FAUDRAIT-IL UNE NOUVELLE PANDÉMIE POUR PRÉSERVER LA PLANÈTE ?

FAUDRAIT-IL UNE NOUVELLE PANDÉMIE POUR PRÉSERVER LA PLANÈTE ?


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FAUDRAIT-IL UNE NOUVELLE PANDÉMIE POUR PRÉSERVER LA PLANÈTE ? 

(Cette chronique s’interrompt quelques semaines, le temps de recharger quelques batteries sans énergie fossile mais sous le soleil de l’été. Elle reprendra dès septembre. D’ici là bel été à toutes nos lectrices et lecteurs). 

On a bien envie de poser cette question quand on consulte les dernières statistiques émanant du rapport 2022 de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) et actualisées il y a quelques jours (voir le World Energy Outlook ou WEO 2022 in www.iea.org ). On y lit en effet que la demande de pétrole devrait être en 2023 encore plus forte que les années précédentes, comme si la pandémie, plus que les divers engagements politiques pris par tous les pays de la planète, avait provoqué un simple freinage de consommation, désormais envolé. La demande en pétrole « se dirige vers un record en 2023 » titre Le Monde (www.lemonde.fr du 29 juin 2023) soit plus de 102 millions de barils/jour en moyenne. Et les autres énergies fossiles ne sont pas en reste, malgré la spirale haussière des prix. Même le gaz est concerné malgré les lourdes et multiples sanctions frappant la Russie. La consommation s’y réduit un peu dans les économies avancées mais elle ne cesse d’augmenter dans les pays émergents ou en développement. Entre les « politiques annoncées » comme les nomment l’IEA et la réalité des consommations nationales, l’écart ne cesse ainsi de se creuser. Avec lui, les dangers pour la planète d’un réchauffement accru rendant impossible les trajectoires escomptées vers une limitation de la hausse de température à 1,5°C à la fin du siècle. 

Un double fossé : celui entre le dire et le faire… 

L’intérêt de ces documents récents provient du double fossé qu’ils font apparaitre. Le premier tient à l’écart entre les proclamations politiques et la réalité des faits. Avec la reprise économique, la consommation d’énergies issues de sources fossiles n’a jamais été aussi forte, sans que le moindre indice laisse penser que cette flambée ne serait que provisoire. Le rapport de l’IEA, à visée prospective, distingue trois scénarios qui permettent de bien mesurer les écarts probables entre le dire et le faire. Le premier scénario est celui des « politiques annoncées » ou (« Stated Policies Scenario » STEPS), le second celui des « Nouveaux engagements annoncés » (ou APS), le troisième, le scénario idéal pour la fin du siècle ou « Zéro Émission Nette à horizon 2050 » (NZE), celui qui maintiendrait l’espoir de ne pas dépasser le réchauffement dans la limite de 1,5°C. 

En ce premier semestre 2023, donc avant même que l’année 2023 n’ait conclu son verdict d’une consommation record d’énergies fossiles, le scénario des « politiques annoncées » (STEPS) prévoit qu’en 2030 le niveau d’émission de CO2 ne sera pas meilleur qu’en 2021 et à peine inférieur en 2050 à celui de 2010 ! Si les nouveaux engagements de certains pays importants comme l’Inde et l’Indonésie se confirmaient, soit le scénario APS, la situation serait un peu meilleure mais ne ferait pas mieux en 2030 que le monde en 2010. 

Plus concrètement encore, dans le scénario STEPS (peut-être le plus probable), l’historique des consommations des principales énergies fossiles montrent jusqu’à aujourd’hui des courbes à tendance fortement croissantes pour le pétrole, le gaz mais aussi le charbon. Quant aux projections de ce même scénario, elles montrent seulement une inflexion à la baisse pour le charbon mais rien de semblable pour le pétrole et le gaz ! Le pic de 

consommation pourrait se situer dans le courant de la décennie mais rien n’autorise encore à penser qu’il en sera vraiment ainsi. Entre les grandes déclarations des COP depuis Paris en 2015 et la réalité observée, jamais l’écart n’a paru aussi grand. 

