en cela la continuité de sa dynastie et donc de l'État dont elle était à la fois l'ombre et la garante. Après le règne d'Henri IV et de Louis XIII, les grands du royaume combattent à nouveau l'institution royale en résistant à la centralisation à outrance opérée par Richelieu dans ce mouvement qu'on nomme la Fronde (1648-1653). Au-delà de l'aspect, disons, politique de leur combat, les aristocrates exaltent l'individualité, à leur seul profit, préférant leur état à l'État. Pensant à l'honneur comme moyen d'assurer leur rang, l'érigeant en signe de leur élection et perpétuation, ils se sont rendus nuisibles au pays.
Méconnaissance de l'Histoire de France
« L'honneur » dont se réclament les aristocrates est une vertu par nature individuelle, laquelle s'oppose à l'État, dont la fonction est collective. C'est l'analyse de l'historien de la monarchie Bertrand Renouvin : « L'honneur, c'est d'abord un fantasme nobiliaire, un préjugé, un caprice, dit Montesquieu, une valeur individualiste qui commande l'exploit par lequel on laissera sa trace, ou une valeur familiale fixant, par exemple, les conditions des alliances matrimoniales. » Au fond, la féodalité ne saurait se développer sans affaiblir, du même coup et comme par nature, l'État. La même logique présidera au destin de la Révolution française, laquelle soumettra parfois avec férocité les villes (Lyon, par exemple) et régions (Vendée, par exemple), a fortiori les populations, qui résistent à la centralisation et à l'uniformisation qu'elle implique. Quant à Napoléon Bonaparte, une fois devenu Premier consul, il perpétue cette tradition en concentrant les pouvoirs et en organisant la réconciliation des Français par des actes symboliques : libération de prisonniers politiques, mains tendues aux émigrés, concordat, statut civil pour les juifs, etc. De même inscrit-il son règne dans celui de ses prédécesseurs. Lors de son sacre, si les références à Charlemagne sont nombreuses, celles à Saint Louis, protecteur des Bourbons, le sont aussi. Quant aux abeilles, dont l'empereur fera un avatar du règne, Louis XII fut le premier, dès le XVe siècle, à l'utiliser pour orner la monarchie. Enfin, le XIXe siècle démontre une nouvelle fois que la popularité et même la majorité ne suffisent pas pour gouverner la France. En 1871, les députés élus à l'Assemblée nationale sont majoritairement monarchistes. Deux ans plus tard, Mac Mahon, favorable à un retour du roi, devient président. Comble de bonheur : le comte de Paris, candidat des orléanistes, s'entend avec son cousin le comte de Chambord, candidat des légitimistes, potentiel Henri V. Les conditions d'une nouvelle restauration étaient pour la première fois réunies. Après des tractations, le comte de Chambord déclare, dans le journal L'Union, refuser le drapeau tricolore et ne reconnaître que le drapeau blanc, celui de la Restauration. Ce qui revenait à récuser la Révolution française, donc à abdiquer avant même de régner. Le dernier roi de France préféra, lui aussi, l'orgueil à la couronne.
Ce sont moins les idées, certes déplaisantes mais après tout rien n'empêche en démocratie de les exprimer, que la méconnaissance de l'Histoire de France qui condamne les écologistes à la stérilité politique. Leurs déclarations les classent d'ailleurs au premier rang des scrogneugneux, des râleurs, des mécontents perpétuels et des tristes sires. Ils sont passionnés par leurs bougonneries, infligent à la France des sujets de discorde dont elle n'avait même jamais eu idée, comme le Tour de France ou les arbres de Noël. En un mot comme en cent, les écologistes se comportent comme des adolescents butés et irresponsables. Incapables de comprendre que, pour avoir la France, il faut lui concéder quelque chose de soi, une part conséquente et irréversible de sa nature, de ses convictions et même, parfois, de son hérédité.
Le Point 23/09/2020