Face au sentiment d'échec
J'ai été interrogé sur le thème de "l'échec"par Pascale Senk, journaliste au Figaro, spécialiste des questions de psychologie et de développement personnel. Voici l'interview in extenso.
1. Dans votre pratique de quels échecs vient-on plus spécifiquement vous parler ?
Ce que les personnes qualifient d’échec : ne pas atteindre les objectifs qui leur ont été fixés, manquer un poste convoité et qui revient à quelqu’un d’autre, une prise de fonction qui se passe mal parce qu’elles n’arrivent pas à trouver leur place dans un nouvel environnement, le sentiment de subir une situation professionnelle insupportable sans savoir réagir, ou de n’avoir pas pris les bonnes décisions en temps utile. Par exemple, une personne qui se retrouve dans une situation de harcèlement professionnel, et qui considère que c’est de sa faute, parce qu’elle a échoué à se protéger, à prendre certaines mesures pour se faire respecter, etc. Un responsable ou un manager peut se fustiger de n'avoir pas su expliquer sa stratégie et entraîner ses équipes, ou regretter certains de ses choix, qui ont eu des conséquences néfastes. Il y a même des gens qui ressentent comme un échec d'avoir été empêché de réaliser quelque chose, même si c'est par la faute d'une cause extérieure ou d'un événement indépendant de leur volonté, auquels ils ne pouvaient rien.
2. Comment les évaluez-vous par rapport au parcours de la personne ?
La notion même d’échec me semble une aporie. C’est un point de butée pour la réflexion, qui empêche de voir plus loin. Bien sûr, par rapport aux ambitions, aux objectifs que l’on se donne, le résultat est plus ou moins au rendez-vous, et parfois pas du tout à la hauteur de nos attentes. En ce sens on peut parler d’échec ou, si l’on veut, de « non-réussite ». Mais ce qui me paraît intéressant dans un diagnostic d’échec, c’est qu'il y a en même temps l’idée qu’un changement profond est devenu absolument nécessaire. Un échec cuisant est une bonne motivation pour essayer autre chose ! Quand on me parle d’un échec, j’entends qu’on est allé au bout de quelque chose, et qu’il est temps de faire autrement.
Pour évaluer la gravité du problème, il faut voir si on est en face d’une répétition. Est-ce que l’on a le sentiment de répéter une situation qu’on a déjà connu par le passé, un scénario familier ? Si c'est le cas, il y a le risque d’ancrer des croyances négatives sur soi, ou sur le monde, de déprimer.
3. Que dites-vous à vos coachés concernant ces échecs ?
Que l’échec n’est en général qu’un moment de doute sur un chemin qui se poursuit. Un obstacle n’est pas la fin. En général il y a perception d’un « échec » quand on reste le nez collé sur le pare-brise. Si l’on se donne un objectif de court terme et qu’on n’y arrive pas, il est tentant de parler d’échec. Mais si on élève le regard, que l’on embrasse plus large, on réalise que le « ratage » est momentané, un accident. Il s’agit à la fois de constater tout le chemin accompli, que beaucoup de gens ont tendance à minimiser, et de se rappeler les buts à plus long terme, de retrouver le cap général. Alors, l’échec apparaît comme une péripétie. Et j’ajouterai : une péripétie apprenante. Car le véritable échec, c'est de ne pas tirer d’enseignement de ce qui nous arrive - on serait alors condamné à le répéter, comme le papillon de nuit qui vient buter contre la lampe, encore et encore. Tout échec contient une leçon, et si nous la tirons, alors ce sera une réussite !
