Rencontre imaginaire avec Saint Exupéry

Rencontre imaginaire avec Saint Exupéry

J'aurais choisi de vous rencontrer dans les années 80, à la brasserie La Coupole de Montparnasse, lors d'une de vos brèves escales à Paris, alors que vous partagiez depuis des décades votre temps sur cette terre des hommes, entre vos plantations dans l'arrière pays niçois-mimosas, lentisques, asphodèles, micocouliers, lauriers roses- et le désert du Mali où vous prêtiez mains fortes aux nouvelles générations d'ingénieurs agronomes, qui creusaient des puits et construisaient des canaux d'irrigation, tout en veillant à la bonne répartition de l'eau, devenue plus rare. Afin de subvenir aux besoins des villageois et des nomades locaux.

Devenu, par la force des choses, plus sobre qu'un chameau, votre santé se maintenait allègre, en dépit de quelques vieilles douleurs, souvenirs de votre jeunesse aérienne à haut risque.

Vous aviez refusé le jeu de l'interview, estimant n'avoir plus aucun message à délivrer, après l'échec éditorial de votre oeuvre de méditation, éreintée par une critique moutonnière. Vous aviez pris vos distances, tout comme Camus en son temps, avec le monde de la presse et des medias.

Vous aviez accepté le seul exercice de l'évocation libre, livrée à une simple porte-plume de votre choix, parce qu'en résonnance avec le respect de votre parcours. Le surnom de Saint Antoine d'Exupéry, dont vous avez gratifié un auteur du 20ème siècle, aurait eu la vie dure, comme si votre destin d'écrivain-pilote vous condamnait à incarner bien des mythes, au fil des modes et des célébrations. C'est bien à ce "Petit Prince" né à New York, avant son succès sur le marché planétaire, que vous deviez à la fois votre renom et votre fortune, ses droits d'auteur et de traduction vous ayant permis de mener à bien vos ambitions philanthropes, sans plus aucun souci personnel d'intendance. Pirouette exemplaire, conforme à un esprit chevaleresque jamais démenti, vous aviez négocié auprès de votre éditeur Gallimard l'interdiction de mettre tout produit dérivé de votre vivant en vente sur le réseau du supermarché global!

Aussi bien avec l'âge étiez-vous devenu tout à fait discret, la fréquentation des mimosas et des Touaregs sans doute. Seule l'évocation de vos lubies enthousiastes avait ramené sur votre visage grave, raviné de rides, un sourire espiègle d'éternel enfant. Ces caprices de jeunesse qui vous faisait ressembler à un hors-la-loi, vous vous les étiez pardonné, dans le silence et la paix reconquise, prolongeant, au gré des séjours dans vos refuges une pensée qui ne pouvait s'incarner qu'à l'abri de la" termitière bruyante."

Homme des métamorphoses, sans descendance incarnée, devenu plus humble avec la patine du temps, vous aviez choisi de revenir à vos sources d'inspiration, en échappant définitivement à ce monde de conquérants de l'air et de l'espace; vous leur aviez fait don, dans la grâce du sacrifice, de ce petit bonhomme lucide et ravi, immortel, parce que toujours renaissant. Le ciel des satellites et des stations spatiales, vous l'aviez finalement déserté, votre Petit Prince, son mouton, son renard, ses volcans et ses baobabs, n'y trouvaient plus le repos.

Vous ne preniez plus votre envol qu'occasionnellement, afin de servir de guide à de jeunes pilotes en mission, chargés du transports de frêt ou d'évacuations sanitaires. Ces jeunes, venus du monde entier, semblaient animés de la même passion que vous dans votre jeunesse, comme si l'esprit du temps où les avions reliaient les hommes pour transporter le courrier n'était pas tout à fait oublié dans le coeur de ceux qui avez voulu marché dans vos pas, et volé dans votre sillage.

A l'été 1944, vous aviez décollé tel Icare pour un vol défiant les lois communes, soucieux sans doute de vous envoler vers votre destin, car vous l'aviez vous-même écrit, dans cet élan romantique qui animait vos engagements. "C'est ce qui donne un sens à la vie qui donne un sens à la mort". Les prophéties au ton parfois biblique -voire coranique- de vos recueils, où l'avion sert de métaphore à l'exploration de l'existence humaine, sont encore aujourd'hui redécouvertes par des milliers de lecteurs, sans doute parce qu'elles restent à l'écoute des inquiétudes de nos contemporains. Alors, acceptez notre respectueux hommage, l'Antoine, et bon séjour de retour en cette Terre des Hommes, où tout au bout des dunes, navigue la mer.

"....Qu'il est donc difficile d'avancer au gré du rythme intérieur, quand on a à lutter contre l'inertie du monde matériel! Tout est toujours tout prêt de s'arrêter! Comme il faut être vigilant pour sauver la Vie et le Mouvement dans un univers presque en panne..."

Cette phrase extraite de la préface du livre de la pilote amie 'Anne Morrow Lindbergh, s'offre plus que jamais en 2024 à notre méditation. Comme un rappel salutaire à la recherche spirituelle nourrissant le vol de ces pionniers. Parce chez la pilote américaine comme chez St Ex, écrire et voler sont les deux facettes d'une même quête, parfois intuitive, parfois nourrie de l'observation, comme si la propension à la méditation était curieusement mêlée au voyage aérien. Et pouvait ainsi nourrir une morale, voire une sagesse née de l'expérience de terrain, contribuant ainsi à aider les hommes à mieux vivre, en faisant sa part, entre modestie et rigueur.

Alors, acceptez notre salut respectueux, l'Antoine, et bon voyage de retour en cette Terre des Hommes.


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