Est-ce que je sais encore écouter mon désir ?
Est-ce que je sais encore écouter cet endroit de moi qui me dit "je veux" ? Est-ce que je sais encore suivre cet élan spontané des enfants ?
Il est là, je sais qu'il est là, mais parfois je doute. Parfois, je me raisonne. Parfois, je réfléchis, j'analyse, et je me dis qu'il se trompe sans doute, que ce n'est pas clair, que je n'ai pas de véritable bonne raison.
Aujourd'hui, je me sens confus. La boussole de mon désir semble démagnétisée. C'est ce que je me dis. C'est ce que ma tête me dit.
Peut-être au contraire est-elle parfaitement fonctionnelle. Peut-être me dit-elle exactement ce que j'ai besoin de savoir.
L'aiguille ne reste pas en place. Elle tourne dans un sens et puis dans un autre. Elle refuse de fixer clairement une direction. Ou plutôt elle refuse de fixer la direction que je tente d'emprunter.
Car c'est ça dont il s'agit. J'essaye un chemin. Je m'y aventure en me disant "on verra bien". En me disant "je ne peux pas savoir à l'avance" et "je dois expérimenter avant d'avoir un avis". Ça me semble assez sain comme raisonnement. Ça me semble assez adulte.
Et dans le même temps, j'entends très clairement un coin de mon corps qui me dit non. Qui me dit que c'est peine perdue. Que ça ne va nulle part. Que c'est une impasse dans laquelle je m'entête parce que j'ai peur. Parce que j'ai peur des conséquences. Parce que j'ai peur de ce que cela implique, de ce que cela signifie, si je n'y vais pas.
En écrivant ces mots, mon souffle devient plus court, mes battements de coeur s'affolent un peu. Mon corps me parle très clairement.
J'ai peur.
Et je prends une décision, guidé par la peur. Où cela peut-il conduire ? A quelle issue satisfaisante cela peut-il me mener ? A quelle issue heureuse ?
Je ne veux pas. Ce n'est pas de l'absence de désir, ça. Ce n'est pas un non désir. C'est une limite, c'est une frontière. Je ne veux pas.
Je sais aussi à quel point j'ai du mal parfois à voir mes limites. A quel point j'ai du mal, quand je les vois, à les prononcer, à les partager, à les affirmer.
Là aussi, de la peur. J'ai peur de décevoir. J'ai peur de faire mal. J'ai peur d'être moins aimé. J'ai peur d'être pointé du doigt, d'être rejeté, d'être abandonné.
Désir et Limite sont les deux faces d'une même pièce. L'un n'existe pas sans l'autre. L'un se nourrit de l'autre. Pour expérimenter plus de désir, j'ai besoin de poser mes limites clairement. Pour connaître et oser mes limites, j'ai besoin d'écouter mon désir.
De ne pas poser mes limites, de ne pas écouter mes stops intérieurs, je ne me respecte pas.
Je ne me respecte pas.
J'ai envie d'oser aller plus loin.
Je me viole.
A force de transgresser mes "non", je me viole.
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Je m'inflige ce que je souhaite que personne ne vive. Je me l'inflige consciemment. Consciencieusement même. En me racontant que c'est "pour mon bien". Comme peut-être mes parents me l'ont dit quand j'étais plus jeune. Quand ils décidaient pour moi. A ma place. Contre mon avis. Contre mon gré. En dépit de mes demandes. Malgré mes suppliques.
Je m'oublie. Je cesse d'exister. Je cesse de me prendre en compte.
Je suis absent à moi-même. Je me gomme.
Je m'exclus.
Je ne pensais pas aller si loin dans cette évidence. Je ne pensais pas que les mots que me souffle mon corps m'emmèneraient aussi loin.
Je me sens glacé. Je me sens triste. Triste de m'infliger cela. Triste de me l'imposer. Triste d'être aussi aveugle. Triste de m'aimer aussi peu. De prendre aussi peu de soin de moi.
Je n'ai pas appris à prendre soin de moi. Cela me demande un effort conscient. Personne ne me l'a appris. Je m'y entraîne. Je tâche de m'y habituer.
Je veux m'inclure.
Je me veux du bien.
Je veux me respecter, me considérer. Je veux me rappeler mon importance. Je veux me dire que je compte. Que je compte plus que toute autre, que tout autre.
Oui, c'est égoïste. Oui, c'est "moi d'abord". Mais je viens de loin. Je viens d'une contrée où c'était "moi jamais". Il en faut du "moi d'abord" pour compenser du "moi jamais". Et même en y mettant une quantité significative, je serai toujours au soin. L'écart est si important, le fossé si profond, que je ne cours pas le risque d'oublier les autres.
Je veux me dire que je m'aime.
Je veux te dire à toi, Little One, que je t'aime. Que je te dois ce soin auquel tu n'oses prétendre. Que c'est mon rôle à moi, l'adulte, de te donner ce que d'autres adultes ont failli à t'offrir.
Je suis là pour toi. Je suis là pour t'écouter, pour tendre l'oreille, pour faire silence autour de moi, pour chuchoter, de telle sorte que tu aies ta place, que tu oses dire, que tu aies le courage d'ouvrir la bouche et de me dire "je ne veux pas", que tu aies l'audace de me dire "je veux".
Que tu oses prétendre savoir ce qui est le mieux pour toi. Le mieux et le meilleur.
J'ai envie de m'écouter. J'ai envie d'écouter au plus profond de moi, pour retrouver mon centre. Ce centre qui sait. Ce centre magnétique qui clarifie.
Le nord se reprécise. Il s'affirme, lève la tête, bombe le torse.
Je m'étais perdu, et je me retrouve.
Merci mon corps