Et les banques créèrent la monnaie
Chaque semaine, Paperjam vous propose un regard de chefs économistes d’institutions bancaires et financières sur l’actualité des marchés et de l’économie. Aujourd’hui, Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles, revient sur l’intérêt de la création de monnaie par les banques commerciales.
Depuis le choc financier de 2008, de nombreuses leçons ont été tirées et la tutelle des autorités publiques sur le secteur financier s’est affirmée. Les banques ont restitué aux États l’aide qu’elles avaient reçue en 2008. Elles financent aussi les États en canalisant l’épargne des déposants vers le financement des dettes publiques.
Cela étant, la problématique de la gestion bancaire est complexe car les banques commerciales créent la monnaie. En d’autres termes, elles sont des entreprises qui fabriquent elles-mêmes leur matière première. En effet, contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sont pas les banques centrales qui créent la monnaie, mais bien les banques commerciales. Bien sûr, la monnaie n’est pas un phénomène spontané et il faut l’amorce des banques centrales. Ces dernières fournissent une indication en matière de taux d’intérêt et permettent aux banques commerciales de se refinancer auprès d’elles, raison pour laquelle elles sont qualifiées de «prêteurs en dernier ressort». À l’exception de la récente création monétaire destinée à refinancer les dettes publiques, les banques centrales créent donc de la monnaie, mais uniquement à titre supplétif.
Le rôle des banques commerciales consiste d’ailleurs, de manière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leur est confiée.
Cette multiplication des opérations de crédit crée un flux monétaire dont la vitesse peut augmenter ou ralentir en fonction de différentes exigences réglementaires ou du niveau de l’activité économique. Le rôle des banques commerciales consiste d’ailleurs, de manière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leur est confiée. En incitant à la déthésaurisation, les banques commerciales transforment un stock de monnaie en un flux qui traverse l’économie.
Chaque banque contribue donc à la création monétaire, ce qui conduit certaines institutions à devenir systémiques.
La création de monnaie a besoin d’une communauté de banques commerciales pour fonctionner: une banque seule ne pourrait l’activer. Chaque banque contribue donc à la création monétaire, ce qui conduit certaines institutions à devenir systémiques, c’est-à-dire à jouer un rôle incontournable dans la création monétaire. La faillite de banques systémiques s’assimilerait à une rupture du flux monétaire, ce qui aurait des effets immédiats sur l’économie réelle.
Étant donné que les banques commerciales n’existent que par le réseau qu’elles constituent, on comprend pourquoi il importe d’entretenir une concurrence suffisante dans ce secteur, pourtant naturellement oligopolistique par les économies d’échelle qu’une gestion efficace exige. Si le nombre de banques se réduisait de manière excessive, cela conduirait à faire reposer progressivement la création monétaire sur les banques centrales. Ces dernières dépasseraient alors le rôle de prêteur en dernier ressort pour devenir l’animateur d’un marché interbancaire. Cette situation correspondrait à une nationalisation du crédit et de la création monétaire, qui ne serait plus tempérée par les règles de l’économie marchande de l’offre et de la demande de crédit.
Les actionnaires privés des banques sont des passagers ‘clandestins’ de la création monétaire.
La base monétaire dépend donc de la variation du crédit bancaire. Un des freins au dispositif est le niveau des capitaux propres des banques commerciales qui oblige, chaque fois qu’un crédit est octroyé, à en geler une quote-part.
Les actionnaires privés des banques sont quant à eux des passagers «clandestins» de la création monétaire. Ils prennent le risque d’absorber les premières pertes du système bancaire avec l’espoir d’en engranger une fraction des bénéfices. En même temps, si les actionnaires privés supportent les premières pertes, ils ne sont jamais obligés de combler le passif, c’est-à-dire d’apporter des capitaux propres complémentaires en cas d’insuffisance. En effet, ce n’est que lorsque les actionnaires auront perdu l’entièreté de leur patrimoine que les déposants seront impactés négativement, pour ne récupérer qu’une partie de leur épargne. C’est le principe de la société de capitaux à responsabilité limitée.
Les actionnaires privés savent également que leur véritable risque consiste en la dilution de leur actionnariat suivant une nationalisation.
Les actionnaires privés sont donc indispensables, car ils amortissent les pertes du crédit accordé au secteur privé. Ils savent également que leur véritable risque consiste en la dilution de leur actionnariat suivant une nationalisation. En conséquence, une banque doit posséder des capitaux propres suffisants pour éviter que les épargnants soient impactés négativement en cas de perte majeure. Tout en appartenant aux actionnaires, ces capitaux propres agissent comme un absorbeur de choc de la création monétaire.
Bruno Colmant
Source: Paperjam.lu
Chief Innovation & Technology Officer @ Thakaa Med
6 ansGreat read thanks for sharing your valuable knowledge again !