…et entre les pays selon leur niveau de développement 

À ce premier écart déjà important et fort inquiétant pour la planète s’adjoint la différence de comportement entre les pays. Ce sont en effet en grande partie les pays émergents, notamment les BRICS qui tirent la demande, la Chine et l’Inde notamment. Ces deux pays pourraient dépasser les 22 M barils/jour en 2023, soit plus de 20% de la consommation mondiale de pétrole attendue. Quant à la Russie, le plus gros exportateur mondial d’énergie d’origine fossile, elle est certes entravée par les sanctions liées à la guerre en Ukraine mais elle réussit à trouver des marchés de substitution qui freinent ses potentielles pertes financières et la guerre elle-même accroit ses besoins industriels. Mais à côté de ces pays émergents, la place des pays en développement dans l’offre et la demande devient elle-même de plus en plus significative. Notamment en Afrique avec la découverte de nouveaux gisements d’hydrocarbures du côté de l’offre et des besoins de développement toujours croissants du côté de la demande. Et, comme on l’a souligné lors de nombreuses chroniques précédentes, rien ne semble pouvoir détourner la volonté de nombreux pays africains de continuer à recourir à cette manne, au minimum pour empocher les bénéfices de ces ressources exploitées par d’autres, au mieux pour promouvoir des modes de développement plus autonomes, en matière d’industrialisation notamment. 

Quant aux pays les plus avancés, c’est chez eux, notamment au sein des pays de l’OCDE, que la demande reste la moins vive. Comme en témoigne le rapport de l’IEA, il faut toutefois se garder de leur décerner un prix de vertu en matière de sobriété énergétique. L’Agence considère en effet que c’est davantage la conséquence d’une production manufacturière stagnante que celle de scénarios volontaristes contre le changement climatique. 

S’il fallait une nouvelle preuve de ce qu’il faut bien appeler une certaine indifférence du monde économique à l’égard de la question climatique, on pourrait aussi la trouver facilement dans le comportement des grands gestionnaires d’actifs dans le monde. Selon un rapport récent de plusieurs ONG, cité par le Monde (www.lemonde.fr du 29 juin 2023), les trente sociétés de gestion d’actifs étudiées parmi les plus importantes à l’échelle mondiale, 25 européennes et 5 américaines, détiendraient près de 600 milliards de dollars d’actions et d’obligations de compagnies oeuvrant dans les énergies fossiles. On aurait sans doute du mal à trouver symbole plus significatif de l’avenir à long terme de ces énergies ! 

L’investissement, clé du changement 

Tous les scénarios imaginés par l’IEA passent par l’investissement que les différents pays sont prêts à consacrer à l’évolution des énergies fossiles vers les énergies dites propres. Mais on voit immédiatement que la question ne peut pas se poser dans les mêmes termes selon le niveau de développement du pays. En ce sens, toutes les approches macroéconomiques formulées à l’échelle mondiale peuvent perdre de leur signification, dès lors que l’on considère un pays déjà développé dont le défi à relever est celui de la reconversion énergétique, ou un pays en voie de développement où tout ou presque reste à faire. Pour ce dernier pays notamment, surtout s’il dispose lui-même de ressources énergétiques fossiles importantes, la question est celle de leur bonne utilisation. D’autant qu’en Afrique, 

l’électricité manque encore terriblement et qu’aucun développement n’y parait possible sans elle. 

Si l’on en croit le rapport 2022 de l’IEA, pour tenir l’objectif d’émissions nulles à l’horizon 2050 de l’Accord de Paris, il faudrait aujourd’hui plus que doubler les investissements dans les énergies propres d’ici 2030, en passant de 1.300 milliards à 2.800 milliards de dollars. Mais le rapport ajoute que l’investissement public ne saurait suffire à dégager des sommes aussi colossales, qu’en conséquence l’investissement privé doit y être fortement engagé à une hauteur de l’ordre des deux tiers, soit la somme impressionnante de 1800 milliards de dollars ! 

