EXCLUSIF !
LA CONTRIBUTION DE FRED FOREST A LA RENCONTRE DES ARTISTES DE SAMEDI PROCHAIN 23 FEVRIER A LA COLONIE
JE NE SUIS NI ANTISEMITE, NI VIOLENT, NI SEXISTE, PAR CONTRE JE SUIS ET JE RESTE UN GILET JAUNE CONVAINCU !
Je suppose que les 4.000 artistes qui ont déjà signé comme moi à ce jour les pétitions en faveur des Gilets Jaunes ne sont pas plus racistes que je le suis moi-même… L’on pourra me faire le reproche, une fois encore, d’être toujours en avance… Je n’y peux rien ! C’est comme ça. C’est vrai que j’ai déjà été vu à Paris comme artiste activiste, vidéo au poing en mai 68, à Sao Paulo en 1973 pour la XII Biennale sous le coup de la police politique des militaires de l’époque, et à New York en 2011 pour Occupying art world comme acteur entre le MoMA et Wall Street...
A LA LECTURE DE CES INFORMATIONS ON POURRAIT BIEN ADMETRRE QUE JE SUIS LE GILET JAUNE DE SERVICE DE L’ART CONTEMPORAIN DEPUIS UNE QUARANTAINE D’ANNEES… ;-)
Oui, je suis d’accord avec ceux qui me posent la question : les chefs de file autoproclamés du mouvement des Gilets Jaunes doivent se prononcer avec force contre toutes les formes de racismes. Et notamment le dernier en date, celui qui s’est manifesté lors de la manifestation du 16 février dernier à l’encontre du philosophe Alain Finkielkraut, perpétré selon les médias et les témoignages hélas tangibles et irrécusables de vidéos, par des salafistes au nom de la mouvance pro-islamiste…
Ce qui n’excuse en rien les violences policières contre les vrais Gilets Jaunes, comme contre ceux qui s’affublent du vêtement pour défendre d’autres causes qui n’ont rien à voir.
LA VIOLENCE DANS TOUS LES CAS EST INADMISSIBLE QUAND ELLE PORTE ATTEINTE A L’INTEGRITE PHYSIQUE.
Il y a trois mois, le jour même du lancement du mouvement le 17 novembre dernier, j’affichais déjà sur ma page Facebook mon soutien au mouvement des Gilets Jaunes. Et depuis cette date je publie une chronique régulière sur Facebook les soutenant. Contribution modeste mais militante visant à revitaliser la démocratie par son caractère critique, ironique et parodique. Mon grand regret, mon incompréhension totale, c’est d’avoir vu les artistes prendre du retard à l’allumage pour réagir... Sans doute par une trop grande prudence devant un mouvement atypique et inattendu. Un mouvement qui échappait aux catégories normées d’un système fait de jugements conditionnés par une forme de pensée unique … Une pensée insufflée par les institutions culturelles de l’art contemporain dont ils dépendent trop étroitement et que je ne citerai pas ici tant la liste est longue …
La rencontre qui se déroule le 23 février à la Colonie barrée, trois mois plus tard, à l’initiative de quelques-uns et de quelques-unes, qui en ont tout le mérite, est là pour nous rassurer…C’est enfin la preuve par 9 que les artistes sont aussi capables de se déterminer et d’agir pour une réflexion utile sur la vie de leur pays. La connotation du lieu et ses orientations politiques, je l’espère, n’empêcheront pas les artistes de tous les horizons de venir pour tenter d’engager des dialogues constructifs, comme le font les Gilets Jaunes eux-mêmes sur les ronds-points. Chacun devra laisser à la porte ses convictions les plus sectaires, ses préjugés, et ses stéréotypes culturels les plus ancrés. Admettant que nul à lui seul ne peut représenter toute la vérité. Ce qui demande une sérieuse prise de conscience, une prise en compte des évolutions en cours, afin que chacun puisse modifier ses propres comportements dans un partage honnête et sincère. Un partage établi dans une vraie réciprocité d’échange avec l’autre. Je ressens intuitivement à travers les Gilets Jaunes les prémisses d’une telle disposition d’esprit. Le chemin est encore long pour arriver au bout de la route mais les signes avant-coureurs de cette évolution (révolution) sont assez significatifs pour y croire à long terme. Pourtant la marche du temps est, elle, inexorable, et les situations évoluent très (trop) vite du fait aujourd’hui de l’instantanéité de l’information avec les chaînes d’informations continu. Alors que les prises de position de chacun ne peuvent faire sens que dans un contexte temporel stable. Les événements aujourd’hui se suivent et surviennent à un tel rythme, que les uns chassant les autres ou les démentant, nous empêchent de fixer nos pensées. Ils indiquent que le mouvement des Gilets Jaunes avant que nous ayons eu le temps de pouvoir énoncer notre pensée à son sujet est déjà en train de virer sa cuti. Des divergences se font jour déjà dans une bataille d’egos où des idéologies partisanes et contrastées prennent forme. Ces dernières étant attisées par un gouvernement devenu expert en manipulations médiatiques et qui fait feu de tout bois pour le discréditer. La violence hier, l’antisémitisme aujourd’hui et encore de quoi demain pourrait-on encore accuser les gilets jaunes, après le racisme, le sexisme, l’homophobie et… le pro-islamisme ? Les amalgames sont trop faciles. Des clivages c’est vrai se font jour au sein du mouvement. Une telle évolution est classique dans les situations de ce type surtout quand des opportunistes de tous bords camouflent leur identité et leur idéologie sous une bannière hâtivement peinturlurée en jaune. C’est très facile, en effet, pour n’importe qui d’enfiler ce gilet de chantier devenu emblématique. Selon Marx " L'HISTOIRE NE SE RÉPÈTE PAS ELLE BÉGAIE " tout simplement. Cette phrase qui lui est attribuée illustre bien ce vers quoi glisse d’une façon toute naturelle un mouvement appelé à se diviser. Il ne faut pas s’y tromper. Ce qu’on appelle le peuple, ici, ou encore Gilets Jaunes, est une masse composite et informe d’individus que réunissent des intérêts de circonstance. Néanmoins leurs revendications communes sont encore assez fortes et surtout assez justes pour être partagées par le plus grand nombre…. Quoi qu’il en soit de son devenir immédiat, il en restera une trace positive comme le moment de bascule où le monde va changer. Où seront pris en compte désormais la misère des populations rurales comme celles des banlieues, plus de justice sociale et l’abolition des privilèges de classe. Il n’y a qu’à prendre connaissance des sondages pour se rendre compte que la côte d’amour pour les Gilets Jaunes est encore d’une stabilité étonnante malgré tous les efforts des casseurs en tous genres, contre lesquels le gouvernement ne fait rien de significatif et au contraire. Après trois mois d’épreuves internes comme externes, il est encore étonnant de constater que ces clivages aussitôt apparus au sein des gilets jaunes peuvent aussi bien se résorber comme par enchantement. Les leaders autoproclamés ayant compris qu’ils devaient s’effacer et qu’il était urgent de se serrer les coudes afin de conserver les faveurs de l’opinion et de servir ce qu’il y avait de commun dans la cause qu’ils défendaient. Nous assistons là en quelque sorte à une nouvelle forme d’intelligence que l’on doit à l’émergence des Gilets Jaunes. Plus rien ne sera tout-à-fait comme avant dans la tête des gens. Un mouvement où la créativité et la rapidité stratégique des déplacements des foules, sans doute grâce aussi aux utilisations généralisées du smartphone, est devenue remarquable. Les forces de l’ordre étant elles-mêmes contraintes de s’adapter à la mobilité des manifestants, et même de devoir innover par des techniques de maintien de l’ordre inédites, comme celles par exemple de la mise en œuvre de nasses ou poches d’individus captifs. Les Gilets Jaunes n’en ont que faire, guidés par un instinct sûr de groupe, ils surgissent et avancent de toutes parts et s’infiltrent d’une façon cohérente dans une horizontalité parfaite sans recevoir d’ordre de marche ou de replis de quiconque. Car en fait, aucun chef désigné ne préside à la manœuvre et n’est là pour leur intimer des ordres… Obligeant ces malheureux gendarmes essoufflés à courir vainement derrière eux. Comme si un sens collectif diffus les auto-organisait constamment. Un mouvement présentant encore des motivations assez légitimes et puissantes pour pouvoir vaincre par cette émergence permanente et soudaine les velléités d’un Pouvoir déconsidéré qui peine à le juguler. Alors que des récupérateurs en tous genres pointent déjà le nez et se pressent au portillon. Les syndicats à la dérive et les vieux partis tétanisés, victimes d’une situation qui leur échappe essayent vainement de s’accrocher aux branches. Les Gilets Jaunes ont compris dans cette bataille pour l’opinion que le véritable danger émanait maintenant des casseurs. Je leur fais confiance pour trouver du jour au lendemain des solutions appropriées pour les neutraliser d’une façon ou d’une autre. Je rêve du jour où Gilets Jaunes et policiers leur offriront un front commun dans la fraternité retrouvée. Mais cela suppose un changement de gouvernement et donc de donneurs d’ordre.
La seule façon de maintenir la ligne haute pour l’instant c’est d’opter ensemble pour une utopie réaliste et pragmatique à géométrie variable. De bien vouloir admettre, une fois pour toute, que les vieilles lunes sont à jamais obsolètes et que s’ouvrent devant nous les prémisses d’une ère nouvelle. A nous autres, les artistes, la responsabilité de l’inventer si nous en sommes encore capables et de faire preuve de créativité et d’imagination au lieu de se conformer au prêt à porter des catéchismes de la pensée imposés par la doxa institutionnelle de l’art contemporain.
Pour cela, chacun doit aller vers l’autre et tenter de le comprendre quelques soient nos différences. Des différences qui doivent être traitées non plus comme des objets de confrontation mais comme des source d’enrichissement. S’efforcer de renoncer à ses stéréotypes culturels et politiques les plus éculés pour partager quelque chose de commun avec cet « autre ». Les crises sont toujours une grande chance pour qui sait les saisir. A nous les artistes d’en être capables en montant d’un cran le niveau de nos exigences et en optant pour une pratique de l’intelligence collective. Le mouvement des Gilets Jaunes porte en lui ce potentiel créatif et celui d’une fraternité retrouvée. Ne laissons pas passer cette chance !
Ce mouvement qui est le nôtre, et qui va de l’esthétique des Gilets Jaunes à celui de l’éthique dans l’art que nous prônons, doit s’attacher à recouper et résoudre les multiples problèmes qui se présentent aujourd’hui à l’Homme et par conséquent à l’artiste à l’heure du changement de civilisation dans lequel nous sommes déjà entrés. Le mouvement des Gilets Jaunes ne nous apporte sûrement pas des solutions toutes faites clé en main. Mais merci à lui, merci à eux, de nous faire baigner dans un état d’esprit qui nous donne la force et le couragede le réaliser.
Les artistes réduits jusqu’à présent à n’être que des faire-valoir du système de l’art doivent enfin revendiquer à ce jour un pouvoir social au même titre que celui du politique. C’est pourquoi ils ont à jouer un rôle très important dans le mouvement des Gilets Jaunes qui n’est lui-même, que la manifestation d’une crise plus générale. Une crise qui met en cause les fondements mêmes de notre civilisation avec des progrès scientifiques que l’Homme ne maîtrise plus, les dangers climatiques qui annoncent les déplacements accrus des populations, une financiarisation sauvage des échanges au profit des plus riches.
Les artistes dont le plus grand nombre sont victimes de cette condition de pion interchangeable que leur fait jouer le système de l’art en place doivent réagir. Ils doivent réagir aux côtés des Gilets Jaunes en leur apportant toute la créativité et l’intelligence dont ils sont capables.
Fred Forest
Rendez-vous, tous et toutes, le samedi 23 Janvier à partir de 14h00 à la Colonie barrée 128 rue Lafayette Paris pour en discuter
• Manifeste de l’Esthétique de la communication, + - 0 N° Spécial 1985
Fred Forest
* L'estetica della comunicazione, Roma, Castelvecchi, 1999, Mario Costa