Essai : Mémoires d'une monarchie ...

Essai : Mémoires d'une monarchie ...


De la démocratie en Europe aux formes politiques de l'Etat, un sujet intitulé « La tradition constitutionnelle de la monarchie parlementaire en Europe » pouvait sembler anachronique ou suranné, voire surprenant étant donnée la singularité de la monarchie parlementaire.

La réflexion est cependant apparue pertinente à mener tant est impressionnante la littérature sur le concept de monarchie depuis l'Antiquité, soulevant ainsi nombre d' interrogations sur le commandement, l'autorité et le pouvoir, autrement dit sur la définition même de la monarchie. De plus, la monarchie parlementaire ayant suscité quantité de réserves, il est apparu utile de présenter quelques éléments de réflexion pour tenter de démontrer, sinon son œuvre dans l'idéal des gouvernements, du moins la profondeur de ses principes fondateurs.

Relativement à la thèse proposée, la « tradition » a constitué une procédure éclairante dans la mesure ou elle ne signifie pas seulement la transmission, mais aussi le dépôt d'un savoir, sa transmission et sa réception. De même, les critiques formulées à l'encontre de la monarchie parlementaire par certains auteurs ont permis paradoxalement de la définir. On conteste en effet généralement la pertinence de la monarchie parlementaire en raison du dualisme qu'elle implique, un dualisme à un double niveau. Ce dernier implique d'une part le dualisme du principe monarchique et du principe représentatif, d'autre part le dualisme - on devrait dire le bicéphalisme de l'exécutif - avec un monarque et un chef du gouvernement. Ainsi, dans le cas du régime parlementaire dualiste, on critique le partage du pouvoir. Et dans le cas du régime parlementaire moniste, on critique le rôle cérémoniel du Roi.

Pour parer à ces critiques, il nous a semblé devoir partir du commencement, car le commandement est commencement et Aristote distingue ce dernier concept du pouvoir, du pouvoir de plusieurs et du pouvoir de tous. En effet, si la monarchie est classiquement définie par le critère de la volonté, et plus précisément de la volonté du Roi, voire du « pouvoir » de ce dernier, la monarchie est également décrite comme « le commandement d’un seul ».

Le philosophe grec a ainsi théorisé le commandement unique grâce au processus de décision. Selon l’auteur, la volonté n’est pas le propre de l’homme, « prendre une décision, c’est quelque chose de plus qu’agir de son plein gré [...] agir de leur plein gré, les enfants et les animaux le peuvent tout aussi bien que l’homme, mais (ils ne peuvent pas) prendre une décision ». Cette dernière, déclare le philosophe, réclame une délibération.

S’agissant d’un Roi auquel sont conférés traditionnellement en Europe, le commandement et l’obligation de justice comme les nombreuses attributions dans certaines constitutions écrites, on peut mesurer l’importance de la délibération. S’agissant d’une forme de gouvernement, la « volonté délibérée » traduit une exigence relativement au choix du régime. Ainsi, la délibération, par sa définition générale, permet de dépasser le critère subjectif de la volonté unique d’une personne physique, de « son » pouvoir, par le critère objectif de la « réflexion, opération par laquelle on réfléchit [...] avant de prendre parti ». De même, la délibération, par sa définition spécifique, constitue, comme le déclare Maurice HAURIOU, un acte juridique et une forme juridique. Comme Aristote identifie le commandement à la décision, que la décision n'est pas la volonté de l'homme mais qu'elle est une volonté délibérée, ce concept de délibération est essentiel.

Dans la pensée antique, cette délibération prend deux formes essentiellement : à savoir le conseil à Rome formé de patriciens, de savants et l'assemblée en Grèce formé de citoyens. Pourquoi ces deux formes ? Car elles traduisent la référence au Droit à Rome réservé à une élite et la primauté conférée à loi acceptée par tous en Grèce, symbole de l'égalité de tous les citoyens. S'ensuit deux conceptions du souverain, dénommées un Roi ministre du Droit à Rome et un souverain législateur en Grèce, donc deux conceptions différentes de la société.


