Et si l’on valorisait enfin ce qui vient de chez nous ?
Dans notre environnement actuel, il est difficile d’ignorer le biais profond qui accorde plus de valeur à ce qui vient d’Occident, et ceci dans tous les secteurs de la société. Il y a quelques heures, je me suis arrêté dans un supermarché "Camerounais" en revenant du travail. Comme à l'accoutumée, je prête attention à ce que les consommateurs mettent dans leurs caddies pour me faire une idée de leurs habitudes de consommation. Devant moi, un jeune dans la trentaine portant un jeans et une casquette à l'envers, iPhone 35 en main et laissant bien apparaître les 3 cercles démonstrateurs de la caméra en signe de validation sociale. Dans une conversation téléphonique de circonstance, il laissait la foule remarquer un accent très occidentalisé et totalement artificiel, je commence à m'habituer à ce spécimen hybride qui pullule fièrement dans nos rues Africaines, totalement ignorant de la réalité qui est qu'il a tout appris d'ailleurs en perdant scandaleusement ce qu'il possédait de plus essentiel : son identité intrinsèque. Il n'est pas étonnant à la suite d'une telle attitude, que le seul article local qu'il ait acheté parmi une bonne vingtaine soit une barre de chocolat de 1000 FCFA. Loin de moi l'idée de tirer sur ce jeune homme qui n'est qu'une victime éconduite d'une société en plein déséquilibre. Mon objectif est de montrer que l'heure est grave et nous devons urgemment nous réveiller. Malgré que les surfaces commerçantes surfent sur des termes soigneusement choisis pour diluer leur ambition de vendre à tout prix, force est de constater que chaque Camerounais qui entre dans un supermarché expédie au minimum 70% de son enveloppe hors de nos frontières. Il faut se poser les bonnes questions.
Cette scène n'est qu'une minuscule illustration du gigantesque scandale auquel fait face le continent Africain depuis quelques années. Que ce soit dans les offres de postes professionnels, dans nos familles et communautés, dans la société ou dans l’imaginaire collectif de manière générale, ce qui vient d'Europe reçoit immédiatement plus de crédit que ce qui est conçu, réalisé, manufacturé, fabriqué, développé sur place. Allons plus loin encore... Dans l'entrepreneuriat, un CV qui intègre de grandes écoles occidentales sera toujours pris en meilleure considération. N'en parlons pas lors de l’attribution de financements aux entrepreneurs. Avoir vécu quelques années dans le froid semblerait conférer des compétences en terme de gestion ou une certaine honnêteté qui mette les investisseurs en confiance. Bref, l'influence de cette dynamique se ressent dans presque tous les aspects de notre vie, en particulier pour nous autres qui vivons et évoluons en Afrique.
Prenons un premier exemple : les offres d’emploi. Il est souvent dit que le diplôme d’une université étrangère ouvre plus de portes que celui obtenu localement, même si les compétences acquises sont similaires, voire supérieures. Cela reflète un déséquilibre non seulement dans la manière dont les talents sont perçus, mais aussi dans la structure même de nos économies. Les formations locales, aussi bonnes soient-elles, peinent à gagner la reconnaissance qu’elles méritent. Ce phénomène alimente un cercle vicieux dans lequel les compétences locales sont dévalorisées, et les étudiants sont poussés à s'expatrier pour être "légitimes" sur le marché du travail.
Le problème dépasse le simple domaine de l’emploi. Dans l’imaginaire collectif, les produits, les idées, et même les modes de vie provenant de l’Occident sont souvent perçus comme supérieurs. Cela va des marques de vêtements aux technologies, en passant par les modes de gouvernance. Cette surestimation d’un modèle extérieur renforce le sentiment d’infériorité, même lorsque les solutions locales sont tout aussi efficaces, sinon plus adaptées aux réalités africaines.
Et les entrepreneurs locaux dans tout ça?