Pour les pays développés à forte capacité capitalistique, un tel objectif est déjà irréaliste et irréalisable, surtout en période de crise, même en faisant sauter toutes les règles de régulation, même pour des puissances financières colossales comme l’est la Chine. A fortiori, la perspective l’est encore davantage pour les pays en développement. Le rapport de l’IEA souligne ainsi que « le manque d’investissement dans les énergies propres est plus marqué dans les économies émergentes (à l’exception de la Chine) et en développement, un signal inquiétant compte tenu des projections de croissance rapide de leur demande en services énergétiques ». 

Deux raisons évidentes à cette insuffisance patente : la première est la modestie voire l’indigence de l’investissement public dans ces pays, même pour des besoins élémentaires comme peuvent l’alimentation, la santé ou l’éducation. Même avec des coûts d’emprunt qui cesseraient d’augmenter, même en faisant appel à une aide internationale qui accepterait de se focaliser sur cette conversion énergétique, même encore en supposant que les fameuses compensations de 100 milliards de dollars prévues depuis l’accord de Paris soient enfin versées, on serait encore très loin du compte. D’autant que faute d’investissements préalables, le coût d’une centrale photovoltaïque est par exemple deux à trois fois plus élevé en Afrique subsaharienne qu’en Europe. La deuxième raison tient au peu d’appétence de l’investissement privé pour le risque, sauf s’il s’agit d’une rente de situation comme peuvent l’être les exploitations agricoles ou minières en Afrique dont les revenus bénéficient en majeure partie à l’investisseur privé lui-même. Imaginer donc que d’importants fonds privés acceptent d’investir de telles sommes dans des pays jugés à forts risques de tous genres serait également une absurdité. 

À l’évidence, si les pays développés sont déjà en difficulté majeure pour ne s’approcher encore que de très loin des objectifs de Paris, les pays en voie de développement ne peuvent considérer de tels scénarios que comme totalement hors d’atteinte. D’autant, et c’est là l’essentiel, qu’ils ont toutes les raisons de ne pas vouloir se couler dans un moule pensé essentiellement dans l’intérêt des pays développés. 

Si la solidarité internationale existait vraiment, on pourrait suggérer à l’IEA d’autres scénarios : par exemple bien distinguer l’effort à faire par les pays gros pollueurs pour convertir leurs économies vers des énergies propres de celui à faire par les moindres pollueurs africains ou d’autres pays en voie de développement sans leur imposer un modèle de développement les privant de leurs propres ressources naturelles, utilisées enfin pour leur propre compte. Comment un tel modèle pourrait-il avoir de sens pour eux ? 

La question posée dans le titre de cette chronique peut ainsi ne pas être seulement une boutade. Certes nul ne souhaite au monde une nouvelle pandémie qui serait peut-être plus mortelle encore. Mais le constat d’une Agence Internationale comme l’IEA, peu suspecte de tenir des propos ou de dessiner des scénarios provocateurs ou irresponsables, montre à quel 

point l’écart est grand entre les proclamations politiques de tous bords et la réalité du chemin emprunté. Un écart auquel s’ajoute un problème de fond lié à l’enfermement dans lequel se trouve pris le débat contemporain sur le développement dans les pays doublement victimes d’un changement climatique qu’ils n’ont pas provoqué. 

Tant que la communauté internationale refusera d’aborder ce débat, on ne peut que douter de sa capacité à remporter le combat qui s’annonce, on ne peut que douter de sa véritable volonté de préserver la planète. 

Jean-Paul de GAUDEMAR 

Vous pouvez retrouver cette chronique, en français, en souscrivant gratuitement à ma plateforme « jeanpauldegaudemar.substack.com » ou en anglais en souscrivant toujours gratuitement à ma plateforme « jpdegaudemar.substack.com ». 

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