Europe : "On développe l’excellence là où elle est. Ailleurs, on a les fonds de solidarité"​ (P. Busquin, ex-commissaire)

Europe : "On développe l’excellence là où elle est. Ailleurs, on a les fonds de solidarité" (P. Busquin, ex-commissaire)

Par Marie-Pierre Vega, le 05/10/2018 - Lire la dépêche en ligne

"Mon expérience invite à la vigilance car les ministres ont souvent d’autres objectifs que [défendre] la recherche" dans le débat budgétaire européen, prévient Philippe Busquin, ex-commissaire européen à la Recherche (1999-2004). Avant son intervention à la rentrée solennelle 2018 d’Aix-Marseille Université, le 2 octobre 2018, AEF info a rencontré celui qui a initié l’ERC, un dispositif ayant "mis en lumière la recherche d’excellence et redonné le pouvoir aux chercheurs eux-mêmes". Aujourd’hui ministre d’État belge, il plaide pour continuer à développer "l’excellence là où elle est". "Ailleurs, on a les politiques de solidarité", lâche-t-il quand d’autres argumentent en faveur d’un équilibre régional. Philippe Busquin souligne la prime à l’innovation donnée par le programme Horizon Europe et invite les universités à "être des actrices essentielles de leur environnement socio-économique".

AEF : Vous avez été commissaire européen à la recherche de 1999 à 2004, puis député européen de 2004 à 2009. Aujourd'hui, suivez-vous de près les discussions sur le programme-cadre Horizon Europe ?

Philippe Busquin : Bien sûr, je m'y intéresse de très près. J'exerce toujours des responsabilités européennes, je suis président du STOA, un organe du Parlement européen chargé de réaliser des études approfondies sur des sujets scientifiques spécifiques. Par ailleurs, en Belgique, je suis administrateur du FNRS (Fonds national de la recherche scientifique) et président de l'Institut géographique national, notamment. Année après année, la recherche fondamentale et l'éducation sont devenues plus essentielles pour la construction de l’Europe. Horizon Europe est une évolution, et non une révolution de l’esprit de l’espace européen de la recherche lancé en 2000. Cependant, ce nouveau programme-cadre financera davantage l’innovation car il y a un déficit dans ce domaine aujourd’hui en Europe.

Auparavant, le budget de la recherche servait de variable d'ajustement dans les budgets des États. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

 AEF : Comment voyez-vous l’évolution du financement de la recherche en Europe ?

Philippe Busquin : Mon expérience invite à la vigilance car le Conseil européen et les ministres ont souvent d’autres objectifs que la recherche et l’éducation. Ils veulent toujours verser moins à l’Europe et cherchent toujours à avoir ce qu’ils considèrent comme un juste retour de ce qu’ils ont payé, via les fonds de cohésion et la PAC. Ce sera encore une fois les enjeux du débat budgétaire, rendu encore plus compliqué par le Brexit et les replis nationalistes.

Ceci dit, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. En 2000, avec la "stratégie de Lisbonne", très ambitieuse, le Conseil européen s’est fixé comme objectif de faire de l’Union européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Un des problèmes de l’Europe, et c’est toujours le cas, était de produire beaucoup de connaissances mais de ne pas parvenir suffisamment à les transformer en activité économique. Puis, en 2001, les ministres de la Recherche, réunis à Barcelone, se sont donné pour objectif de consacrer à la recherche 3 % des PIB nationaux, via l’investissement public, mais aussi à travers une dynamique d’entreprises.

Les pays scandinaves étaient déjà au-delà, en particulier la Finlande avec le phénomène Nokia, mais les autres étaient bien en deçà. Un pays comme la France a évolué positivement. L’idée du grand emprunt [programme d'investissements d'avenir] notamment a été géniale car elle a permis de dégager de nouveaux moyens financiers. Mais nous sommes toujours loin des 3 %, aujourd’hui. L’Europe s’est élargie à des pays aux moyens et aux équipements dépassés, pour qui la recherche n’a naturellement pas été la priorité. Et la crise financière est passée par là. Voilà pour le verre à moitié vide.

Mais il y a aussi le verre à moitié plein. Auparavant, le budget de la recherche servait de variable d’ajustement dans les budgets des États. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, il reste solide, voire augmente. Les États ont bien compris l’importance de la recherche pour le développement technologique. Mais la compétition étant devenue beaucoup plus mondiale qu’en 2000, il faut toujours plus d’Europe pour soutenir la dynamique et rester leader face à des compétiteurs majeurs que sont devenus par exemple la Chine, la Corée du Sud ou Singapour.

AEF : Est-ce que l’équilibre régional, une question centrale dans les discussions actuelles tant sur la recherche que sur les universités européennes, a toujours été un enjeu ?

Philippe Busquin : L’Angleterre, l’Allemagne et la France étaient trois pays forts en matière de recherche. L’espace européen de la recherche visait à permettre aux petits pays de collaborer avec les plus grands, les premiers de cordée comme dirait le président de la République française. Bien sûr, là où est l’excellence, il y a davantage de financements. Mais il ne faut pas faire de confusion. Il faut viser l’excellence en recherche et en éducation. Pour le reste, il y a les fonds de cohésion, qui représentent des sommes importantes. Tout relève ensuite des choix d’investissement que font les États. Ils sont invités à investir dans leurs équipements scientifiques et technologiques, mais le choix final leur revient. Il ne faudrait pas revenir à la philosophie de Margaret Thatcher et son "I want my money back". On développe l’excellence là où elle est. Ailleurs, on a les politiques de solidarité.

