Etats-Unis : dix ans de responsabilisation du système financier anéantis
@ DADO RUVIC

Etats-Unis : dix ans de responsabilisation du système financier anéantis

L'histoire se répète. En garantissant tous les dépôts excédant le montant maximal assuré (250.000 dollars aux Etats-Unis) auprès de deux banques défaillantes, la Silicon Valley Bank (SVB) et la Signature Bank (SB), l'Etat américain vient d'anéantir des règles prudentielles internationales qu'il a lui-même bâties pour sécuriser le système financier. 

Les deux établissements ont de nombreux traits en commun: une connivence avec l'administration républicaine sortante; très peu de dépôts assurés (97% non assurés pour SVB); des déposants de type PME (start-up de la Silicon Valley, cabinets d'avocats et d'audit, constructeurs immobiliers à New York); et un vrai problème de solvabilité suite à des pertes importantes.

La raison officielle d'un tel renflouement? Le risque systémique. La déconvenue pourrait inspirer des paniques des déposants non assurés d'autres banques: la banque A met en difficulté les banques B et C, dont elle est créancière, qui à leur tour peuvent gêner d'autres banques si elles renient leurs engagements. Cet effet domino motiva le sauvetage d'AIG en 2008, qui avait assuré nombre d'institutions financières (y compris en Europe). Rien de cela dans le cas de SVB et SB, relativement petites banques et avec peu de potentiel d'effet domino.

Panique en 2008

L'autre risque systémique est indirect et informationnel. Les marchés supposent que l'Etat, ne sauvant pas la banque en danger, est résolu à ne pas trop utiliser l'argent public pour renflouer d'autres établissements fragiles. La panique en résultant avait conduit en 2008 les autorités américaines à sauver toutes les banques (y compris celles non régulées) juste après avoir refusé de céder aux exigences des créanciers de Lehman. Cet argument avait été crucial aussi dans le sauvetage par l'Europe de l'Etat grec. Cette défaillance n'aurait eu que peu d'effets de domino, mais aurait inquiété les créanciers du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie.

Reste que les partisans du renflouement ont raison de dire que les PME concernées ne peuvent pas forcément survivre à la perte de leurs dépôts opérationnels. Cependant, elles ne devraient pas bénéficier d'une assurance gratuite. Comme vous payez pour vous assurer en cas d'accident, elles devraient payer à l'Etat la faculté de préserver leurs dépôts, soit par retrait à la moindre rumeur, soit (pour ceux qui traînent trop à sortir leur argent) par une assurance implicite.

Les gros déposants (qui de façon peu surprenante occupent une place considérable dans le financement du système bancaire) et les établissements qui les accueillent se sont habitués à avoir le beurre et l'argent du beurre, et la décision américaine remet en cause dix ans d'efforts des régulateurs pour responsabiliser le système financier.

Et ainsi empêcher que les citoyens n'aient à subventionner la prise de risque des banques. Comme l'avaient fait auparavant les décisions préalables d'exempter SVB du ratio de liquidité mis en place par les régulateurs de Bâle, et de tolérer des artifices comptables inappropriés à l'emploi fait des liquidités.

L'État, en dernier recours 

Que faire maintenant? D'abord, admettre que tous les dépôts à vue ou à très court terme sont de facto assurés. A ce titre, et comme je l'ai recommandé dans un article avec Mathias Dewatripont (Liquidity Regulation, Bail-ins and Bailouts), ils devraient être redevables de l'assurance-dépôt.

Ensuite, réfléchir au risque macroéconomique. Ce risque, qu'il soit pandémique, de taux d'intérêt ou climatique, doit être porté par quelqu'un: par les citoyens, et en dernier recours, par l'Etat. Mais de nouveau, la collectivité n'a pas à payer pour ceux qui cherchent à s'enrichir par la spéculation sur le risque macroéconomique.