Les entrepreneurs locaux, eux, sont en première ligne de cette lutte invisible. Lorsqu'il s'agit d’obtenir des financements, le parcours est semé d'embûches. Un projet monté en Afrique, même innovant et porteur d'impact, est souvent perçu avec plus de scepticisme qu'un projet similaire émanant d’un entrepreneur basé en Occident. Je parcourais encore récemment la liste des entreprises "Africaines" ayant réussi à passer la significative valeur d'un milliard de dollars et il me semble que je n'ai pas besoin de commenter. Même un aveugle verrait qu'il y a quelque chose qui cloche 🔔 L'Afrique est manifestement un terrain de chasse plus fertile pour les non-Africains.
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Par exemple, en 2019, seulement 6% des startups ayant obtenu plus d'un million de dollars au Kenya étaient dirigées par des fondateurs locaux, selon ViKtoria Ventures, une société de conseil et de gestion de fonds basée à Nairobi. Et 70% des startups au Kenya qui ont levé au moins 1 million de dollars d'investissement en capital-risque en 2018 étaient dirigées par des fondateurs blancs, alors que les expatriés ne représentent que 0,15% de la population kenyane, selon une analyse de Roble Musse, un entrepreneur basé aux États-Unis et lui-même écoeuré par ce biais de l'entrepreneur occidental venu changer la vie des noirs. Les chiffres révèlent clairement une tendance.
Et cette disparité ne fait que refléter le biais structurel qui favorise tout ce qui provient de l’extérieur. Alors que les entrepreneurs africains essaient de résoudre des problèmes cruciaux et locaux, alors qu'ils savent pertinemment dans quelle réalité se trouvent leurs semblables, leurs communautés et donc leurs clients, alors qu'ils ont souvent une très bonne connaissance des voies et moyens qu'ils doivent employer pour résoudre ces problèmes de la manière la plus optimale possible, ils doivent pourtant obtenir la validation internationale avant même d'être pris au sérieux chez eux. C'est amusant, mais je me suis moi-même rendu compte qu'il y a plus d'ouvertures dans les couloirs de nos administrations lorsque j'arrive pour signer des contrats en compagnies de partenaires étrangers qui souvent, n'apportent pas plus au projet que leur présence ponctuelle ou leur sourire teinté d'un flagrant étonnement. En fait, c'est souvent quand ils arrivent en Afrique qu'ils réalisent qu'ils sont les détenteurs d'un pouvoir dont ils n'avaient aucune connaissance par le passé.
Combien cela nous coûte-t-il en fin de compte?
Plus sérieusement... Ce biais a un coût énorme pour nos économies et notre développement. Il freine l’innovation locale et maintient une dépendance vis-à-vis de solutions externes, souvent mal adaptées aux réalités du continent. Le potentiel des idées africaines reste sous-exploité, et il est temps que nous en soyons conscients.
Nous devons nous poser des questions sérieuses : pourquoi le financement international semble-t-il plus facilement accessible à ceux qui sont perçus comme étant "validés" par des standards occidentaux ? Pourquoi nos propres systèmes éducatifs, nos entreprises, et nos produits ne sont-ils pas davantage valorisés ? C’est un enjeu de souveraineté intellectuelle et économique, et il est temps que nous commencions à revaloriser ce qui est fait localement, à soutenir nos propres innovateurs, et à croire en notre potentiel.
À un moment donné de cet article, j'ai voulu faire une transition pour évoquer les jeunes qui s'enfuient au Canada sous prétexte qu'on doit aller gagner de l'argent à l'étranger avant de revenir investir au Cameroun. Ce serait trop long, c'est avec une torche industrielle que je cherche encore ceux qui ont réussi à le faire jusqu'à présent. S'il faut énumérer 2 ou 3 qui ont réussi à construire des meublés sur les dizaines de milliers qui sont partis, vous conviendrez avec moi que c'est un scandaleux échec. Bref, nous en parlerons une autre fois.
Vivons vivants !
En CET avant retraite, né en 321 ppm CO2
2 moisMerci Flavien. Bel esprit d'entreprenariat, audace, courage, volonté, motivation. Tu es un très bel exemple pour les jeunes camerounais qui souhaitent se lancer. Continue, ne baisse jamais les bras. Il y aura des obstacles, mais ta persévérance te donnera raison. Fonce👌👍👏👏👏