Entrevue Georges Lambert APCHQ
"De 2010 à 2012, les constructions locatives se situaient entre 17 et 21% des constructions. En 2013 et 2014 ça a monté à 24% et, en 2015, ça a fait un bond à 39% puis 42% en 2016 pour finalement arriver à 46% pour l’année 2017" - Patrice Ménard
PM: Bonjour à tous, pour ce nouvel article, j’ai la chance d’avoir avec moi Georges Lambert, directeur du service économique de l’APCHQ. Aujourd’hui nous allons aborder le sujet des constructions locatives neuves. Georges est un expert dans le marché. L’an passé, pour ceux qui ont visualisé le rapport de marché 2017, il a collaboré avec nous et on peut y trouver un excellent texte de deux pages avec de belles données. C’est un segment sur le marché qui, en ce moment, prend énormément d’importance. Selon moi, dans les prochaines années, lorsque l’on regardera en arrière, dans les années 2013 à 2019 environ, elles seront considérées comme des années de création de valeur importantes au niveau du locatif à cause de la construction qui se fait présentement. Selon les dernières statistiques, 46% des dernières mise en chantier l’an passé au Québec, se sont faites avec du locatif. Maintenant, chez Patrice Ménard - Multi-Logements, nous le voyons également sur le terrain. Présentement, sur les 60 immeubles que nous avons en vente, il y en a environ 15 qui sont des constructions de 2010 et plus ce qui est du jamais vu. L’an passé, en 2017, il y a environ, 10% de notre chiffre d’affaire qui a été fait avec de la construction récente et en 2018, selon nos prévisions cela risque de grimper à 20% et 25% en 2019. C’est donc quelque chose d’extrêmement important qui se passe sur le marché présentement.
“ 46% des dernières mise en chantier l’an passé au Québec, se sont faites avec du locatif. Maintenant, chez Patrice Ménard - Multi-Logements, nous le voyons également sur le terrain. Présentement, sur les 60 immeubles que nous avons en vente, il y en a environ 15 qui sont des constructions de 2010 et plus ce qui est du jamais vu” - Patrice Ménard
GL: Effectivement, je suis directeur économique de l’APCHQ et à l’emploi de l’association depuis 2013. Elle regroupe près de 18 000 membres, très active dans le domaine de l’habitation et, en bonne partie, la construction. Nous observons les tendances du marché afin de bien former nos membres et, depuis quelques années, nos membres actifs dans la construction résidentiel ont pris acte et constate, autant du côté des constructeurs, comme tu le vois, que sur le côté des transactions, que le secteur de la construction locative prend davantage de place. C’est très important de mentionner que, depuis quelques années, comme on le disait, la portion locative constitue le carburant de la construction au Québec. Une partie est destinée aux résidences pour personnes âgées, environ le tiers, mais 70% est vraiment destiné au marché conventionnel et cela reste une part importante de l’activité.
PM: Excellent, donc qu’est-ce qui, selon toi, va créer cette demande?
GL: Du côté de la production locative, ce qu’on voit est qu’il y a eu une création d’emploi très forte dans la région de Montréal. 90% des emplois créés, depuis deux ans environ, se situent dans la grande région de Montréal. Cela occasionne donc un afflux de travailleurs. Il y a eu, en 2016, l’arrivée de 25 000 réfugiés syriens au Canada incluant une bonne partie au Québec donc ça a créé une bonne demande pour des logements. Des résidents non-permanents, des étudiants, des travailleurs étrangers, tous des gens qui sont ici pour une période de temps et qui n’ont pas dans leurs plans d’acheter une propriété, mais qui contribuent à la demande de logements locatifs. Il y a aussi des enjeux d’accès à la propriété faisant en sorte que les gens, un nouveau ménage, par exemple, égal une demande pour un nouveau logement et à ce moment-là puisqu’ils ne peuvent pas acheter se tournent vers la location. De plus, les milléniaux constituent un nouveau segment de marché pour qui l’achat d’une propriété ou d’une copropriété n’est pas nécessairement le choix qu’ils font à ce moment dans leur vie.
