Entre Israël et ses alliés arabes, les prémices d’une alliance militaire régionale
Les faits - Pour la première fois de son histoire, les 27 et 28 mars, Israël a accueilli à Sde Boker dans le Neguev, quatre ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe (Bahreïn, Egypte, Maroc et Emirats arabes unis), afin de réfléchir à leur coopération stratégique. Le chef de la diplomatie israélien, Yair Lapid, avait convié le secrétaire d’Etat Antony Blinken afin d’obtenir la réassurance américaine. Six groupes de travail ont été créés : sécurité et la lutte contre le terrorisme, éducation, santé, le tourisme, alimentation et eau, et énergie.
Les accords d’Abraham survivent bien au départ du pouvoir de Donald Trump et Benjamin Netanyahu, leurs principaux artisans. Dans le désert du Neguev, les patrons de la diplomatie arabes, israélienne et américaine ont posé les jalons de leur future coopération. Avant le début d’un dîner garni à base de côtelettes d’agneaux, les proches de Yaïr Lapid émettaient l’idée de promouvoir une architecture de sécurité régionale. Du jamais vu, même si l’Etat hébreu entretient des relations officielles avec l’Egypte et la Jordanie et une coopération sécuritaire clandestine avec d’autres pays du Golfe et d’Afrique du Nord.
Derrière des portes closes, le ministre bahreïni des Affaires étrangères, Abdullatif Al Zayani, a évoqué la construction d’une « mini-OTAN » régionale. La comparaison est ambitieuse et la mise en place d’une réponse militaire collective paraît, pour l’instant, très hypothétique.
Mais cette proposition traduit la volonté d’approfondir le partenariat politique et stratégique. « Les pays arabes de la région sont confrontés à la même montée d’une menace diffuse et asymétrique dont les leviers opérationnels – drones et missiles balistiques – sont actionnés par l’Iran et ses proxys régionaux (Houthis, Hezbollah...), explique David Khalfa, chercheur à l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. En l’absence de riposte directe de leur allié historique américain, ils se tournent aujourd’hui vers Israël pour ses capacités en matière de renseignement, son savoir-faire cinétique accumulé en Syrie et ses capacités dans le domaine du cyber et de la défense anti-aérienne. » L’Iran a frappé récemment les Kurdes à Erbil en Irak, a disséminé ses armes en Irak, en Syrie et au Yémen où les houthis frappent régulièrement des installations pétrolières émiraties et saoudiennes. Les missiles balistiques et drones de fabrication iranienne sont difficiles à détecter pour les puissances arabes sans une défense antiaérienne sophistiquée.
L’objectif de cette nouvelle alliance est aussi de renforcer la dissuasion contre les menaces maritimes en Mer rouge et dans le Golfe d’Aden même si ce partenariat n’en est qu'à ses prémices. Pour l’instant, l’Etat hébreu signe des protocoles d’accord en matière de défense comme, le 25 mars, lorsqu’une délégation d’officiers israélien s’est aussi rendue à Rabat. Tsahal et les Forces armées royales (FAR) ont notamment prévu la création d’une commission militaire conjointe.
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Le mois dernier, Israël a signé le même type d’accord avec Bahreïn. En novembre dernier, les conglomérats de défense publics des Emirats arabes unis, Edge, et israélien, Israel Aerospace Industries, ont conclu un partenariat industriel pour construire des navires sans pilote capables de mener une riposte sous-marine. Début février, Israël a aussi participé à un exercice naval mené par les Etats-Unis avec deux pays avec lesquels il n’entretient aucune relation diplomatique. Il s’agissait de l’Arabie saoudite et d’Oman, qui abrite la 5e flotte américaine.
Pivot asiatique. « L’Arabie saoudite n’a pas participé au sommet du Néguev qui vise à former une alliance de revers contre l’Iran mais le royaume a été tenu informé à tous les stades d’avancement des discussions, poursuit David Khalfa. D’ailleurs, Riyad a cautionné la normalisation des relations entre Israël et le Bahreïn. C’est une manière de faire partie de la nouvelle équation régionale en attendant que les paramètres de politique intérieure permettent à Mohamed Ben Salmane de rejoindre formellement les accords d’Abraham. »
Israël a demandé le soutien américain pour construire cette architecture. L’idée est de réassurer les alliés arabes au moment où Washington a opéré un pivot asiatique. Selon la presse israélienne, les Etats-Unis ont abattu le mois dernier deux drones iraniens survolant l’Irak en direction d’Israël mais ils n’ont pas pu protéger les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, attaqués récemment. « Israël joue les intermédiaires pour rapprocher l’administration Biden des monarchies du Golfe qui cherchent des garanties sécuritaires et technologiques », ajoute David Khalfa.
En rendant publique leur alliance, Israël et ses partenaires arabes lèvent un tabou en matière de coopération sécuritaire. La concrétisation graduelle des futurs accords de défense devrait se traduire par la fourniture d’équipements militaires israéliens qui pourraient être accompagnés d’un certain niveau de transfert technologique. Selon David Khalfa, plusieurs technologies développées par les fleurons industriels israéliens intéressent les alliés arabes comme les systèmes de lutte anti-drones et de défense antiaérien mobile, tous deux fabriqués par le groupe Rafael, ou encore le missile sol-air indo-israélien Barak 8, conçu pour se protéger contre tout type de menace aérienne.
Par Pascal Airault - 30 mars 2022 - L'Opinion