Errare humanum est
Je voyais à ma consultation, un matin de décembre 2014, un jeune interne en cardiologie pour une poussée d'eczéma généralisé. Le stress en était le facteur déclenchant, il semblait dépité : un de ses patients venait de décéder durant sa garde. Probablement d’une embolie pulmonaire. Il n’avait pas réussi à le sauver, il avait évoqué le diagnostic tardivement, il avait peut-être mal choisi ses prescriptions, il se sentait responsable…
Tout médecin a déjà connu cette situation, la fatigue des gardes, les difficultés de l’interrogatoire, l’idée première d’un diagnostic que notre esprit ne veut pas quitter. Lorsque j'étais interne de garde aux urgences d'un hôpital de banlieue parisienne, en décembre 1997, j'avais vécu cette situation. J'avais ainsi pris à tort un infarctus du myocarde pour une urgence digestive. Il s'agissait d'un patient non francophone qui avait des douleurs abdominales alors que les douleurs cardiaques sont d'ordinaire plus hautes. Les enzymes hépatiques étaient élevées comme on peut l'observer dans certaines urgences digestives mais aussi dans un infarctus du myocarde.
J'avais demandé un électrocardiogramme, contrairement à l'interne du filmHippocrate, mais je ne l'avais pas regardé. Je l’avais (mal) orienté en chirurgie viscérale, malgré l'examen clinique du chirurgien aux urgences qui allait contre ma suspicion...
Bref, j'avais cumulé les erreurs. Je ne dois son salut (et le mien) qu’à l’équipe de réanimation venue le sauver la nuit suivante d'une insuffisance cardiaque compliquant cet infarctus. Il m’arrive encore d’y penser presque 20 ans après.
Même si l’erreur est humaine, en médecine, comme dans toute vie professionnelle ou personnelle, elle est parfois lourde de conséquences. Ce n’est pas l’erreur qui sera jugée, mais plutôt la capacité et la motivation à la réparer lorsque c’est possible. Puis, seule l’humilité, qualité essentielle de tout être humain et en particulier des soignants, nous permet d’apprendre de nos erreurs pour nous améliorer et ne pas les répéter.
Cela me rappelle un épisode de Grey’s Anatomy, série médicale, qui contre toute attente, n’est pas très loin de la réalité, à part la présence du magnifique Patrick Dempsey. Le titulaire Weber furieux aide un interne sur la mauvaise voie. Il corrige de justesse l’erreur du jeune homme proche de la catastrophe. Il le découvre, quelques heures après, soupirant de soulagement, et lui dit alors à peu de choses près: souviens-toi surtout du début de cette histoire et de tes craintes, pas du soulagement que tu as ressenti à la fin, cela te fera avancer.
En médecine, on est toujours du bon côté. Parfois, les critères varient, les choix sont donc cornéliens, et les décisions collégiales: interrompre une grossesse, mettre fin à une réanimation, préférer tel ou tel traitement…Une erreur médicale c'est bien plus qu'une erreur professionnelle.
C'est briser un serment, briser un sacerdoce. Tel un Chevalier brisant son allégeance à son Seigneur, un prêtre rompant ses vœux.
C'est une question de lien et de confiance. D'abord avec le patient qu'on a juré d'améliorer coûte que coûte mais aussi vis à vis de nos Maîtres.
Nos pairs risquent ne plus nous juger dignes de leur enseignement, ne plus nous considérer comme leurs semblables, appartenant à la confraternité, ils risquent même de nous en exclure, déchéance d'entre toutes!
Dans la vie quotidienne, certains choix sont également déterminants et nous caractérisent. Les décisions rapides ou impulsives, traverser le passage à niveau au dernier moment, arrêter d’étudier, faire l’amour sans préservatif, quitter quelqu’un… nous impactent à vie.
Un homme est fait de choix et de circonstances ; personne n’a de pouvoir sur les circonstances, mais chacun en a sur ses choix, a dit ainsi Eric-Emmanuel Schmitt.
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