PM: Absolument, il s’agit vraiment d’un point important. Les mentalités changent. Auparavant, les gens allaient à l’école le plus longtemps possible, s’achetaient une maison tout de suite après et, de cette façon, pouvaient avoir un bas de laine et se bâtir une retraite. Aujourd’hui lorsque les jeunes sortent de l’école, le premier point influençant leur décision est qu’il ne savent pas où ils vont travailler. Ils ont un peu plus de liberté. Souvent, la personne ne veut donc pas s’attacher en achetant un condo. Si l’on sait que le marché du condo, présentement, plafonne quelqu’un qui ne sait pas nécessairement dans quelle ville il va travailler dans quelques années ne voudra peut-être pas s’engager. On voit beaucoup de jeunes avec des bons salaires qui, à la fin de leur bail, ont la liberté de choisir dans quel secteur ils désirent aller habiter par la suite. Également, on voit beaucoup de gens acheter du locatif, mais qui vont quand même louer pour eu personnellement. En ne sachant pas où ils vont être, ils préfèrent investir en immobilier et acheter un immeuble de 6, 8 ou 10 logements et par la suite utiliser les profits pour payer leur loyer.
GL: Nous avons une croissance du nombre de ménages qui est là. Elle est probablement un peu moins forte que l’activité de construction qu’on observe dans son ensemble pour le moment. Nous sommes à un moment où nous sommes un peu en avant de la courbe pour la demande en fonction des facteurs fondamentaux. Nous avons été, pendant longtemps, avec des faibles taux d’intérêts, une demande locative et un certain essoufflement dans le créneau de la copropriété en terme de demande. Il y a eu de l’inventaire qui était au dessus d’un taux intéressant pour le marché, donc le taux d’inventaire se résorbe. Ce sont tous un ensemble de facteurs qui ont contribué à alimenter la demande locative et en terme de jeunes, le fait qu’ils ne désirent pas avoir d’attachement et ont une capacité de payer un certain montant de loyer appréciable. La contrepartie de cela, par contre, est que ce n’est pas tous les jeunes qui ont la mise fond afin d’acheter.
PM: L’accès à la propriété a changé aussi, avec les nouvelles règles ce n’est plus la même chose.
GL: Exactement, donc on peut voir que la production locative anticipe le resserrement des nouvelles règles. La mise de fond est un problème pour 7/10 des jeunes acheteurs qui ont été sondés il y a quelques années. Certains peuvent se permettre quelques logements locatifs, mais pour une résidence permanente, ce n’est pas toujours évident.
“La portion locative constitue le carburant de la construction au Québec. “...” 70% est vraiment destiné au marché conventionnel et cela reste une part importante de l’activité” - Georges Lambert
PM: Il y a un tableau que nous avons inclu dans le texte que tu as produit pour nous cette année et ça démontre la croissance, depuis 2010, de la construction locative et, ce qui est intéressant, est qu’en 2010 jusqu’en 2012, cela se situait entre 17 et 21% des constructions. En 2013, ça a monté à 24%, même chose pour 2014 et, en 2015, ça a fait un bond à 39%, 42% en 2016 pour finalement arriver à 46% pour l’année 2017. C’est vraiment énorme! L’une des façons que l’on peut expliquer ça est que, les contracteurs responsables de la constructions, de 2008 à 2012, lorsqu’il y a eu le boom du condo, était plus intéressés à construire des actifs qu’ils pourraient par la suite revendre en petis morceaux le plus rapidememnt possible. Par la suite, lorsque le condo a commencé à s'essouffler, c’est à ce moment que les contracteurs se sont dirigés vers le locatif.
GL: Oui, et depuis 2008-2009, on se rappelle de la crise financière aux États-unis, nous étions dans un régime de faible taux d’intérêts dans ces années-là. On se rappellera de l’année 2012 comme une année où il y a eu un resserrement des règles pour l’accès à la propriété. Ce qui a mis un frein immédiatement sur le marché de la revente et précipité une diminution des mises en chantier. Par la suite, 2013 a vu une diminution marquée des mises en chantier. Alors au-delà d'avoir eu un impact sur le niveau total de la construction, qui y a été en diminuant, ça a eu un impact sur le type de logement et le marché visé. Le resserrement des lois hypothécaire a eu pour impact de dire que ce n’était plus n'importe qui qui serait en mesure d’acheter une maison avec peu ou pas de mise de fond même si les taux d’intérêts étaient bas. Le gouvernement a volontairement décidé de restreindre la capacité des gens de s’endetter. Ce qui a fait en sorte que la croissance pour les logements locatifs était disponible.
