Engagement, doute et incertitude. 2
Il avait 17 ans. Avec ses copains, ils pensaient que quelque chose ne tournait pas rond, que la situation n’était pas acceptable. Ils voulaient faire quelque chose. F habitait de l’autre côté de la frontière, chef d’un réseau, il leur donna l’occasion de concrétiser leur révolte. F était un homme plus âgé en qui ils faisaient confiance, un homme solide, franc, doux, déterminé, un champion à la lutte.
Alors ils connurent l’aventure et son excitation, les passages la nuit dans la forêt escarpée, les patrouilles qu’il fallait éviter en se cachant dans les fourrés. Un jour les balles sifflèrent tout près. Combien de fois passèrent-ils la frontière ? Ils agissaient sans compter. Par tous les temps, ils allaient, c’était la nuit le plus souvent. l’hiver il fallait chausser les skis. Le lendemain aller sans répit travailler aux champs ou débarder dans les bois, sans quoi ils auraient pu éveiller le soupçon des allemands qui occupaient le village.
Ils passèrent ainsi des documents qui transitaient par la Suisse avant d’être envoyés en Angleterre. Ils menèrent des hommes, des femmes, des petits enfants qu’ils portaient sur leurs épaules et tous ceux qui fuyaient pour une raison ou pour une autre sans qu’on sache jamais précisément laquelle. Sans rien demander ils faisaient passer.
Avaient-ils raison, avaient-ils tort ? Ils ne savaient pas. Un jour un homme plus âgé lui dit : « avec vos conneries c’est tout le village que les boches vont brûler en représailles ». Lui, le petit gars qui n’était pas allé longtemps à l’école, garçon de ferme à 14 ans, peut-être se trompait-il ? Était-il seulement en mesure de juger ce qui était juste et ce qui ne l’était pas ? D’autres plus instruits semblaient bien s’accommoder de la situation.
Il doutait. Peut-être était-il en effet ce voyou que d’aucuns voyaient en lui. Qui était-il ? Il savait au moins qu’il n’était pas un vendu. Peu importe ce qu’il était, il ne voyait rien de mieux à faire, alors il continua jusqu’au jour où il fut découvert puis déporté en camp de concentration.
Après la guerre, on se mit à le considérer autrement. La légion d’honneur et toute sortes de médailles lui furent attribuées. Il ne rechigna pas à raconter son histoire à témoigner simplement, modestement pour ses copains et ceux qui n’étaient plus là.
Aujourd’hui beaucoup voient un héros dans ce monsieur très âgé. Quant à lui, il oscille entre l’agacement et l’amusement face à ce besoin humain d’idolâtrer, de ne pas laisser place au doute.
Professeure documentaliste retraitée chez Éducation Nationale
6 ansBonjour Laurence, voici un texte intéressant qui permet de comprendre qu'on ne peut pas se satisfaire de jugements définitifs et que le doute, loin d'être un signe de faiblesse, est au contraire bon signe. Je m'interroge sur le sujet du premier goûter philo de l'année scolaire : peut-on douter de tout ? me semble une question possible. Normalement les sujets sont choisis d'une séance sur l'autre par les élèves eux-mêmes mais nous sommes en début d'année et en juin, les élèves n'ont rien proposé. Je préfère ne pas partir sans rien à proposer mais si le groupe propose quelque chose en début de séance, j'abandonne ma proposition. Bon voyage