4. Quelles ressources les invitez-vous à mettre en œuvre pour les dépasser ?
La victoire, le succès, sont pauvres en enseignements. Après une coupe de champagne, on passe à autre chose. Puisque l’on a obtenu ce que l’on souhaitait, à quoi bon revenir dessus, à quoi bon analyser ce qui s’est passé ? Gagner, réussir, c’est très bien, mais je pense profondément que, souvent, ce que nous appelons échec est une mine d’apprentissage, un levier pour mieux se comprendre et évoluer. En scrutant « le problème » (ce que nous appelons ainsi) et en analysant la manière dont nous nous y sommes pris pour « réussir à échouer », comme dirait Watzlawick, nous pouvons apprendre beaucoup : sur nous-mêmes, sur nos interactions, sur nos peurs, sur notre désir. C’est passionnant. L’échec d’hier porte en lui la réussite de demain (et inversement). Je suis volontiers taoïste : le changement est permanent, les énergies circulent. Ce que nous devons éviter autant que possible, c’est de rester bloqué dans une situation sans perspective, de stagner, ou même de se complaire dans une vision étroite ou une position de victime, de se flageller ou se dénigrer. Le mot « échec » est une forme de jugement, et je me rappelle ce que m’a dit un jour le regretté François Roustang : « tout jugement est imbécile ! »
5. Que préconise spécifiquement votre approche par rapport à cette problématique ?
Pour aider une personne qui exprime un sentiment d’échec, il est naturel de reconnaître sa souffrance, la blessure narcissique, et de chercher ensuite à l’aider à recadrer sa vision des choses. Quelle est la logique ? Déjà, lui permettre de revenir sur l'expérience difficile, pour l'analyser à froid, sans se sentir jugée (ce qui pourrait être difficile auprès d'un collègue ou d'un proche). L’aider à « déplier » le sens de ce qui s'est passé, en visitant les angles morts de son récit, en particulier des éléments périphériques - et favorables : les ressources - qu’elle laisse dans l’ombre. Il est essentiel que l’accompagnant, le coach, soit fondamentalement confiant quant à la capacité de son client à trouver ses propres solutions. Ensuite, pour surmonter le moment de difficulté, il s’agit de passer à l’action : ça ne veut pas dire s’agiter dans tous les sens. Mais d’identifier ce que l’on peut faire maintenant pour sortir de la passivité. L’échec parle d’un événement du passé, et le passé est passé. Une fois que j’ai recadré ma vision des choses, je peux me remettre en mouvement, sur la base de mes motivations profondes. Mais cela passe passe par un nouveau regard.
6. Racontez un exemple d’échec transformé… et ce à quoi il a donné naissance
Les échecs sont parfois des messages importants que l’on s’envoie à soi-même. Si le chemin est barré devant nous, et que l’on bute sur l’obstacle, c’est parfois que l’on ne s’autorise pas à prendre la direction que l’on désire vraiment. Je pense à un homme à qui on avait proposé une promotion importante, assortie d’un changement majeur d’activité au sein d’une entreprise où il travaillait depuis vingt ans. Apparemment une évolution très favorable pour lui. Mais quelques mois après sa prise de poste, il n'avait pas trouvé sa place, disait ne rien apporter à sa nouvelle équipe, et se sentait malheureux d'avoir quitté son domaine d’expertise de prédilection. L’entreprise était à l’écoute, très aidante. Il voulait revenir sur son ancien poste, mais ce n’était plus possible, et il le vivait très mal, très émotionnellement. Il se demandait où cela avait dérapé. Quand il a regardé cette situation avec un peu de recul, sans se juger « incapable », il a réalisé que son désir profond était de changer complètement d’environnement. Il avait accepté une promotion de manière un peu mécanique, mais au fond il aspirait à un changement de vie, pas à un changement de poste ! Il y avait un projet qu’il n’avait pas osé mettre en oeuvre, et son échec s'est transformé en opportunité. Il a changé de région avec sa famille, et je crois qu’il a ouvert un commerce, le lieu de vie auquel il rêvait.
Auteure et poète haïkiste ; créatrice d’ateliers et de séminaires d’initiation et de formation à l’écriture et philosophie Haïku.
6 ansyes! à paraitre début janvier 2019 dans la revue figaro santé (jan-avril 19)
Office Manager @quitoque
6 ansGarder à l'esprit qu'un échec porte en lui le germe d'un grand bonheur.