PM: Maintenant, on parle de 46% à l’échelle de la province, mais y’a-t-il des secteurs au Québec qui font une différence?
GL: Tout à fait. Le marché locatif sur l'île de Montréal représente 42% de ce qui se construit. Il y a une nuance à faire avec Laval/Rive-Nord et la rive Sud. Pour ce qui est de Laval/Rive-Nord, la production locative représente 37% de ce qui se construit tandis que sur la rive Sud nous sommes à 46%. Donc, en ce moment, le marché locatif est davantage visé sur la rive Sud.
PM: J’imagine que cela a un impact par rapport au coût des terrains et la demande, car la rive Sud a eu plusieurs gros projets qui se sont construits dans les dernières années. On voit dans les dernières années sur le marché que c’est aussi assez important dans la région de Québec. Avez-vous des données à propos de ce secteur?
GL: En effet, à Québec, plus d’un logement sur deux construit en 2017 était destiné au marché locatif. Le 46% dans l’ensemble du Québec a certaines nuances. La rive Sud est un peu plus élevée, la rive Nord un peu moins, 42% pour Montréal et plus de 50% pour Québec donc c’est assez important.
PM: Lorsqu’un investisseur nous appelle pour un immeuble récent, il s’agit souvent d’une clientèle qui n’aura pas le temps d’investir trop de temps dans la gestion de son immeuble, car, la plupart du temps, ce sont des gens qui ont déjà des entreprises ou des professionnels avec de très bons emplois et tout ce qu’ils désirent est investir en immobilier sans trop se compliquer la vie. À l’opposé, un investisseur qui est dans l’immobilier à temps plein ira dans des immeubles un peu plus vieux afin de rénover et optimiser l’immeuble. Donc, l’horizon d’investissement est complètement différent.Le financement que les gens vont prendre sur le neuf est à plus long terme. On voit donc deux types d’investisseurs. Il est très rare qu’un propriétaire immobilier, faisant ça à temps plein, ira acheter du neuf. Il y a tout de même une clientèle pour les gens qui souhaitent que leur horizons de placements soient de plus de dix ans. Dans les prochaines années, à quoi peut s’attendre un propriétaire au niveau des loyers et du taux de vacances, présentement sur le marché, dans les prochaines années pour les immeubles récents?
“Un logement construit plus récemment allait chercher une prime, en moyenne, de 147$ par mois ou 24% de plus que le loyer moyen” - Georges Lambert
GL: Pour un immeuble récent, les données que l’on obtient de la SCHL nous permettent de faire la distinction avec les périodes de construction. Ce dont on parle, lorsqu’on parle d’immeubles récents est un immeuble des années 2000 et plus. Ce sont les données auxquelles nous avons accès. Il y a deux éléments importants. Nous regardons s’il y a une demande et s’il y a une perspective de retour sur investissement. Nous observons les taux d'inoccupation de l’ensemble des logements locatifs et, pour l’ensemble du Québec, nous sommes passés de 2,7% en 2015 à 4,4% en 2016 pour, par après, diminuer à 3,3% en 2017. Pendant quelques années, de 2010 à 2016, les logements locatifs construits plus récemment avaient un taux d'inoccupation plus faible, presque 1% de moins, en moyenne, par année. Un taux d'inoccupation plus faible envoie donc un signal qu’il y a une demande à combler dans ce segment de marché.
PM: On vient de mentionner que, dans la dernière année, les taux de vacances ont baissé et c’est ce qu’on voit, dans l’ensemble, selon les dernières études de la SCHL. Je mets toutefois un bémol là dessus, car, même si le taux de vacances a diminué, les loyers n’ont pas augmenté. Ça peut donc être facile pour un propriétaire de faire baisser son taux de vacances s’il renouvelle au même prix. Habituellement, lorsque le marché est en croissance, ce sont les revenus et le loyer moyen qui font croître le marché locatif et, à partir du moment où les loyers moyens n’augmentent pas, les taux de vacances vont jouer avec ça. Donc, si le taux de vacances montent à 6 ou 7%, en renouvelant au même prix, habituellement, cela fait redescendre le taux de vacance aux alentours de 2 ou 3%. Est-ce qu’on peut voir dans le locatif neuf que les revenus ont continué à augmenter ou il y a eu une baisse des revenus?