A partir de ces deux références distinctes, il nous est apparu que la Révolution du XIIe siècle a, grâce à la délibération des juristes, des philosophes, des théologiens et des praticiens, posé les prémisses de la monarchie parlementaire telle que nous la connaissons sous la forme de trois équations à résoudre de façon cumulative :

1) Que le commandement ne s'analyse pas en la volonté absolue d'un homme ou même d'une assemblée.

2) Que les deux sources de délibérations, conseil et assemblées, existent mais qu'elles ne doivent pas constituer une source d'antagonisme.

3 ) Que la justice soit consubstantielle à la monarchie.


Ces équations, nous semble-il, ont été résolues en transférant le commandement non pas au seul Roi, mais à toutes les institutions de la monarchie, donc à une entité. En décidant que la source de la délibération serait le Parlement qui la déléguerait ensuite au gouvernement, et en conférant ensuite non pas un pouvoir au Roi mais bien une autorité. Ainsi, la justice apparaît non seulement comme la finalité du régime mais aussi comme une référence pour la procédure.


Une fois ces mécanismes décrits au niveau de la forme politique, il convenait de les transposer au niveau normatif. En effet, comment expliquer qu'un régime soit fondé sur la doctrine, la jurisprudence, la coutume, la loi, la constitution, les règlements des assemblées et qu'il ne soit pas basé uniquement sur la loi, fusse -t-elle constitutionnelle. Telle est la raison pour laquelle nous avons nommé ce régime comme étant « juridique ». En d'autres termes, il s'agit d' un régime non pas fondé sur la constitution, les pouvoirs et leur séparation mais sur le Droit, l'obligation et la SEPARATION DES DEVOIRS et ce concept inédit n'est pas une simple « clause de style ». En effet, dans de nombreuses sources et même lorsque les constitutions évoquent les pouvoirs, elles n'hésitent pas à affirmer que tel titulaire, telle autorité n'a pas respecté ses devoirs, qu'ils ont failli à leur devoir ou encore qu'ils ont manqué aux devoirs de leur charge...


En définitive, cette thèse (1) a pour seule ambition de montrer que la monarchie parlementaire a sans nul doute un passé, un présent et, si la Providence le veut, un futur. Grâce au passé représenté par le Droit romain, la philosophie grecque, les écrits et les pratiques de l'Eglise, cette monarchie possède un présent grâce aux monarchies actuelles malgré leurs crises et leurs médiatisations parfois inappropriées. Elle peut également espérer un futur à tout le moins grâce aux devoirs de chacun, à l'idée de nation et donc à une certaine idée ou raison de la monarchie. Comme l'ont souligné et expliqué Messieurs les Professeurs Philippe SEGUR, Directeur de thèse (1), et Eric SAVARESE, cette réflexion est basée en grande partie sur la délibération. Le régime renvoie non à la seule responsabilité du gouvernement devant les parlementaires, mais bien à la responsabilité de chacun. Loin de la « volonté d'un seul » pour décrire la monarchie parlementaire, la volonté délibérée donne donc à ce régime toutes ses exigences.

En définitive, la pensée d'Aristote sur la décision, donc sur « la volonté délibérée », pourrait être invoquée pour d'autres régimes afin d'éviter les errements, revirements ou abus de pouvoir émanant de la volonté d'un seul (3) et inspirer des hommes et des femmes compétents et vertueux pour le réel accomplissement d'un Etat de droit... Tel est le modeste objectif de cet essai, de ces Mémoires sur la monarchie ...


(1) Pascaline Leroy , " La tradition constitutionnelle de la monarchie parlementaire en Europe", Paris, éd. L'Harmattan 2021.

(2) Jury de thèse présidé par Monsieur le Doyen Jacobo RIOS RODRIGUEZ, Faculté de Droit, Université de Perpignan Via Domitia.

(3) LEROY C. "Une lecture royaliste de la Ve République : Fallait-il tout changer pour ne rien changer?", 2022.

Jacobo Ríos

Doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques de Perpignan

1 ans

Toutes mes félicitations, Pascaline LEROY

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