Aujourd'hui plane une forte incertitude sur les taux d'intérêt ; leur hausse réduit la valeur des obligations détenues par les institutions financières. Soit ces dernières se prémunissent contre le risque de taux (auprès d'autres institutions ou auprès de l'Etat), soit elles ont suffisamment de fonds pour résister à une mauvaise surprise. Sinon, l'Etat est retenu prisonnier.

Il ne peut pas relever le taux d'intérêt (par exemple pour combattre l'inflation) sans mettre à bas une partie du système financier. De plus, le nombre fait la force. De même qu'un aéroport ne peut s'agrandir si de nombreux riverains viennent s'installer à ses abords, il y a "aléa moral collectif" quand beaucoup de banques se rendent ainsi vulnérables, se protégeant collectivement contre une remontée des taux. Une préoccupation remise à la mode par les errements des superviseurs bancaires.

Tribune publiée dans "Challenges" dans le cadre du collectif "Economistes du Bien Commun".

La grande crise financière a ajouté 8000 milliards de dettes de 2008 à 2014 (fin du quantitative easing) aux contribuables américains. La crise du Covid en a rajouté 9000 milliards de 2020 à début 2023. C'est un peu beaucoup en seulement 15 ans. Les gosses qui ont 15 ans et moins aujourd'hui sont déjà endettés jusqu'au cou. Il y eut 120 milliards de francs suisses que les clients avaient retirés de leurs comptes au Crédit Suisse en Octobre 2022,...sur un faux tweet d'un journaliste qui stupidement voulait se faire remarquer. Ouf, heureusement que la banque n'avait pas d'actifs pourris à part les 17 milliards de dollars de mauvais prêts accordés à Greensill et d'appels de marge (margin calls) d'Archegos (comme d'ailleurs pour les CDS d'AIG en 2008). De toute manière, l'annulation par le FINMA des 17 Mds d'obligations AT1 avait permis de combler la perte. À y regarder de près, ces paniques (les bank runs des money market funds en 2008, et du Credit Suisse en 2022), n'étaient pas vraiment justifiées. J'ai du mal à voir comment on peut faire du bail-in avec de telles sommes. Mais je vais lire l'article que vous avez écrit avec Mathias Dewatripont "Liquidity Regulation, Bail-ins and Bail-outs" pour essayer de mieux comprendre.

Erwan GUYOVIC

Responsable d'une Bibliothèque Universitaire - Expert en Médidation de Pleine Conscience

1 ans

Merci Ethel pour cet article que j'avais déjà lu mais qui mérite d'être largement diffusé tant Jean Tirole nous explicite clairement les dérives inquiétantes du système financier américain 👍!

kintzler jean-noel

Professeur de S.E.S. & S.N.T., Formateur CAFFA ; Membre de jury de concours ; Chargé de mission

1 ans

Une parole aussi subtile qu'utile

François Galvin

Financier littéraire, j'initie à la complexité

1 ans

Ce qui était auparavant réservé aux établissements "Too Big To Fail" (et qui posait déjà le problème de l'aléa moral) est devenu la norme ! "Aujourd'hui plane une forte incertitude sur les taux d'intérêt ; leur hausse réduit la valeur des obligations détenues par les institutions financières. Soit ces dernières se prémunissent contre le risque de taux (auprès d'autres institutions ou auprès de l'Etat), soit elles ont suffisamment de fonds pour résister à une mauvaise surprise. Sinon, l'Etat est retenu prisonnier." est une très bonne synthèse de la situation actuelle. De la déresponsabilisation de nombreux acteurs privés, la collectivisation de leurs risques mais pas de leurs bénéfices. Également de la moindre indépendance des banques centrales, qui elles aussi se retrouvent quelque part prisonnières, ne pouvant travailler sur le "contrôle" de la masse monétaire sans anticiper les conséquences en terme d'activité, qui devraient uniquement être du ressort de l’État et de la politique budgétaire. Fini l'anticipation, la maîtrise des équilibres macro-économiques. Le policy mix devient une sorte de pompier (pyromane), au risque d'accroitre toujours plus les déséquilibres sous-jacents.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets