Fabrication du sentiment d’entreprisme

Fabrication du sentiment d’entreprisme

Le nationalisme marque la volonté revendiquée de défendre la suprématie des intérêts d’un pays sur toutes autres considérations. Le sentiment national est exacerbé par certains dirigeants grâce à des éléments de langage défendant des valeurs supposées ancestrales dans le but d’endoctriner le peuple. Les moyens d’exalter ce sentiment passent par l’instrumentalisation de faits historiques ainsi que par l’utilisation de personnages emblématiques disparus pour construire une mythologie justifiant les sacrifices et les efforts au nom d’une cause transcendante qui ne sert en réalité que les intérêts d’une minorité au pouvoir.

Le sport est un moyen de propagande pour affirmer la supériorité d’une nation par sa capacité à développer des athlètes aux « performances exceptionnelles ». Souvent, tous les moyens sont bons et le dopage systémique utilisé par certains pays en est l’illustration. Le nationalisme cherche à montrer la suprématie d’une nation et de son modèle sur les autres en mettant en avant ses performances comme autant de preuves irréfutables de sa supériorité. Il ne supporte pas la critique et utilise des moyens de censure et de coercition contre les dissidents soit pour les rééduquer soit pour les mettre au ban de la communauté.

Le nationalisme engendre du fanatisme, mais il n’est pas le seul. Certaines idéologies ou religions ont été, et sont source d’embrigadement de ceux qui s’en réclament et veulent imposer leur suprématie et leur vision du monde. Le sport, modèle tant utilisé dans le management moderne et plus particulièrement le football conduit parfois à ce sentiment de fierté sans aucune retenue qui dépasse l’entendement. Les clubs encouragent cette passion des supporteurs consommateurs qui les font vivre en achetant les produits dérivés comme les maillots, écharpes et autres colifichets promus par un marketing reposant sur le fameux lien qui s’apparente dans ce cas à des attaches fermement verrouillées. Pourtant les joueurs stars qui défendent les couleurs de leur club ne sont que des mercenaires guidés par l'appât du gain, seuls les supporteurs restent fidèles. Il en va de même dans les multinationales où les cadres dirigeants naviguent au gré des opportunités et touchent des jetons de présence dans divers conseils d'administration, tout en réclamant de leurs subordonnés une loyauté totale.

Les grands Groupes mondialisés se livrent à une guerre commerciale sans merci pour le profit. La compétition se joue entre les acteurs pour conquérir les parts de marché assurant leur prospérité. Le but est d'obtenir la meilleure rentabilité afin d'attirer les capitaux, nerf de la guerre, pour garantir leur volonté expansionniste. A coup de rachat ou d'OPA plus ou moins hostiles des plus petits avant qu'ils ne deviennent trop puissants, ils s'accaparent de nouveaux territoires. Ils assurent leur prédominance en justifiant leur survie. Quand hier, les Etats utilisaient leurs entreprises nationales pour nourrir leur dessein de puissance et d’extensions territoriales, aujourd’hui ce sont les entreprises mondiales qui utilisent les Etats comme appui à leur désir d'expansion. Ces entreprises mondialisées s'affranchissent des règles imposées en les contournant notamment sur la fiscalité ou le respect des droits sociaux. Quand le danger devient trop prégnant, elles réclament pourtant leur protection au nom de l'intérêt supérieur de la nation comme dernièrement l'a fait le groupe Carrefour pour empêcher son rachat par le canadien Couche-tard.

L’entreprise mondialisée utilise les mêmes ressorts que le nationalisme en créant un sentiment « d’entreprisme ». Le Groupe développe auprès de ses collaborateurs, ce même sentiment d’appartenance. Les salariés ne travaillent pas pour le Groupe, ils en sont membres corps et âme, comme d'autres se reconnaissent dans une religion prosélyte. Ils font partie de la communauté des croyants chargée d'apporter une nourriture spirituelle saine à l'humanité. Ils en portent le nom, ils sont les "Groupiens". Leur leader ascète et mystique galvanise ses adeptes en proposant un projet messianique édicté par un « Manifeste » pour embarquer ses salariés et ses consommateurs vers l'avenir radieux "d'un monde meilleur", dont il se fait le héraut. Il propose "une révolution" par l'alimentation et pour la conduire, il utilise les figures fondatrices mythologiques du Groupe pour s'inscrire dans leur continuité en déformant leur vision. Tout le processus managérial est orienté pour créer un sentiment de très fort attachement et de dévouement. Le collaborateur doit être fier de faire partie du Groupe pour que son engagement soit maximal. Les moins pratiquants sont rattrapés par la jeune garde prétorienne issue des meilleurs écoles de management pour être recadrés ou exclus comme hérétiques. Cette révolution s'arrête malgré tout devant les actionnaires patriciens à qui il promet pour les rassurer des sacrifices sur l'hôtel de la rentabilité afin que coulent abondamment les dividendes.



Guillaume Rosquin

Cybercogniticien | Conjuguant IT, Finance et Philosophie | Utiliser l'Innovation pour des Défis Complexes

3 ans

Les patriciens n'apprécient peut-être pas trop cette rigolade car ça doit déteindre sur leur image de marque... Difficile pour eux de réaliser ensuite une OPA ailleurs sans jeter un voile de suspicion sur l'avenir qu'ils créeront.

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