Et si la révolution qui s'en vient était une restauration ?
La Liberté guidant le peuple - Delacroix

Et si la révolution qui s'en vient était une restauration ?

Le mode de pensée contemporain a gangrené autant les sciences que la pensée ordinaire. Les élites ne guident plus les peuples, elles ne font que mener les masses en se perdant elles-mêmes. Il nous faut sortir de l'illusion analytique, quitter le confort du conformisme, et retrouver le sens de la pensée holistique et de l'action vertueuse.

La restauration de l'intellectualité, au sens le plus complet du terme, nécessitera dans un proche avenir le même genre de révolution qui dans les sciences physiques a destitué la notion de cause. Puisqu'elle sera générale, cette révolution sera cognitive et pas seulement épistémologique.

Je cite Bertrand Russel. Il en va du concept de cause « comme de la monarchie anglaise, à savoir qu’on ne l’a laissé survivre que parce qu’on suppose à tort qu’elle ne fait pas de dégâts ». Russel prend l’exemple de la loi de gravitation pour montrer comment celle-ci transfigure la notion de causalité. « Dans les mouvements des corps gravitant ensemble, il n’y a rien qui puisse être appelé une cause, et il n’y a rien qui puisse être appelé un effet : il y a là simplement une formule qui permet de calculer la configuration du système à n’importe quel instant ».

Notre représentation de la cognition est limitante au point que notre civilisation est dans une impasse. La réduction de l'intellectualité au seul raisonnement cartésien nous a conduits à négliger le rôle fondamental du regard spéculatif dans l'élaboration de la connaissance. Or ce regard tient davantage de la contemplation holistique que de la dissection analytique. Nous sommes capables d'entrevoir, par la contemplation, des liens entre les phénomènes qui échappent à l'observation et qui ne peuvent pas être inférés à partir des données. La connaissance du vrai n'est pas auto-contenue dans la data. Nous n'aurions jamais formulé la bonne loi de la chute des corps en nous contentant d'observer les objets tomber autour de nous. Est-ce que notre obsession contemporaine pour la data est autre chose qu'une castration du vrai ?

La connaissance du vrai ne peut pas non plus émaner de la pensée cybernétique. Cette pensée ne fait jamais que traiter des chaînes de symboles comme on fait circuler du signal dans un réseau. Paradoxalement, la notion de système qui sous-tend la théorie cybernétique est en train de se dissoudre. Notre réseau cognitif n’a plus ni frontière claire ni fonction précise. Le système est en train de devenir une soupe, et l’action liquéfiante de l’IA sous le régime néolibéral accélèrera encore la déliquescence générale. La connaissance réticulaire est amputée de la vérité non seulement parce qu’elle est sans forme, mais aussi parce qu’elle est sans hauteur. Signifiants et signifiés se confondent au point que la beauté et le mystère du sens ne peuvent plus respirer dans l'intervalle qui devrait les séparer.

Nous devrons retirer le statut de science aux disciplines qui établissent la primauté de la data sur l'expérimentation, et qui pire encore instaurent comme principe d'ajustement entre la théorie et le réel la réinjection circulaire des données dans les modèles. Nous devrons retirer le statut de science aux disciplines de la climatologie et de l'épidémiologie qui sont incapables de se conformer aux deux principes galiléens. Ces deux principes indétrônables établissent que la spéculation théorique doit précéder l'expérimentation et que l'expérience elle-même doit primer sur l'observation. Le bannissement d'une partie de la climatologie et de l'épidémiologie est donc épistémologiquement nécessaire.

Je note que l'inquisition qui au sein du sérail vise à éliminer la dissidence, y compris dans les sciences, prend précisément pour cible ceux qui sont capables d'intégrer en esprit non seulement la rigueur cartésienne mais aussi une compréhension globale des phénomènes. La société-machine que nous construisons depuis plusieurs siècles est en somme en train de faire une anti-purge : elle ne conserve en elle que le malade et le dégénéré. C'est la dernière étape avant le chaos à l'état liquide, qui lui-même précédera la restauration et la révolution pour lesquelles je plaide, autant qu’il en accompagnera la préparation.

La période de persécution que nous sommes en train de vivre a paradoxalement une vertu transformatrice. Les élites de demain ne pourront pas s’appuyer sur la seule restauration de l’intellectualité. Il faudra aussi qu’elles restaurent en elles la vertu du courage physique et intellectuel. La corruption au sens étymologique tient en sciences, en particulier en pharmacologie et en médecine, autant à un manque de courage qu’à une incapacité de comprendre, par l’absence de vision holistique, que l’intérêt général ne se confond pas avec l’intérêt particulier. Et cette restauration-là, celle du courage, nécessite l’expérience personnelle du danger et sa transfiguration dans le contexte actuel par le choix de la dissidence, de la résistance ou du combat.

La restauration de la contemplation holistique dans l'intellectualité est une nécessité civilisationnelle. Les intellectuels qui auront collaboré au déferlement totalitaire ne seront pas assez vertueux pour faire partie des élites de demain.

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