 Seuls 15 % des candidats décrochent un ERC. Ça peut être décourageant pour de jeunes chercheurs. Mais 16,6 Md€ pour les 7 ans à venir, c’est plus qu’avant, et ce n’est déjà pas mal.

 AEF : Vous avez contribué à ancrer la recherche fondamentale dans le programme-cadre avec l’ERC, que le commissaire Carlos Moedas considère comme le "joyau de la couronne". Comment appréciez-vous les résultats obtenus ?

Philippe Busquin : En 2000, les programmes européens étaient centrés sur la recherche collaborative. Les projets individuels des chercheurs, qui se plaçaient très en amont dans le processus de recherche, n’y trouvaient pas leur place. C’est sur la base du traité de Lisbonne et du développement du concept d’espace européen de la recherche que nous avons pu créer les bourses ERC qui ont mis en lumière la recherche d’excellence, empêché la fuite des chercheurs vers d’autres pays et redonné le pouvoir aux chercheurs eux-mêmes puisqu’il n’y a pas ce que nous appelons à la Commission la comitologie (1) dans l’attribution des ERC. Ce sont des scientifiques qui apprécient d’autres scientifiques.

AEF : Aujourd’hui, certains acteurs font part de leur déception quant au budget de l’ERC annoncé dans le futur programme Horizon Europe.

Philippe Busquin : Évidemment, on voudrait plus, car c’est un succès. Le taux de réussite est d’ailleurs un problème : seuls 15 % des candidats décrochent un ERC. Ça peut être décourageant pour de jeunes chercheurs. Mais 16,6 Md€ pour les 7 ans à venir, c’est plus qu’avant, et ce n’est déjà pas mal. Et il y a aussi les Marie Curie, qui sont intéressants, et qui représentent 6,6 Md€. Par ailleurs, les États membres peuvent jouer un rôle en prévoyant des mécanismes de financement pour les projets reconnus comme faisant partie des meilleurs mais n’ayant pas été retenus à la dernière étape de sélection (lire sur AEF info).

AEF : Quel regard portez-vous sur l'EIC (Conseil européen d’innovation) que souhaite créer Carlos Moedas ?

Philippe Busquin : L’innovation, ce n’est pas que de la recherche, c’est aussi une manière de s’organiser au niveau régional, une question d’interaction entre le milieu socio-économique et le milieu académique qui trouve sa traduction dans des réseaux développant des projets associant la formation et à la recherche technologique. C’est l’objet de l’EIT [Institut européen de technologie]. Il est maintenant question de chapeauter le tout par un EIC : ce n’est pas mal. 20 % des moyens iront ainsi vers l’innovation. Dans cette perspective, les universités doivent davantage développer leur troisième mission, c’est-à-dire être des actrices essentielles de leur environnement socio-économique.

AEF : La commission prévoit un nouveau processus de suivi de la mise en œuvre du programme-cadre, la planification stratégique. L’objectif est d’associer de nouveaux acteurs aux processus de décision. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Busquin : Cela peut être une excellente idée. Le programme-cadre s’inscrit dans la stratégie politique de l’Europe et la DG recherche sera ainsi le pilote, le moteur des besoins exprimés par les différentes DG. Il y a aussi l’idée d’avoir une meilleure participation citoyenne à la définition des objectifs pour obtenir une plus forte adhésion. On verra les modalités, mais l’idée est bonne.

 Le renouveau de l'Europe, son avenir, passe entre autres par le concept d’université européenne.

 AEF : Vous êtes à Marseille pour la rentrée solennelle de la seule université à disposer d’un bureau et d’un représentant à Bruxelles. Les acteurs français sont-ils assez présents à Bruxelles ?

Philippe Busquin : Quand j’étais commissaire européen, la Finlande, l’Allemagne ou la Suède étaient très présents, à l’inverse des acteurs français. Ceux-ci le sont davantage aujourd’hui. Aix-Marseille Université a maintenant un représentant, c’est bien. Mais en 2000, l’université d’Helsinki avait déjà un bureau avec trois ou quatre personnes.

AEF : Y a-t-il une spécificité du lobbying en matière de recherche par rapport aux autres secteurs ?

Philippe Busquin : Dans le domaine de la recherche, il faut savoir anticiper, sinon on arrive trop tard. Il faut connaître les appels à venir, anticiper le caractère collaboratif, savoir comment y répondre, comment présenter, avoir un réseau relationnel. Mais c’est un lobbying sain, celui de la connaissance, pas un lobbying qui vise à influencer les résultats.

AEF : Le pilote de l’appel à projets sur les universités européennes est attendu pour fin octobre. Que pensez-vous de cette idée, comment la voyez-vous se réaliser ?

Philippe Busquin : L’idée est excellente, c’est une nouvelle étape. Il faut que la dimension européenne des universités s’accentue. Les citoyens ne comprennent pas l’Europe. Le vecteur le plus important, ce seront les étudiants. L’espace européen de la recherche a été un moteur, il faut faire pareil avec l’éducation. Le renouveau de l’Europe, son avenir, passe entre autres par le concept d’université européenne. Le ciment le plus fort de l’Union européenne sera toujours la culture et le savoir. Il y a beaucoup de choses à faire dans ce nouveau cadre : des cours dans au moins deux langues européennes, des programmes communs, de l’enseignement à distance, des échanges d’enseignants, une amplification des Erasmus de manière plus structurelle, et, finalement, des diplômés européens.

(1) La comitologie est la procédure par laquelle des comités, composés de représentants des États membres, assistent la Commission européenne dans le cadre de la mise en œuvre des mesures d'exécution de la législation communautaire.

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