GL: Ce serait plutôt la différence que nous avons examinée entre les loyers pour l’ensemble du marché et les loyers pour les logements construits plus récemments. Dans l’ensemble du Québec, en moyenne, de 2010 à 2017, un logement construit plus récemment allait chercher une prime, en moyenne, de 147$ par mois ou 24% de plus que le loyer moyen. Il y a sans doute des variantes par type ou taille de logements, mais, dans l’ensemble, le loyer locatif pour des logements construits plus récemments se loue à un prix plus élevé. En 2017, cette logique s’appliquait encore et même, l’écart était de 23% pour un logement construit récemment. Dans la région de Montréal, c’est un écart de 27%.
PM: Y’a-t-il une croissance dans les prix ou c’est sensiblement au même niveau?
GL: Il y a une croissance qui se fait au niveau du loyer moyen tant pour le logement locatif que pour l’ensemble du marché. L’écart de croissance reste assez semblable, il n’y a pas de croissance qui part en flèche comparé à l’ensemble du marché.
PM: C’est aussi pour aller avec la demande. Au fur et à mesure que les gens vont construire, s’il commence à y avoir un surplus, l’offre et la demande jouera un rôle sur l’augmentation, ou non, des loyers. Maintenant, je n’ai jamais eu autant d’appel de contracteurs me demandant si c’était une bonne idée pour eux de construire, s’il y a des acheteurs en ce moment. Depuis quelques années, il y a une fenêtre d’opportunités avec une immense création de valeurs qui se fait dans le locatif en ce moment. Crois-tu que, dans les prochaines années, 3 à 5 ans, il soit encore temps de construire?
GL: Pour revenir au commentaire que j’ai fait tout à l’heure, nous sommes dans un taux de croissance et un niveau d’activité qui ne peut pas être nécessairement soutenable à long terme si l’on tient compte de l’évolution démographique et des conditions financières. De façon globale le secteur locatif devrait continuer à tirer son épingle du jeu considérant les tendances démographiques et sociales avec les milléniaux dont nous avons parlé et les resserrement de l’accès à la propriété. Ce sont tous des facteurs faisant en sorte que le nombre de mises en chantier seront plus près de la croissance du 35 000 ménages, en moyenne, attendues pour les prochaines années. La composition devrait être davantage en faveur du locatif, autant pour les résidences de personnes âgées que pour certains segments visant les personnes un peu plus âgées voulant un logement, mais conserver leur autonomie.
PM: Souvent, lorsqu’on se promène, on regarde et on semble voir des projets partout, mais en réalité quelle est la grandeur moyenne de ces projets?
GL: Il y a deux univers là-dedans. Il y a les projets que l’on voit de loin, les grands développements et ces derniers sont davantage des résidences pour personnes âgées se rapprochant du 140 logements et, le locatif conventionnel dont on parle, incluant le plex ou le multi-logements se situe autour de 10 logements par immeubles.
PM: Donc il s’agit quand même de petite structure. On commence à voir dans les dernières années un peu plus de projets de 20 ou 30 logements. Est ce que je me trompe?
GL: En fait, ce qui est très intéressant est que, jusqu’à 2015, nous étions à 5 ou 6 logements par immeuble en moyenne. Depuis 2015, la moyenne a nettement augmenté, pour se situer autour de 9 ou 10 logements. En ce qui concerne Montréal, pour la période précédant 2015, on se situait à 5 logements en moyenne et depuis 2015 nous sommes à 10 logements en moyenne. Pour rentabiliser l’espace de terrain qui est plus coûteux, on reconstruit avec des impératifs de densification. On démolit un logement, en moyenne, pour en construire 20 à Montréal.
PM: Parfait, je crois que ça fait le tour du sujet. Nous allons suivre tout ça afin de mettre les données à jour. Merci à Georges Lambert de nous avoir offert son temps et ses précieux conseils pour l’écriture de cet article ainsi que l’entrevue vidéo. L’entrevue est disponible sur notre page Facebook : Patrice Ménard – Multi-logements ou sur notre site web : patricemenard.com